Un front de gauche qui tente d’arracher du faisable dans l’eau des utopies. J’accroche un bras au mur des utopies pour en bâtir un autre cerclé d’humanité (Par Magyd Cherfi, chanteur et écrivain)

dimanche 7 juin 2009.
 

Chers amis ou, comme diraient mes frères, camarades ! Comme vous comme beaucoup… je suis celui qui cherche une équipe, une famille, un front à gauche et de gauche sans plus de qualificatifs…

Je cherche une façon d’être qui ne m’éloigne ni des utopies les plus belles ni des réalités aussi féroces soient-elles. Je cherche cet équilibre fragile, ce sont des actes, ce sont aussi des mots et je ne les aime ni quand ils réduisent le champ des possibles ni quand ils ouvrent la boîte de Pandore.

Je n’aime ni les mots qui sous prétexte de pragmatisme réclament la part récurrente de sacrifice à ceux qui ont les plus bas revenus ni ceux qui, à force de passer du baume à la surface du coeur, ont fini par le rendre insensible.

Les mots… Je suis de ceux qui les utilisent au jour le jour mais qui cherchent aujourd’hui à les rendre plus utiles, peut-être plus efficaces, pour tenter la répartition, j’allais dire la réparation…

Oui la réparation, car je veux être dans mon monde et pas m’en raconter un autre… idéal ou désespéré, peu m’importe. Je veux être dans mon monde et pas un autre, aussi fabuleux soit-il… et en même temps… j’accroche un bras au mur des utopies pour en bâtir un autre cerclé d’humanité.

C’est ainsi que… j’ai parfois deux mouvements contraires qui séparent ma tête de mes quatre membres, parfois ma tête de mon coeur. Je m’écartèle en quelque sorte mais sans bourreau. Le bourreau, j’ai ce privilège de me l’être choisi et c’est moi.

J’aime cette contrariété qui fait le doute et me laisse en suspens plutôt que de m’asseoir sur des vérités toutes faites.

J’aime ceux qui rêvent et qui dans le même temps ne se racontent pas d’histoires, ça fait la différence. Ceux qui construisent de l’utopie à l’écart des illusions, ceux qui ne prennent pas les mirages pour des réalités mais la réalité comme porteuse d’espoirs.

J’aime l’élan qui donne la possibilité d’aller plus loin, le plus loin possible. J’aime l’élan qui s’appuie sur la terre ferme pour que l’impulsion soit plus grande, plus grande sans plus.

L’élan qui ne vous jette pas dans le vide.

Comme beaucoup nous sommes porteurs d’utopies - le mot est lâché. Combien de fois m’a-t-on reproché ou d’en avoir trop ou pas assez ? Dans les deux cas, ma parole s’est trop rarement rapprochée des fragiles, des exclus… car ceux-là n’en peuvent plus des mots, de ceux qui plombent comme de ceux qui exaltent l’avenir. Ils veulent la justesse du propos. La faisabilité d’un rêve.

J’aime à la fois… affronter la contrainte et visiter le champ de tous les possibles, j’aime écarter les cloisons mais en prenant garde à l’effondrement du mur qui les soutient.

L’utopie n’est-elle pas au fond la jonction du possible et de l’inespéré ? L’affrontement de ce qui nous est possible de faire avec ce qui est décent d’espérer. Je me pose aujourd’hui la question : l’espoir est-il un fond sans fin ? ou bien a-t-il une limite qui serait au fond la décence envers ceux qui souffrent de trop l’attendre ou de ne jamais en avoir une once.

Nous qui rêvons d’un monde meilleur, un monde de partage, de solidarité, d’égalité, de fraternité, nous sommes les premiers hantés par ces paroles qui ont usé les plus faibles d’entre nous.

Souvent nous-mêmes… sommes saouls d’attendre et de ne pas en voir un bout suffisamment significatif pour souffler. Certains mêmes se découragent tout à fait quand d’autres tentent, comme le chimiste, la grande variation des doses. Celle d’un peu moins de rêves ou d’un peu plus de pragmatisme, ou le contraire.

Nous en sommes là des gauches, séparées à convaincre l’autre que son dosage est le bon.

J’attends un front du gauche qui tente d’arracher du faisable dans l’eau des utopies. Le possible au bout du possible, je veux dire dans son dénominateur le plus large.

J’aime l’idée d’aller au bout du faisable sans chuter dans l’incantation stérile du tout ou rien. J’aime la main qui fouille le fond des eaux pour y trouver sa pitance et pas celle qui attend d’attraper au vol d’éventuels poissons volants. J’aime le courage de ceux qui ne s’emportent pas des phrases trop faciles à promettre un monde meilleur. J’aime la patience de ceux qui savent la complexité à proposer un bonheur pour tous. Je me pose encore ces questions et moi qui ai grandi au milieu de ceux et celles qui ont manqué de tout, je fonde ma promesse sur le doute… mais pas celui des autres, le mien.

Comment parler aux plus fragiles, leur proposer un espoir décent ?

Comment tenter la promesse de l’horizon sans naviguer trop loin dans le fleuve trouble des sémantiques ? À l’occasion de ces élections européennes, je retente l’espoir car la solution désormais passe par une vision plus large. Embrassons dans nos luttes l’espace le plus large car la plus lointaine destination est aujourd’hui à portée de main. Plus les distances se raccourcissent et plus la misère se ressemble, qui donne l’espoir d’une union à venir.

Aujourd’hui, j’entends partout parler de morale, j’entends qu’il faut moraliser le capitalisme, mais comment moraliser ce qui est dans son essence immorale, et je me dis que c’est aussi hors des frontières qu’il va falloir le dire. D’abord, tout autour de nous, l’Europe, et peut-être plus loin ensuite.

Je dis cela, pourtant je n’aime pas l’utopie sectionnée du monde réel, ni la réalité séparée du rêve, j’aime la jonction des deux et, comme vous, et comme d’autres, je cherche un poisson assez gros, mais pour nourrir le plus grand nombre. Ce poisson aujourd’hui s’appelle l’Europe, alors n’hésitons pas à embrasser ce vaste territoire avant qu’il ne se referme dans les filets de ceux qui veulent le dilapider de sa richesse humaine, d’en faire un espace privé à la merci des marchands...


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