Mises au point sur l’apprentissage

vendredi 8 janvier 2010.
 

1/ Survol historique de l’apprentissage et évolution de ses effectifs

1911 : création du Certificat de Capacité Professionnelle, puis du CAP en 1919

1919 : loi Astier instaure les cours de perfectionnement professionnel pour les jeunes de moins de 18 ans

1925 : création de la taxe d’apprentissage pour financer le système et pour pénaliser les entreprises qui ne forment pas d’apprentis

1925 : le contrat d’apprentissage devient obligatoire

1939 : échec relatif : 184 000 apprentis (12% des jeunes de – de 18 ans employés)

1959 : 307 000 apprentis et 293 000 élèves de CET (ancien LP)

1967 : 429 000 apprentis et 546 000 élèves de CET

Trente Glorieuses : l’idée que le métier s’apprend à l’école s’impose !

L’apprentissage est sur le point de disparaître, mais….

1971 : loi qui instaure l’apprentissage comme forme d’éducation à part entière et crée les Centres de Formation d’Apprentis (CFA) gérés par des organismes liés au patronat. Le contrat d’apprentissage devient un contrat de travail.

1975 : 733 000 élèves de CET pour 170 000 apprentis

1981 : 228 000 apprentis

1983 : loi de décentralisation, transfère aux régions la compétence en matière de formation professionnelle, elles assureront le financement et la gestion des CFA

1987 : loi Seguin : élargissement du champ de préparation des diplômes au BEP, Bac Pro, BTS, DUT et en 92 aux diplômes d’ingénieur.

1993 : loi quinquennale dope l’apprentissage et lui donne la priorité

1994 : 250 000 apprentis

2000 : 336 000 apprentis

2002 : plan Borloo pour améliorer la qualité de l’apprentissage, fixe l’objectif de 500 000 apprentis en 2010

2007 : les effectifs plafonnent autour de 378 000 et se répartissent de la manière suivante : niveaux V : 59% ; IV : 22% ; III : 11% ; II : 4% ; I :3%. La tendance est plutôt à la diminution du % au niveau V et à l’augmentation dans les autres niveaux. L’apprentissage est inégalement réparti selon les branches professionnelles, mais il a tendance à s’étendre à toutes les spécialités, y compris dans les fonctions et services publics. Le développement de l’apprentissage est aussi très inégal selon les régions, dans certaines comme Les Pays de Loire, le nombre d’apprentis dépasse celui des élèves de lycées professionnels.

2/ Depuis plus de 30 ans : une politique très volontariste de soutien à l’apprentissage

Principal atout pour développer l’apprentissage : le chômage. Rapprochons la formation de l’entreprise et cela améliorera l’insertion des jeunes. C’est aussi au nom de cette argumentation que l’on a organisé, multiplié et augmenté sans cesse la durée des stages en entreprise. Ce qui aboutit à une exploitation éhontée de la jeunesse et a contribué à accroître sa précarisation. Or rien ne montre que les jeunes s’insèrent mieux et durablement par l’apprentissage que par la voie professionnelle, une étude du CEREQ a même montré le contraire.

Le maintien et la progression de l’apprentissage se fait au moyen de plan de dopage régulier. On ne les compte plus depuis 30 ans, y compris sous des gouvernements de Gauche, celui de Mme Cresson notamment. Dès que tombe le soufflet on met un autre plan en œuvre avec toujours plus d’incitations financières pour les entreprises à embaucher des apprentis …. A noter que la crise a des répercussions évidentes sur l’apprentissage, cette année, pour la 1er fois, les CFA ont eu l’autorisation d’accueillir momentanément des jeunes sans contrat d’apprentissage.

3/ Apprentissage/enseignement professionnel : une concurrence pas libre et totalement faussée !

Pour un jeune le principal atout de l’apprentissage c’est d’être payé (un peu !), mais dans cette période de grande difficulté ça compte. Dans l’enseignement professionnel le jeune prépare le même diplôme sans rémunération. Dans certaines disciplines ou niveaux l’élève passe autant de temps dans l’entreprise que l’apprenti pour y accomplir souvent le même « travail », pas toujours d’ailleurs pour l’un ou l’autre, en rapport avec leur formation :l’un payé, l’autre pas : égalité ?

