En trente ans, les salariés ont perdu beaucoup d’argent, par Pierre Cassen

vendredi 8 septembre 2006.
 

Souvent, j’entends mon ami Bernard Teper nous dire que le capital a pris 10 points du PIB au travail, soit l’équivalent de 160 milliards d’euros par an, dans les vingt dernières années. Même si le chiffre peut paraître énorme, il ne parle pas beaucoup à la majorité des auditeurs de ses conférences. Aimant les choses concrètes, j’ai donc recherché, en compagnie d’un ami "ouvrier du Livre CGT" ses vieilles feuilles de paie, et ai décidé de les examiner de près.

En 1979, il payait 4,50 % de cotisations sociales sur l’assurance maladie, 4,70 % sur l’assurance vieillesse, et 0,60 % pour les Assedic. Ses cotisations dans les caisses professionnelles s’élevaient à 4,60 %.

Vingt-sept ans après, en mai 2006, il est toujours régi par la même convention collective, et son coefficient est le même (spécificité de la profession). Mais le montant de sa cotisation assurance-maladie est passé de 4,50 % à 7,50 %.

Celui de son assurance vieillesse est passé, lui, de 4,70 % à 6,65 %. Sa cotisation pour les Assedic a progressé de 0,60 % à 4,9 %.

Ses cotisations professionnelles ont explosé, ainsi que la cotisation de sa mutuelle.

S’ajoute, grâce à l’action de Michel Rocard d’abord, puis celle d’Alain Juppé plus tard, la CSG, qui n’existait pas à l’époque. Il paie, comme tous les salariés, 5,1 % de CSG déductibles, et 2,4 % de CSG non déductible. A cela s’ajoute le RDS de Juppé, qui se monte à 0,5 %.

Je me livre à un rapide calcul. En 1979, le montant de ses cotisations sociales se montait à 11,1 % de son salaire brut.

En 2006, je constate que la différence entre le brut et le net se monte à 26,5 %.

J’ajoute un fait qui a son importance. Auparavant, grâce aux accords professionnels et au rapport de force syndical, il y avait dans cette branche l’échelle mobile des salaires.

Quand les indices annonçaient 3 % d’augmentation, il y avait automatiquement les 3 % de majoration, plus 10 %, soit 3,3%, ce qui limitait les dégâts face à des indices défavorables au monde du travail.

Grâce au « camarade » Delors, qui a voulu lutter contre l’inflation, il n’y a plus eu d’échelle mobile des salaires depuis 1982.

Depuis le passage à l’euro, qui s’est traduit par une augmentation très forte des prix, très peu répercutée dans les indices, mais qui se cumule à la fin de l’échelle mobile des salaires, je peux considérer que, depuis 1982, la perte de 0,5 % par an, avec effet cumulé, a fait baisser la valeur de son salaire d’environ 15 %, et je n’ai pas l’impression d’exagérer.

Pour être précis, ce camarade bénéficie d’un salaire de base d’environ 2500 euros par mois, mais tout compris, treizième mois, heures supplémentaires et primes inclus, il gagne 36.000 euros l’année, soit 3000 euros par mois. Pour ceux qui le traiteraient de nantis, je précise qu’il travaille tous les dimanches, cinq soirs par semaine et tous les jours fériés.

Je commence donc à faire les calculs avec lui.

Si Delors n’avait pas bloqué son salaire (et personne ne l’a débloqué depuis), il gagnerait aujourd’hui, non pas 3.000 euros par mois, mais quinze pour cent de plus, soit 3.450 euros nets, soit donc, avec les 26,5 % de cotisations sociales actuelles, 4350 euros brut.

Si le montant de ses cotisations sociales (je ne dis jamais charges sociales) était demeuré le même qu’en 1979, il gagnerait donc, en net, onze pour cent de moins que 4350 euros, soit la somme de 3875 euros.

Conclusion simple : par rapport à l’année 1979, il gagne, en valeur constante, la somme de 875 euros de moins tous les mois, quand j’ajoute le blocage de son salaire et à ses 15,5 % d’augmentation de cotisations sociales. Il me dit par ailleurs que pendant cette période, les employeurs n’ont eu de cesse de remettre en cause son salaire de base, et qu’ils ont été mis en échec par le rapport de forces syndical.

Certes, il est ravi d’avoir contribué à ce que les personnes âgées vivent plus longtemps, mais il constate qu’il est nettement moins remboursé qu’auparavant, que ses frais pour les yeux et pour les dents ne sont pratiquement pas pris en charge par le régime général. Mais ses cotisations vont payer, cette année, l’assurance des chirurgiens, dans une profession où les gros pontes libéraux se servent bien sur la bête.

Il est également ravi d’avoir contribué à ce que les anciens puissent profiter d’une retraite décente. Mais il constate que les nouvelles conditions créées par Balladur en plein été 1994 ont fait passé le mode de calcul des dix meilleures années aux vingt-cinq meilleures années, et que les modes de calculs indiciaires ont fortement amputé le niveau des retraites. Un camarade lui a démontré que sa retraite sera amputée, grâce à ce nouveau mode de calcul, de plus de 150 euros par mois.

Mais que dire des pertes subies par les citoyens en trente ans ?

En 1979, le montant de la TVA était de 17,6 %, et qu’aujourd’hui, elle se monte à 19,5 %, sans parler des taxes sur l’essence.

Le montant des impôts sur le revenu n’a pas diminué. Par contre, celui des impôts locaux à explosé, notamment le prix du ramassage des ordures ménagères, et le financement de ces nouveaux échelons d’élus que sont la Région, les communautés d’agglomération (sans oublier, sur d’autres budgets, les élus européens).

Cela n’a pas empêché la dette de la France de s’aggraver, les déficits des régimes de santé de continuer de s’accroître, malgré nombre de plans de redressements qui se traduisent par des cotisations sociales supplémentaires, et une privatisation accrue.

La richesse du pays, de par la vente, parfois la braderie, de ses services publics et son patrimoine, n’a cessé de diminuer.

Je ne parlerai pas de l’explosion du prix du mètre cube d’eau, des transports, des prix de rentrée scolaire et autres.

J’entendais deux propos, en quelques jours. Nicolas Sarkozy s’est fait ovationné debout par le Medef. Il a trouvé le remède à tous les maux, ce qui ne va pas en France, ce sont les 35 heures. « Comment a-t-on pu promettre aux Français qu’en travaillant moins, ils allaient gagner plus » glapit le démagogue, qui par ailleurs veut que les grèves se fassent maintenant par le vote à bulletin secret dans les entreprises. Mais ce que veut Sarkozy, ce qu’il n’ose pas dire à haute voix, à la veille d’une élection, et il ne fait que rejoindre le créneau de tous les libéraux, c’est que les Français doivent « travailler plus, et gagner moins ». Le smic est encore trop élevé, voilà le credo des patrons du Cac 40. Ce qui a été volé au monde du travail depuis trente ans ne leur suffit pas.

J’ai lu d’autre part une interview de Laurent Fabius, qui prétendait qu’il serait le candidat de la feuille de paye, et qui annonçait quelques mesures - bien timides - pour concrétiser cela.

Je ne doute pas de la bonne foi de Laurent Fabius, mais qu’il paraît loin du compte !

A part cela, celui qui montre une volonté politique, et donne une méthode pour aller vers la récupération de ces dix points du PIB au profit des salariés aura une oreille très attentive de la part du monde du travail.

Pierre Cassen


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