Pourquoi placer l’enseignement professionnel au centre de nos préoccupations ?

mardi 5 janvier 2010.
 

Les objectifs : « enseignement professionnel comme voie d’excellence ou comme filière à part entière » ne permettent pas de comprendre en quoi il s’agit d’une « « révolution copernicienne » dans notre projet éducatif… » tant ils ont été utilisés depuis des années pour justifier des réformes qui n’étaient pas favorables à l’enseignement professionnel. Pourquoi alors l’enseignement professionnel et plus généralement tout le système de formation professionnelle initiale et continue ont-ils une telle importance ?

L’enjeu de la maîtrise de la formation professionnelle

Les politiques ultralibérales tendent à réduire la qualité et le périmètre du service public d’éducation, pour cela au fil des réformes il le rogne par tous les bouts : maternelle, université, enseignement professionnel et technologique… Pour ces 2 derniers les libéraux ont, en plus de leur conception générale de l’éducation, 3 bonnes raisons, à leur sens, de vouloir détacher ces enseignements du service public d’éducation :

1) Raisons liées au rapport travail-capital : la quintessence de l’ultralibéralisme c’est de vouloir individualiser ce rapport et donc de ne reconnaître que les compétences individuelles du salarié et non des qualifications communes à des groupes de salariés. Pour mettre en œuvre cette conception, il faut casser le processus formation-diplômes nationaux-reconnaissance des qualification-rémunérations, pour cela il faut revoir profondément : contenu et organisation des formations, mode de délivrance, reconnaissance (ou non !) et valeur (ou non !) des diplômes. Il est évident que pour les libéraux tout cela relève du système économique, en gros des entreprises et non du système éducatif !

2) Raisons financières : le potentiel de profit pour l’entreprise privée que représente la formation professionnelle est immense. Ces bénéfices sont déjà très importants et le seront encore plus quand montera en puissance la formation tout au long de la vie. D’autant plus que celle-ci est conçue par les libéraux comme étant à la charge du salarié : L’individu autonome est le seul responsable de tout ce qui lui arrive, s’il est au chômage c’est qu’il n’a pas su entretenir ses compétences, il doit le faire en prenant sur son temps et ses deniers personnels.

3) Raisons idéologiques : pour formater les jeunes à l’esprit d’entreprise, rien de tel que de les former le plus tôt possible …dans l’entreprise. Gilles Moreau, sociologue, spécialiste de l’apprentissage montre bien que le rêve de tout apprenti c’est de devenir patron… pas de se syndiquer ! l’enjeu idéologique n’est donc pas le moindre, c’est d’ailleurs pour cela que les libéraux font de l’alternance, le modèle de formation professionnelle européenne à instaurer dans chaque pays. Dans notre pays, ils jouent sur l’ambiguïté du terme alternance utilisé aussi sous statut scolaire en Lycée Professionnel, pour mieux les faire basculer, à une autre étape , dans un système unique d’apprentissage.

Pour toutes ces raisons le même sociologue explique que depuis plus d’un siècle le curseur enseignement/formation professionnelle oscille, en fonction des rapports de force, entre 2 pôles : l’école et l’entreprise. A la Libération le curseur a été au taquet de l’école, il a bénéficié alors d’un rapport de force très favorable puisque même le Medef de l’époque soutenait le développement d’un service public d’enseignement professionnel, les grandes entreprises abandonnant leurs propres écoles de formation. Dans cette dynamique le système de l’apprentissage a failli disparaître dans les années 70. A partir de cette époque la plupart des réformes tendront à éloigner le curseur du taquet-école, et notamment en multipliant, jusqu’à nos jours, les plans de soutien à l’apprentissage, à noter que l’un des premiers a été lancé par le gouvernement Cresson. Aujourd’hui le curseur se rapproche dangereusement du taquet-entreprise, notre ambition ne peut être que de le ramener vers le taquet-école notre programme doit indiquer le chemin pour y parvenir.

Où se trouve aujourd’hui ce curseur ?