Il fut un temps où la voie scolaire avait au moins un avantage : c’est que globalement on y avait plus de chance de réussir ses examens. Ce temps là est révolu depuis le passage des examens en Contrôle en Cours de Formation (CCF). Le formateur est en même temps juge et parti, c’est lui qui, en définitive, délivre ou pas le diplôme. En CFA la plupart des formateurs sont contractuels, on peut imaginer les pressions des directions pour faire croître le taux de réussite de leur établissement, surtout dans le cadre d’établissements en concurrence : Bonjour la laïcité ! En outre cela conduira à brève échéance à la fin du caractère national des diplômes.

Il est aussi facile de montrer, que sous un verbiage flatteur ( faire de l’enseignement professionnel une voie d’excellence), l’enseignement professionnel est asphyxié. La généralisation du Bac Pro 3ans supprimera 20% des postes en LP pour ne prendre qu’un exemple.

Le pilotage état-région de la formation professionnelle se fait au détriment de l’enseignement professionnel public. En effet les Régions pilotent l’apprentissage, mais c’est l’état qui définit les plans de développement de l’apprentissage qu’il traduit en contrats d’objectifs proposés aux Régions qui peuvent le refuser, mais alors plus de financement. Les régions ont la charge d’établir le PRDF (plan régional des formations) mais elles ne gèrent que l’apprentissage ; c’est l’Etat, via les rectorats, qui décide de l’attribution des postes dans les LP et à ce niveau il serre la ceinture. Voilà pourquoi les Régions pour répondre aux besoins en formation sont contraintes de développer l’apprentissage. Voilà pourquoi, aussi, l’enseignement professionnel est au bord du basculement vers un service public régional de formation, qui achèverait son démantèlement et sa mise sous contrôle des féodalités locales et du patronat.

4/ Un système de formation anachronique

Autant il y a 70 ans l’apprentissage d’un métier pouvait se faire par l’observation de la gestuelle du compagnon et celle-ci, avec les techniques correspondantes, être utilisée toute une vie professionnelle. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Les processus de production ou de service changent en moyenne et globalement tous les 4 ans. Face à cette réalité 2 conceptions de la formation professionnelle, qui vont d’ailleurs avec 2 conceptions de la société :

• On considère que le plus important est de développer les capacités d’adaptation de l’individu directement corrélées à son niveau de culture générale, scientifique et technique qui doit s’élever en portant, par exemple, la scolarité obligatoire à 18 ans, l’ensemble d’une classe d’âge atteignant une culture commune de niveau Bac et 50% de celle-ci poursuivant des études au niveau supérieur.

• Le plus important c’est de « recycler » ou « jeter » les travailleurs au fur et à mesure que changent les techniques, les salariés devant entretenir leur technicité et leur employabilité. Inutile de s’encombrer de « bagages » inutiles, un bon nombre de jeunes n’ont besoin que d’un socle minimum, avant d’entrer dans l’entreprise pour s’adapter à un poste de travail.

Ceux qui partagent cette dernière conception disent que beaucoup de jeunes ne sont pas fait pour l’école qu’ils « s’épanouiraient » mieux dans l’entreprise, d’où les tentatives récurrentes pour sortir les jeunes le plus tôt possible du collège (apprentissage à 14 ans…)

5/ Pédagogie et apprentissage

Au prétexte que l’apprentissage peut offrir des formations du niveau V au niveau I, il fait miroiter la possibilité de parcours qui irait du CAP au diplôme d’ingénieur. De par la structuration et le contenu des formations c’est une possibilité qui ne se rencontre jamais. Les formations en alternance peuvent permettre de passer d’un niveau au suivant à condition d’avoir de bonnes bases scolaires. De manière générale la voie scolaire permet de meilleures poursuites d’études et elle enferme moins que l’apprentissage.

Il est aussi facile de montrer que l’apprentissage n’est pas un remède à l’échec et à l’érosion scolaire. Les ruptures de contrats d’apprentissages sont nombreuses, de 25% à 40% selon les spécialités.

