République. Quand les valeurs fondatrices sont bafouées

mercredi 13 janvier 2016.
 

Le gouvernement s’est saisi de la menace terroriste pour restreindre les libertés. Mais l’égalité et la fraternité sont, elles aussi, mal en point. Le 9 janvier, au musée de l’Histoire de l’immigration, à Paris, dans le cadre des Agoras de l’Humanité, la devise de la République sera interrogée par des intellectuels.

LA LIBERTÉ, un fondement de la citoyenneté

Les attentats de janvier 2015 avaient permis au gouvernement de faire avaler la pilule de la loi sur le renseignement et de propulser la France dans l’ère de la surveillance de masse, à l’image de ce que pratique la NSA aux États-Unis. Les attentats du 13 novembre ont fait franchir un nouveau cap, spectaculaire, aux restrictions des libertés en France. L’état d’urgence, proclamé dans la foulée des attaques de Paris, a été prolongé à la quasiunanimité par l’Assemblée nationale et le Sénat pour trois mois. Il est désormais en voie de « constitutionnalisation », afin de parer aux recours formés par les citoyens et associations concernés. Bien au-delà du seul risque terroriste, l’état d’urgence et les moyens exceptionnels de police qu’il active ont été utilisés pour interdire des manifestations, assigner des militants à résidence sans aucun lien avec des activités terroristes.

La France est-elle toujours un pays de liberté ? Pour l’heure, c’est un pays en liberté surveillée. D’une certaine façon, l’un des objectifs des tueurs du 13 novembre est en passe d’être atteint. La liberté, valeur républicaine qui fonde la citoyenneté, est donc remise en cause dans son exercice le plus fondamental : celui des droits politiques, individuels et collectifs. Renforcer la République après les attaques dont elle a été l’objet en 2015 passe au contraire par un renforcement de ces libertés. Après les attentats d’Oslo perpétrés par un tueur d’extrême droite en 2011, le premier ministre norvégien avait adopté l’attitude inverse de notre gouvernement : « Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, d’ouverture et de tolérance », avait-il déclaré.

L’ÉGALITÉ, un principe de façade

Que s’est-il passé entre les attentats de janvier et ceux de décembre, pour que le discours du gouvernement soit à ce point opposé ? Après la grande mobilisation du 11 janvier, le premier ministre parlait alors de « l’apartheid social », une façon de ne pas oublier le terreau social sur lequel prospèrent les intégrismes, à commencer par l’intégrisme islamiste. Mais, en novembre, Manuel Valls vouait aux gémonies toute « excuse sociale, sociologique ou culturelle ».

Une manière de balayer toutes les questions posées à la nation, une manière aussi de se dédouaner de tous les échecs et reniements du gouvernement. Car, dans cette République, l’égalité est un joli mot qui ne recouvre que bien peu de réalité. La question sociale est la grande absente des débats. Pis : la politique de Hollande s’inscrit dans les pas de celle de Nicolas Sarkozy, creusant encore les inégalités, le chômage, et même la pauvreté (14,2 % de pauvres en France en 2014), selon les données de l’INSee venant de paraître, au point d’atteindre depuis 2012 les classes moyennes. Surtout, la déchéance de nationalité risque de mettre définitivement à mal l’égalité républicaine en créant deux catégories de citoyens. L’exigence d’égalité est, plus que jamais, un combat à mener. Égalité devant l’emploi, les salaires, le logement, la santé, l’éducation. Mais l’égalité doit aussi être un e réalité, ce qui implique une lutte sans relâche contre les discriminations qui sapent le peu de justice sociale républicaine :discriminations syndicales, de sexe, raciales, et territoriales : où est l’égalité quand des pans entiers du territoire sont déclassés et abandonnés ?

LA FRATERNITÉ, organisée par la république sociale

La fraternité est une des valeurs de la devise républicaine proclamée en 1848... et qui trouve une traduction concrète en 1946, lorsque les droits économiques et sociaux sont affirmés dans le préambule de la Constitution. Ils y figurent toujours. Mais les politiques néolibérales mises en oeuvre depuis une trentaine d’années en France en font de plus en plus des droits virtuels. Les inégalités n’ont cessé de se creuser, la France compte dix millions de pauvres, et 5 millions de chômeurs. Des quartiers entiers des grandes villes du pays sont ainsi abandonnés à la crise sociale. Le tissu social se délite, en faisant ainsi vaciller l’un des fondements du pacte républicain. Le racisme, alimenté par le discours de la droite et du gouvernement courant après l’extrême droite creuse encore le fossé entre les citoyens de ce pays. Les émeutes racistes auxquelles on a assisté à Ajaccio le 26 décembre en sont une des manifestations.

Ce gouvernement, élu par la gauche, manque une occasion en faisant la réforme constitutionnelle inverse de celle qu’il aurait dû porter. Il pourrait au contraire redonner corps à la « fraternité » républicaine, telle qu’elle était proclamée, déjà, en 1848 : la république « doit par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux soit en leur procurant du travail (...) soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de travailler ». En menant une politique de gauche en somme !

LA LAÏCITÉ, pilier révolutionnaire

Certes, la laïcité ne fait pas partie de la devise républicaine. Pourtant, elle en est un des fondements, alors que la France célébrait en 2015 le 110e anniversaire de la loi qui l’a instaurée : la loi de séparation de l’Église et de l’État. Un anniversaire qui résonne de façon particulière, tant cette notion ­ souvent mal connue, voire instrumentalisée ­ est au coeur de nombreux débats qui traversent notre société. Indissociable de la République, la laïcité est convoquée par Marine Le Pen pour justifier sa haine anti-Arabes ou antimusulmans, comme lorsqu’elle évoque les prières de rue comparables à « l’Occupation », quand bien même il ne s’agit que de problèmes de locaux. Il n’y a d’ailleurs pas besoin d’aller à l’extrême droite pour trouver une conception dévoyée de la laïcité : Nicolas Sarkozy et nombre d’élus LR, mais également de nombreux socialistes, ne manquent pas une occasion d’instrumentaliser le concept, par exemple en interdisant les menus sans porc dans les cantines scolaires. Or, les principes de la laïcité ne sont pas le combat de l’État contre les religions et les croyances mais « la liberté de conscience » et « l’égalité des droits ». Ils figurent au préambule de la loi de 1905. Si la République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte (et donc aucun édifice cultuel), elle ne les combat pas. Selon Pierre Dharréville, secrétaire PCF des Bouchesdu-Rhône et auteur de « La laïcité n’est pas ce que vous croyez » (Les Éditions de l’atelier, 2013), c’est un des enjeux majeurs pour les républicains progressistes, à commencer par les communistes : « Réinvestir ce débat parce que la laïcité porte fondamentalement une dimension révolutionnaire et émancipatrice. » Car, comme le proclamait Jean Jaurès en 1904 : « Laïcité et démocratie sont synonymes. »

Benjamin König et Diégo Chauvet, L’Humanité


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