Depuis quelques années des réformes convergent pour dissoudre la voie technologique dans la voie générale par réduction des filières et accentuation de leurs caractères généralistes et par transfert vers la voie professionnelle des filières les plus professionnalisantes . La dernière réforme du lycée risque d’achever ce processus pour ne garder dans le secondaire que la voie générale (avec options dont les technologiques) et la voie professionnelle.

Parallèlement, d’abord à l’initiative de quelques Régions puis de l’ARF (Associations des Régions de France, de « gauche » comme chacun sait !) l’idée est lancée d’un « Service Public Régional de la Formation Professionnelle ». Il s’agirait de rassembler dans ce SPRFP tous les services de la FP et de l’apprentissage. Si les Régions ne réclament pas (pour le moment) l’intégration de la voie professionnelle scolaire dans ce grand service public régional, elles n’en disent pas moins qu’au nom de la cohésion et de la continuité de la formation tout au long de la vie, ce service ne sera complet que lorsque toutes les composantes de cette formation initiale et continue en feront partie. Si le gouvernement, dans l’immédiat, fait mine de s’y opposer c’est surtout pour une affaire de gros sous. Mais c’est un secret pour personne de dire que la régionalisation de la voie professionnelle scolaire (comme celle de l’orientation) est dans les tuyaux de la droite depuis longtemps, parions qu’elle saura saisir la perche que lui tend la « gauche » pour la mettre en œuvre. On peut aisément imaginer la suite : au nom de la rationalité d’un système (qui en a effectivement bien besoin) et du rapprochement des 2 systèmes de formation, on fusionne enseignement professionnel et apprentissage, sur le modèle de ce dernier et nous voilà exactement dans le modèle de formation de l’Europe libérale type Allemand ou Anglais. Ce n’est pas un scénario catastrophe mais la compréhension de la logique d’un système qui de réformettes en réformes aboutirait à la réalisation idéale du projet éducatif libéral.

Rompre avec les évolutions libérales de la Formation Professionnelle : Pourquoi, comment ?

On voit bien maintenant comment les pièces du puzzle de ce projet s’emboîtent, il nous appartient de le secouer pour le déconstruire, en casser la logique et ramener progressivement (ou rapidement ?), comme nous l’avons dit plus haut le curseur vers le taquet-école. Les libéraux sont presque arrivés à leur fin par une succession de réformes qui avaient en soi leurs justifications, souvent simplettes, (genre : pour réduire le chômage rapprochons l’école de l’entreprise) mais qui ne donnaient jamais leur but inavouable parce qu’allant dans le sens d’intérêts trop particuliers. Au contraire, parce que nous mettons au centre de notre projet l’intérêt général, nous devons dire d’emblée notre objectif : la maitrise par l’état, dans un service public national, de la formation professionnelle et continue, partie intégrante du système éducatif. Service public unifié de l’enseignement , de la formation professionnelle et de la formation tout au long de la vie pour faire évoluer sans cesse les qualifications , améliorer la sécurité professionnelle des salariés, et répondre de la manière la plus efficace possible aux besoins des entreprises.

Ce « grand service public » ne pourra pas se faire sur le modèle de ce que nous connaissons, mais doit être inventé à partir des principes et des institutions qui fonderont la VI ème République que nous voulons instaurer. Si la souveraineté populaire doit définir au niveau national les orientations, elles devront s’appliquer au plus près du terrain au moyen d’une véritable démocratie participative faisant travailler ensemble personnels (refonder le paritarisme), collectivités territoriales (compétences à redéfinir), citoyens-usagers (et leurs organisations), et acteurs économiques (les différentes formes d’entreprises).

Outre les considérations politiques, la complexité, l’opacité et la relative inefficacité du système actuel, dont beaucoup de rapports mentionnent régulièrement les grandes déperditions d’argent public, justifieraient largement une mise à plat et une reconstruction cohérente. Il ne se perpétue que parce que beaucoup y trouvent leur compte, y compris les organisations syndicales de salariés.

De quelques idées générales à quelques propositions concrètes pour notre programme

Notre programme ne devra pas se contenter d’énoncer nos valeurs, il devra aussi et surtout dire comment nous allons les appliquer, de sorte que cela soit compréhensible par tout citoyen et convaincant pour les professionnels du sujet traité.