Ce qui ne veut pas dire que des maîtres d’apprentissages ne communiquent pas à leurs apprentis la passion de leur métier et ne les conduisent pas à la réussite professionnelle. Mais de nos jours la passion du métier est souvent supplanté par la passion…du profit. De plus il y a bien longtemps que l’agrément pour être maître d’apprentissage, permettant une relative sélection, a été supprimé

Toute l’expérience de l’enseignement professionnel montre que l’apprentissage d’un métier peut remotiver bon nombre d’élèves qui étaient en échec au collège. Plutôt que la sélection par l’échec dans les matières fondamentales (français, maths), la valorisation par des matières dans lesquelles l’élève peut réussir (champs professionnels, artistiques, sportifs, de la nature et de l’environnement et bien d’autres…) pourrait être judicieusement utilisés pour une diversification du collège, afin qu’il fasse réussir réellement tous les élèves.

6/ L’impossible adéquation formation/emploi

La conception purement utilitariste de la formation conduit à vouloir adapter strictement la formation professionnelle aux besoins de l’économie. Mais sous la double contrainte des évolutions imprévisibles des marchés à moyen terme et des changements technologiques, les patrons sont dans l’incapacité d’anticiper leurs besoins en qualifications, même s’ils font régulièrement reposer cette incapacité à prévoir sur les systèmes de formation.

Ils se plaignent aussi régulièrement d’un manque de main-d’œuvre dans tel ou tel domaine, ce qu’on appelle les métiers en tension. Il s’agit par exemple de la restauration et de l’hôtellerie ou du bâtiment. Mais souvent ce n’est pas un manque de personnels formés, c’est que ces derniers quittent assez vite ces métiers à cause de leur pénibilité et d’insuffisantes rémunérations.

Les flux d’apprentis sensibles aux baisses d’activités économiques ne permettent d’anticiper les besoins en qualification au redémarrage de l’activité.

7/ Apprentissage et alternance : l’idéal du modèle libéral de formation professionnelle

Si libéraux et patronat ont regagné du terrain sur la « scolarisation » de la formation des « Trente Glorieuses », ils n’ont pas achevé leur reconquête. En effet parce qu’ils veulent réduire le service public d’éducation au strict nécessaire : donner un socle minimum de connaissance à tous (et encore ?) il leur faut sortir l’enseignement professionnel (et technologique, mais d’une autre manière) de l’éducation nationale. Mais ils ont d’autres bonnes raisons de le faire en relation avec la défense de leurs intérêts de classe :

a) Contrôler l’ensemble du processus : contenu et validation des diplômes-reconnaissance des qualifications. C’est d’ailleurs plutôt pour ne pas les reconnaître et remplacer cette notion par celle de compétences individuelles et de ce fait individualiser le contrat de travail et détricoter le code du travail. Dans le but évident de réduire les rémunérations et d’accroître l’exploitation des travailleurs.

b) Remettre dans le marché les énormes potentialités financières de la formation, que chaque salarié devra entretenir à ses frais, durant toute sa vie professionnelle d’où l’engouement considérable pour la formation tout au long de la vie. Ce concept servant aussi à réduire la formation initiale. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faudrait pas se préoccuper d’une véritable formation tout au long de la vie qui aille réellement à ceux qui en ont le plus besoins, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

c) Formater les jeunes au « Culte de l’entreprise » le rêve de tout apprenti étant de devenir patron. Sarkozy disait il n’y a pas longtemps : « il faut penser la voie professionnelle comme une école d’entrepreneurs »

Mais il y a un autre point, tout aussi important et peut-être plus que les précédents. La financiarisation de l’économie a aussi des incidences sur la formation, car aujourd’hui avant de produire ou de rendre des services il faut d’abord faire des profits. La notion de rentabilité entre en force dans les référentiels des diplômes. . Depuis l’aube de l’humanité les savoir-faire puis les métiers se transmettent pour satisfaire le mieux possible les besoins humains. Le mieux possible se traduisait dans chaque métier par l’application scrupuleuse des « règles de l’Art » pour faire de bons produits et rendre de bons services ; dans l’accomplissement de leurs tâches les travailleurs y trouvaient fierté et dignité. Aujourd’hui ce n’est plus l’essentiel, car ce qui prime c’est de vendre et de préférence des produits, même de mauvaise qualité, qu’il faudra renouveler le plus vite possible.

