« Le service public est à l’os »

dimanche 24 mars 2024.
 

L’intersyndicale avait appelé les 5,7 millions d’agents de la fonction publique à faire grève ce mardi 19 mars. Professeurs, personnels de santé, fonctionnaires : tous demandent des meilleures conditions de travail et des revalorisations. Politis est allé à leur rencontre dans le cortège parisien.

« Dans tous les quartiers, régions, un même droit à l’éducation ». Voilà un des slogans que l’on pouvait entendre dans les cortèges ayant défilé dans toute la France, hier, mardi 19 mars, lors de la journée de mobilisation des agents de la fonction publique à l’appel de huit syndicats (CFDT, CFE-CGC, CGT, FA, FO, FSU, Solidaires, UNSA). D’après la CGT, 100 000 fonctionnaires ont battu le pavé pour demander augmentations de salaires et meilleures conditions de travail.

À Paris, la tête du cortège était menée par les enseignants de Seine-Saint-Denis, le département le plus précaire de France, très mobilisés depuis plusieurs semaines, soutenus par les élèves et leurs parents. Contrairement au reste des agents de la fonction publique, les professeurs parlent peu d’augmentation de salaire et préfèrent concentrer leurs efforts sur l’amélioration des conditions d’apprentissage pour leurs élèves.

Les enseignants de Seine-Saint-Denis, très présents à la manifestation, réclament en effet un « plan d’urgence » pour le 93. Dans la majorité des collèges et lycées du département, les infrastructures sont dégradées et le personnel éducatif manque. Morgane, professeur d’EPS, évoque les conséquences pour les élèves : « Ils perdent un an de leur scolarité à cause des non-remplacements, ces conditions d’apprentissage sont indignes. »

Je n’ai pas eu de professeur de SVT de toute l’année. Sans notes, l’algorithme Parcoursup me dévalue.

Nadine Plus de 60 lycéens de Seine-Saint-Denis sont d’ailleurs venus soutenir la mobilisation et leurs professeurs en grève. « On se sent délaissés, nous vivons ça comme une inégalité. C’est le manque de moyens qui fait de nous des incapables. Nous n’avons pas les mêmes chances pour réussir notre scolarité », témoigne Nadine. « Je n’ai pas eu de professeur de SVT de toute l’année. Sans notes, l’algorithme Parcoursup me dévalue. J’ai peur pour mon avenir. Si on se mobilise c’est pour les générations futures », confie son amie Oumou.

Léo, professeur dans un collège à Bagnolet, raconte l’insalubrité des bâtiments : « Le manque d’isolation rend les températures extrêmes, l’eau s’infiltre dans les plafonds et la moisissure se répand. » Sollicités plusieurs fois, le département, la région et l’État se renvoient la balle, arguant le manque de ressources, voire une question de compétence.

Contre les réformes iniques pour l’éducation Comme l’ensemble des enseignants sur place, Léo s’est mobilisé aussi pour protester contre « le choc des savoirs », une réforme du collège parue au journal officiel ce dimanche 17 mars, imposée par Gabriel Attal. Elle vise à instaurer des groupes de niveaux en mathématiques et en français au collège. « C’est une vision inique, l’école n’est pas un tri social, c’est par l’éducation que l’on s’émancipe. Avec ce décret, le message envoyé est clair ‘Vous avez ce niveau et ça ne changera pas’ », ressent Léo.

Sur le même sujet : Groupes de niveaux : Attal investit dans le tri social Le Premier ministre a aussi insisté sur la nécessité de durcir l’examen du brevet tout en le rendant obligatoire au passage en seconde. Il a instauré des classes « prépa-lycée » visant, dixit, à « consolider le niveau des élèves » pour ceux qui n’auraient pas obtenu le diplôme. Pour Morgane, « c’est une manière de faire rentrer les jeunes plus rapidement sur le marché du travail ».

Rendre le brevet obligatoire, « c’est entraver la possibilité de poursuivre les études pour les élèves en difficulté », considère Louis, enseignant de physique-chimie dans un lycée de Villepinte et syndicaliste à SUD Éduc 93. « Diminuer le nombre d’élèves qui entrent au lycée permet à l’État de mettre moins de moyens. Les ‘prépas-lycée’ ne pourront jamais accueillir tous les élèves qui n’ont pas eu leur brevet », explique-t-il.