1) Elever le niveau de culture commune :

Les découvertes scientifiques et leurs applications technologiques à la production et aux services sont en perpétuel changement. Comment s’adapter à ces évolutions ? Les libéraux répondent formation tout au long de la vie, en sous-entendant qu’on peut réduire la formation initiale, dans la mesure où il est inutile d’apprendre à des jeunes des techniques qui seront obsolètes quand ils arriveront sur le marché du travail. Par contre le système de formation professionnelle doit surtout former à une technique, voire à un poste de travail. La technique étant dépassée on jette les machines… et les opérateurs avec : c’est la conception du travailleur jetable qui ne doit pas être la nôtre. Les capacités des individus à s’adapter aux évolutions dépendent étroitement de leur niveau de culture générale et technique qui conditionne aussi largement leurs chances de profiter de la formation tout au long de leur vie. Aujourd’hui tout le monde s’accorde pour dire que la formation continue ne profite pas ou peu à ceux qui en auraient le plus besoin.

D’où l’idée de prolonger la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans (qui n’a pas bougé depuis un demi siècle !) et par conséquent de mettre tous les jeunes sous statut scolaire en supprimant l’apprentissage avant 18 ans, tout en conservant les périodes de stage en entreprises dans la mesure où elles sont pédagogiquement utiles.

2) Réduire les inégalités scolaires :

Le sociologue Jean-Pierre Terrail, entre autres, a bien montré que les causes des inégalités scolaires sont multiples et commencent dès la maternelle. Les leviers pour les combattre seront multiples on ne peut ici tous les passer en revue. L’expérience accumulée par les lycées professionnels peut être très utile dans ce domaine à condition de ne pas considérer que « l’enseignement professionnel opère un tri social » ce qui est faux et injuste .Faux parce que les inégalités scolaires se constituent bien avant l’entrée au Lycée professionnel et injuste parce que l’enseignement professionnel remotive et sort beaucoup de jeunes de l’échec scolaire. C’est précisément cette remotivation par des enseignements autres que généraux qui pourraient être expérimentée notamment au collège et étendue à d’autres domaines que les champs professionnels comme les domaines artistiques, sportifs…Il m’a semblé qu’une partie de la contribution d’Alain Dontaine allait aussi dans ce sens.

Comme nous l’avons vu plus haut, l’éventualité d’une réduction de l’enseignement secondaire à la seule voie générale serait une formidable régression et source d’un accroissement des inégalités. La démocratisation (bien qu’insuffisante) du système éducatif, s’est faite, pour une bonne part par sa diversification. La dernière en date étant la création du bac pro (qu’il faut maintenir en 4 ans) qui a permis à 20% d’élèves de plus d’atteindre le niveau Bac. Il faut poursuivre dans ce sens et décloisonner l’enseignement professionnel en multipliant les passerelles vers les autres voies, en lui ouvrant une double issue par le haut vers l’enseignement supérieur, en créant des structures d’aides aux élèves de l’enseignement professionnel qui veulent entrer dans les filières existantes de l’université et créer une filière universitaire professionnelle qui pourrait également accueillir des adultes dans le cadre de la formation continue.

3) Maintenir le caractère national des diplômes, supprimer le Contrôle continu ou contrôle en cours de formation :

Nous avons vu précédemment l’importance des diplômes nationaux. La généralisation du contrôle en cours de formation à tous les diplômes et sa pratique dans tous les établissements y compris les Centres de Formation d’Apprentis et lycées privés met en péril à brève échéance le caractère national et la qualité des diplômes. C’est de plus le banc d’essai pour l’étendre progressivement à l’ensemble des Bacs ; le mouvement des lycéens, à juste titre, s’y était opposé. Ce système de délivrance des diplômes, outre qu’il ne présente aucune garantie d’impartialité et d’égalité menace de transformer les diplômes en autant de diplômes-maison qui n’auraient plus aucune valeur, ce système doit être supprimé il y a urgence à revenir aux examens terminaux anonymes pour les niveaux V et IV.

Le 22 09 09 JC Duchamp D Ciliberti


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