On n’apprend plus à réparer mais à changer, cette évolution n’est pas sans conséquence sur le stress au travail et sur le gaspillage qu’engendre ce type d’économie qui ignore les intérêts de ceux qui produisent comme de ceux qui consomment.

Dans tous les discours officiels de nos gouvernants, l’apprentissage et l’alternance sont préconisés comme modèle officiel de formation cherchant en cela à mettre en place le système que suggère l’Europe du traité de Lisbonne.

8/ Intégrer toute la formation professionnelle initiale dans le service public national d’éducation

Comme nous venons de le voir, retirer la formation professionnelle de la mainmise du patronat n’est pas la moindre des ruptures avec le système capitaliste, tant ce secteur lui est indispensable pour maintenir sa domination idéologique et son exploitation du salariat. Le projet de gouvernement du Parti de Gauche devra porter cette rupture et ramener le curseur de la formation professionnelle au taquet du service public d’éducation.

D’autant plus que, rappelons le, l’apprentissage est reconnu comme une forme d’éducation comme une autre, mais qu’il n’est pas un modèle bien laïc étant sous le contrôle de forces économiques qui cultivent plus les intérêts particuliers de l’entreprise que celui de l’intérêt général.

9/ Comment opérer cette rupture ? Quelques pistes soumises au débat

Le sociologue de l’apprentissage Gilles Moreau, explique que depuis ces 30 dernières années les deux systèmes de formation se sont rapprochés : enseignement professionnel public et apprentissage. L’un se « professionnalisant » par l’instauration des stages en entreprise, l’autre se « scolarisant » par augmentation du temps passé en CFA par les apprentis. On pourrait donc envisager un seul système qui dépasserait les 2 et qui serait évidemment à part entière dans l’éducation nationale et sous statut scolaire.

Comme commence à le reconnaître les Régions l’apprentissage coûte cher et un apprenti coûte à la nation 25,7% plus cher qu’un élève en formation professionnelle sous statut scolaire. Sans doute la multiplication des incitations financières publiques à embaucher des apprentis n’y est pas pour rien, sans compter que la gestion complexe de l’empilement de ces mesures est aussi coûteuse. La gestion de 2 systèmes en concurrence qui ont le même objectif manque de rationalité. Bref de multiples raisons plaident pour tout mettre à plat et reconstruire un système unique dans le cadre de la voie professionnelle mais en concevant un prolongement dans l’enseignement supérieur jusqu’au plus haut niveau. On peut penser qu’un tel système serait à la fois moins coûteux et plus efficace.

Mais on ne peut pas ignorer l’impact économique de l’apprentissage essentiellement et traditionnellement implanté dans le petit commerce et l’artisanat. Supprimer brutalement l’apprentissage reviendrait à condamner beaucoup de ces petits commerces ou artisans qui sont utiles à la société.

L’apport des stages en entreprise dans la formation semble largement admis mais doit être modulé dans la durée et les contenus et fortement encadré. Une rémunération de tous les élèves qui s’engagent dans des études professionnelles ne pourrait-elle pas s’envisager ? ( ce qui au passage éviterait à beaucoup d’élèves d’avoir de petits boulots pour vivre : une des principales causes de l’absentéisme). Une contribution de l’entreprise à cette rémunération quand l’élève est en stage, inférieure à celle que l’entreprise donnerait à un apprenti, serait-elle de nature à compenser le turn over des élèves dans l’entreprise ?

On peut imaginer d’autres stratégies. Le simple fait de ne plus faire de plans de soutien à l’apprentissage, de supprimer progressivement les incitations à l’embauche d’apprentis et valoriser l’enseignement professionnel public ferait certainement décroître assez vite les effectifs de l’apprentissage qui pourrait peu à peu s’éteindre.

La reconstruction d’un système de formation professionnelle initiale doit aussi s’articuler avec la formation professionnelle pour adultes et la formation tout au long de la vie, mais c’est encore plus complexe compte tenu de l’implication des partenaires sociaux qui bien souvent co-gèrent les dispositifs et y trouvent tous plus ou moins leur compte !....

Jean-Claude DUCHAMP

Décembre 2009


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