Pas de démocratie, ni de République avec des citoyens mis hors jeu

samedi 20 février 2016.
 

A) La citoyenneté menacée ?

Allocution de Patrick Le Hyaric​, eurodéputé du Front de Gauche et directeur de l’Humanité, ce samedi 9 janvier 2016, au Musée de l’Histoire de l’immigration à Paris.

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B) Quelle République ? Liberté, égalité, fraternité (vidéo)

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Fraternité (Sophie Wahnich)

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Fraternité (Benjamin Stora)

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Egalité (Cynthia Fleury)

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Egalité (Pierre Rosanvallon)

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Liberté (Michel Terestchenko)

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Liberté (Michèle Riot Sarcey)

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C) Pas de démocratie, ni de République avec des citoyens mis hors jeu

En ce début d’année placé sous le signe de la commémoration des attentats de 2015, la première des rencontres initiées par l’Humanité à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration a fait carton plein. Les trois débats publics de la journée, reprenant le triptyque républicain, ont eu valeur de manifeste.

Certains sont venus de loin ce 9 janvier, de Roubaix ou de Valence, et se retrouvent parmi plus de cinq cents autres dans cette grande salle de conférence du Musée national de l’histoire de l’immigration, contemplant les fresques, allégorie de l’Empire colonial français aux couleurs de jardin d’Éden, symbole des traces d’un passé qui peine à s’effacer. Ce palais de la Porte-Dorée fut construit pour l’exposition coloniale de 1931, où furent exhibés, comme curiosités exotiques, des hommes et des femmes amenés sous bonne garde de Nouvelle-Calédonie et d’autres horizons. D’abord musée des Colonies, il est devenu le lieu de mémoire de l’immigration, en 2007, au milieu de bien des turbulences : le président de la République du moment, Nicolas Sarkozy, n’accepta jamais de l’inaugurer.

« Une société commune fondée sur l’échange d’idées et la délibération » Détour historique utile pour expliquer le choix de l’Humanité d’y tenir son premier rendez-vous de ses Agoras, et dont s’est félicité l’historien Benjamin Stora, président du musée, qui a participé lui-même à cette journée de réflexion autour du thème de la République, déclinée sur les trois termes de sa devise : liberté, égalité, fraternité. Les Agoras de l’Humanité contribuent, selon son directeur Patrick Le Hyaric, évoquant la Grèce antique, à créer « une société commune fondée sur l’échange d’idées et la délibération, à penser et à décrypter le monde, à s’enrichir mutuellement des pensées progressistes ». « C’est le rôle de notre journal de débats et de combats fondé par Jean Jaurès », souligne-t-il. Pas de liberté sans savoir et pas de libertés individuelles sans libertés collectives Un an après la manifestation massive du 11 janvier 2015, on est bien obligé de constater que « la liberté n’est pas acquise », observe l’historienne Michèle Riot-Sarcey. La connaissance est une condition de la liberté.

Cette idée-force a traversé cette journée, où de nombreux intervenants ont déploré l’affaiblissement du débat au sein de la société. Michèle Riot-Sarcey invite les intellectuels progressistes à un engagement citoyen, notamment dans un collectif d’intellectuels anonymes à la disposition de tous. Pas de liberté sans savoir, donc, mais pas davantage de libertés individuelles sans libertés collectives. Réduit à son individualité, le citoyen voit ses capacités d’agir diminuées, alors que, précisément, « la liberté, c’est le pouvoir d’agir ». Sans doute a-t-on un peu oublié que « les démocraties sont des régimes fragiles et vulnérables », observe Michel Terestchenko, professeur à Sciences-Po Aix-en-Provence. Force est de constater la proximité des réactions des dirigeants français avec celles de l’administration américaine après le 11 septembre 2001.

