Rémunérations. Un spectre hante la finance, celui de la «  révolte des salariés  »

samedi 9 septembre 2017.
 

Les libéraux ou les conservateurs ont beau avoir remporté les dernières élections dans les principaux pays de l’OCDE (États-Unis, Royaume-Uni, France, Japon), la finance guette avec inquiétude la tempête à l’horizon. La raison  ? La «  révolte des salariés  », qui pourrait porter au pouvoir des gouvernements de gauche décidés à changer radicalement de politique salariale dans les années qui viennent. C’est le scénario «  tout à fait plausible  » sur lequel travaille l’économiste en chef de la banque Natixis, Patrick Artus, pour inciter les «  investisseurs de long terme  » (fonds de pension, assurances-vie) à se prémunir dès maintenant contre les «  effets très négatifs  » du «  choc inflationniste  » qui en résulterait, selon lui. Celui-ci rongerait alors le rendement des placements.

Le changement «  peut se produire rapidement dans certains pays  »

«  Dans les pays de l’OCDE, les salariés pourraient se révolter pour protester contre les inégalités de revenus, la déformation du partage des revenus en faveur des profits, la faible hausse du salaire réel depuis 2000 (et) la hausse de la pression fiscale  », avertit Patrick Artus dans une note datée du 18 août. «  Alors que depuis vingt ans l’inflation a diminué en raison essentiellement de marchés du travail devenus plus flexibles et que les salariés ont perdu du pouvoir de négociation, on peut imaginer l’évolution inverse dans les vingt prochaines années  », explique Patrick Artus à l’Humanité, et «  ceci peut se produire rapidement dans certains pays. Imaginons que Corbyn gouverne au Royaume-Uni, il y aurait probablement une politique salariale différente, avec une hausse des bas salaires  ». Même chose, selon lui, si «  les démocrates gagnent dans trois ans et demi aux États-Unis  ».

«  Dans beaucoup de pays, les partis de gauche ont mis dans leur programme une politique de stimulation des salaires  », relève l’économiste, qui cite également la percée de Jean-Luc Mélenchon en France à la dernière élection présidentielle. Patrick Artus anticipe donc un «  processus électoral  » qui porte ces partis de gauche favorables à une relance salariale à la tête d’un ou plusieurs grands États de l’OCDE. «  Si on raisonne à dix ou vingt ans, il faut introduire la possibilité qu’on change de régime en matière de formation des salaires. Les investisseurs doivent se poser la question  », insiste l’économiste. un fort mécontentement des salariés...

«  Si on regarde attentivement le résultat des dernières élections en France, on constate un fort mécontentement des salariés, même s’il ne s’est pas traduit dans un vote utile aux travailleurs  », abonde de son côté l’économiste de la CGT Nasser Mansouri-Guilani. Mais très vite les deux économistes divergent dans leurs diagnostics et leurs points de vue. Là où celui de Natixis se préoccupe de désintoxiquer les marchés financiers de la «  désinflation  » salariale en imaginant une parade pour soustraire les détenteurs d’actifs financiers au retour de l’inflation, le syndicaliste insiste sur la nécessité de combattre avant tout «  l’inflation financière  » à l’origine de la «  financiarisation de l’économie  », qui est la «  contrepartie de la déflation salariale  ». En résumé, de mener d’un même pied le combat pour l’augmentation des salaires et pour la baisse du «  coût du capital  ».

Pour Nasser Mansouri-Guilani, «  le problème n’est pas d’abord l’inflation au sens de la hausse des prix, même s’il faut veiller à ce que les salariés n’en pâtissent pas. Le véritable enjeu, c’est de sortir de ce cercle vicieux de l’inflation des dividendes et des intérêts pour le capital. Depuis la crise, des milliers de milliards ont été injectés dans l’économie et, malgré la faible inflation, cet argent n’a pas été utilisé pour relancer l’investissement productif. Natixis n’en parle pas. Si on reste dans une grille de lecture libérale, ce n’est jamais le bon moment pour augmenter les salaires, parce qu’il faut tout donner au capital  ». L’économiste de la CGT préconise d’aborder la question d’une autre utilisation de l’argent en la liant à celle d’un «  nouveau mode de développement  », pour à la fois «  répondre aux besoins de pouvoir d’achat de la population, réduire les inégalités et investir dans le potentiel productif du pays  ». Car, rappelle-t-il, il n’y a pas que les salaires qui sont en panne  : «  la recherche-développement, l’emploi industriel doivent être aussi revalorisés  ».

Sébastien Crépel, L’Humanité


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