Des adhérents de Solidaires Douanes, dans la manifestation parisienne du 19 mars. (Photo : Luna Guttierez.) « C’est nous qui travaillons alors c’est nous qui décidons », scande Léo. Depuis l’automne, l’intersyndicale Éducation 93 (FSU – CGT – SUD – CNT) a recensé tous les dysfonctionnements dans les établissements scolaires du département. « Le plan d’urgence que nous avons diagnostiqué s’élève à 358 millions d’euros », détaille Léo. Une gréviste ajoute : « Le gouvernement met 2 milliards d’euros dans le SNU au lieu de rénover nos bâtiments et de rendre la profession attractive. » Le collectif Bagnolet en lutte sensibilise aussi les familles. « L’éducation concerne toute la population. Nous devons défendre ce que nous voulons comme école et comme service public », poursuit Léo.

« C’est la catastrophe à l’hôpital » Christophe travaille en tant qu’urgentiste au Samu de Seine-Saint-Denis et est syndiqué à la CGT. S’il s’est mobilisé lors de cette journée nationale, c’est pour demander de meilleures conditions de travail. « C’est la catastrophe à l’hôpital. Par manque de moyens, des patients meurent sur des brancards dans les couloirs des urgences. Chaque année entre 1 500 et 2 000 patients sont victimes de morts évitables. » Les personnels soignants abandonnent leur métier par dégoût et dépit. « Certains se sentent coupables de cette prise en charge dégradée », explique Christophe. Pour lui, beaucoup de médecins arrêtent leurs études après le stage de 4e année en hôpital : « C’est environ 10 % d’abandon. »

Des dossiers où on travaillait à dix sont pris en charge par trois personnes maintenant.

Violette « Les différents gouvernements cassent le service public et font de la santé un secteur marchand au détriment des patients et du personnel de santé. » Les patients se dirigent vers des cliniques privées et payent pour se soigner. « Le système public doit être entièrement financé par la Sécurité sociale. On ne peut pas avoir une égalité de traitement entre les citoyens si on se fonde sur du privé », détaille-t-il. Les personnels soignants demandent également une augmentation de 10 à 15 % de leur salaire actuel et une revalorisation du point d’indice. « Ce métier à une lourde charge physique et psychologique, nous devons être reconnus. »

« J’aimerais gagner ma vie correctement », confie Violette, agente des impôts et syndicaliste à Solidaires Finance publique. Cela fait huit ans qu’elle travaille dans ce service et malgré son grade supérieur, elle n’arrive pas à boucler les fins de mois. « Les premiers échelons sont en dessous du Smic alors que nous sommes les derniers accueils physiques sans rendez-vous. » Elle explique que l’État a supprimé des postes et que le manque de moyens humains est lourd de conséquences.

Sur le même sujet : Un «  bon sens  » à dix milliards « Des dossiers où on travaillait à dix sont pris en charge par trois personnes maintenant. Au-delà de 12 heures supplémentaires, nous ne sommes plus payés. Il m’arrive d’en faire 40 pour finir les dossiers en temps voulu. » La colère se ressent chez elle : « L’État dit qu’il manque d’argent mais le gouvernement ne nous laisse pas faire notre travail qui consiste à en ramener », poursuit-elle.

« Le service public est à l’os » confirment Bruno et Olivier, fonctionnaires au Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) au ministère de l’Écologie. « La fonction publique subit des réformes sans aucune augmentation de salaires et avec des conditions de travail dégradées », explique Bruno.

Les coupes budgétaires annoncées par Bruno Le Maire, ministre des Finances, ont fait fondre les crédits du ministère de l’Écologie de 2,2 milliard d’euros, presque 10 % de son budget total. « On sacrifie les générations futures, les agents ne sont plus recrutés en CDI mais en contrats renouvelables sous trois ans et sans possibilité de déroulement de carrière. Le statut de fonctionnaire est précarisé », dénonce Olivier.


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