« L’égalité doit être au coeur des valeurs de la gauche » Le chercheur pose la question du prix de perte de liberté que la société est prête à consentir pour être protégée. « Les attaques terroristes sont un test de la capacité de la démocratie à faire face sans se renier sur ses principes structurants. » De larges franges de l’opinion réclament des mesures sécuritaires, sans savoir « dans quelle société elles vont se réveiller un jour ». Michel Terestchenko est inquiet. De la passivité avec laquelle sont accueillies les restrictions du champ des libertés publiques, de la loi extrêmement intrusive sur le renseignement. Inquiet également du refus ambiant d’examiner le terreau favorisant la dérive du djihadisme, qui est pourtant « le symptôme d’une pathologie sociale, et ses liens avec la religion ne doivent pas nous égarer ».

Quelle liberté est possible dans un rapport de domination ? interroge la philosophe Cynthia Fleury. La démocratie ne peut fonctionner dans l’ignorance sociale, alors que tout le monde est radicalement égal, affirme Pierre Rosanvallon. « L’égalité doit être au coeur des valeurs de la gauche. » Elle en est pourtant la grande absente. L’inégalité est, certes, massivement condamnée, mais on lui oppose la théorie de « l’égalité des chances », qui est une manière d’accepter les différences et les inégalités, dès lors que l’on corrigerait certains excès. Les inégalités résultant de l’héritage sont moins critiquées que par le passé. L’acceptation de l’impôt comme moyen de redistribution sociale des richesses a reculé. Les écarts de revenus entre patrons et ouvriers se sont envolés depuis les années 1960, sans véritablement provoquer de véritable refus social. Ce recul des principes progressistes n’est pourtant pas sans conséquence dans la société, qui est minée par une crise profonde, selon Michel Terestchenko, dans laquelle les salariés sont « chosifiés » par les abandons de l’État de droit, observe Cynthia Fleury.

Certaines lois de circonstance ont des conséquences désastreuses La triade révolutionnaire n’est pas sécable, a expliqué l’historienne Sophie Wahnich. Cette spécialiste de la Révolution française est engagée au sein d’un comité d’urgence citoyenne contre la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Certaines lois de circonstance ont parfois des conséquences désastreuses, et creusent pour une partie de l’opinion un fossé de ressentiments. Benjamin Stora a rappelé qu’en 2005, l’Assemblée nationale avait adopté un texte prétendant que le bilan de la colonisation aurait des aspects positifs. Et Benjamin Stora d’interroger : « Que n’a-t-on demandé leurs avis aux peuples concernés ? » Dix ans plus tard, il a été impossible d’inscrire la période coloniale dans les programmes scolaires adoptés il y a quelques semaines. Un rappel qui prend tout son sens au palais de la porte Dorée.

Quand il s’agit de donner un visage à la liberté, on pense bien sûr à celui de l’héroïne 
de Delacroix, peinte en 1830, brandissant un drapeau tricolore, 
sur la toile intitulée la Liberté guidant le peuple. L’historienne Michèle Riot-Sarcey nous invite à retrouver l’élan libérateur qui s’est traduit non seulement lors de mouvements révolutionnaires, mais aussi par l’émergence de mouvements ouvriers coopératifs, associationnistes ou utopistes, au sein desquels le travail était articulé avec l’émancipation. 
Car, si la liberté a été pensée, à l’origine, de manière universelle, elle nécessite néanmoins l’acquisition d’un savoir dont «  le double étau du libéralisme et du dogme du progrès technique a privé le peuple, asservi par la machine  ».

L’allégorie du peintre figure l’élan vers la liberté et la démocratie, mais si l’on considère le bas du tableau, les morts gisant au sol ne peuvent nous échapper. La liberté se conquiert effectivement au prix 
de la vie. C’est sur ce point que le philosophe Michel Terestchenko insiste particulièrement, dans son analyse du caractère liberticide des réponses sécuritaires aux attentats. 
Il pose cette dérangeante question  : «  En quelle manière la violence terroriste qui s’en prend à des corps peut-elle entamer nos valeurs, sinon par la réponse que nous-mêmes apportons à ces agressions  ?  » Gageons qu’à l’issue de ces conférences, les membres de l’assistance, particulièrement dense, sont sortis un peu plus armés pour conquérir leur liberté, en faire l’expérience et l’éprouver. Ensemble.

Jean-Paul Piérot


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