Les Sondages et la fabrique de l’opinion (Etude Parti de Gauche)

samedi 26 novembre 2011.
 

Une proposition de loi a été adoptée à l’unanimité le 14 février 2011 par le Sénat pour règlementer l’activité des sondeurs. Elle prévoit notamment d’obliger les entreprises de sondages à publier les chiffres bruts, qu’elles redressent ensuite pour produire des prédictions d’intention de votes conformes à ce que le consensus médiatique juge plausible – ou pour produire des scoops qui feront parler d’elles. Ce texte a été adopté malgré l’opposition du gouvernement. L’Assemblée nationale ne semble pas pressée de le voter. Cette note vous aidera à comprendre pourquoi.

LES SONDAGES

Chaque année, des centaines de sondages d’opinion sont publiés par la presse, la radio, la télé : plus un jour ne se passe sans qu’un journal ou une chaîne ne livre « ses » chiffres sur telle ou telle question d’actualité. Rendus publics, brandis par les élus, commentés par de prétendus spécialistes, ces chiffres sont, en général, aussitôt oubliés et remplacés par d’autres.

Qu’importe, ils semblent désormais faire partie du paysage et du jeu politiques, et rares sont ceux qui s’étonnent ou s’inquiètent de cette omniprésence.

Une technique venue d’Amérique...

C’est que les sondages n’ont cessé de gagner en importance depuis ce mois de novembre 1936 où le statisticien et entrepreneur américain Gallup annonça, contre toutes les prévisions des journaux, la réélection de Franklin Roosevelt à la présidence des USA. À partir de cette date mythique, la pratique du sondage n’a pas tardé à se généraliser dans la société américaine.

Pourtant, dès l’origine, des scientifiques de renom avaient émis des réserves sur le procédé, et avaient souligné ses faiblesses. Mais la pratique du sondage répondait à une forte demande sociale, et le « Dr.Gallup » avait raison d’affirmer, un an après une retentissante erreur de pronostic (il avait, à tort, donné Truman battu à la présidentielle de 1948), « qu’une armée entière de critiques ne saurait [l]’arrêter ». Même critiqué, Gallup continua donc à faire des affaires, et des émules.

Introduits assez tôt en France, les sondages ont connu un essor considérable à partir des années 70, grâce aux efforts combinés de grands instituts comme l’IFOP et de quelques politologues médiatiques liés à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.

Une critique radicale : l’opinion publique n’existe pas

À la fin des années 70, Pierre Bourdieu voulut répondre à cet engouement pour les sondages. Dans un article devenu célèbre, « L’Opinion publique n’existe pas », il adressa aux sondages une critique de fond : la pratique sondagière présuppose que tous les individus sondés connaissent l’existence des problèmes sur lesquels on les sonde, qu’ils en ont une connaissance au moins approximative, et qu’ils possèdent un avis sur ces questions. Or on sait que, d’un groupe social à l’autre, ce n’est pas seulement l’opinion sur un sujet qui varie, mais bien l’intérêt pour le sujet, le fait de le concevoir ou non comme un objet de pensée et de jugement, et en fin de compte l’existence même d’une opinion. Dans la mesure où ils occultent ces réalités sociologiques, les sondages en sont réduits à agréger artificiellement des déclarations radicalement hétérogènes, donc à produire des résultats fondés sur des malentendus et des confusions, et dénués de signification.

L’opinion publique n’est donc pas cette réalité constituée a priori, que les sondages prétendent recueillir, mais un artefact construit par le fait même de sonder, c’est-à-dire de solliciter, faire naître et agréger des jugements qui n’existaient pas nécessairement auparavant, et ne sont pas tous de même nature.

Un sondage est une somme de malentendus

Les sondages présupposent l’homogénéité de tous les points de vue sur la politique. Or on sait au contraire que la plus grande hétérogénéité règne dans ce domaine : si certains sondés évoluent dans le même univers cognitif que les sondeurs, ont une relative familiarité avec les problèmes politiques, et disposent donc de ce que l’on peut appeler une « opinion », d’autres se tiennent à distance des problèmes politiques, ou en tout cas les appréhendent dans des termes qui ne sont pas du tout ceux du sondage.

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