Il est important de comprendre le contexte de combat démocratique permanent dans lequel a vécu le jeune Marx durant son enfance et son adolescence mais aussi ses parents, ses beaux parents et leurs proches.
La révolution, y compris bourgeoise, qui va de 1789 à 1813, a lourdement influé sur les territoires de la rive gauche du Rhin (dont Trêves, ville natale du jeune Marx) par l’engagement de nombreux intellectuels, notables et militaires en sa faveur, par l’intégration sous Napoléon parmi les départements français, par de profondes transformations économiques, politiques, juridiques et sociétales.
Lorsque l’empire napoléonien s’effondre en 1814, des forces importantes en ont assez des guerres mais ne souhaitent pas le retour du royalisme arriéré d’avant 1789. Ainsi, les milieux populaires français se mobilisent majoritairement dès 1815 lors des Cent Jours, ainsi se forment des réseaux en Italie, en Belgique, en Espagne...
Dans la confédération germanique, un mouvement démocratique opposé à l’absolutisme des princes se forme très tôt. La répression aussitôt déclenchée par la réaction oblige les animateurs de la Burschenschaft à créer une organisation secrète nommée "Ligue des intransigeants". En 1819, la Sainte Alliance décide d’une répression implacable contre tous les intellectuels et toutes les personnalités d’orientation libérale du point de vue sociétal. Les organisations étudiantes et la presse sont particulièrement visées. Le gouvernement réactionnaire prussien va encore plus loin, en créant un système de censure des publications passant par une autorisation de trois ministres (Cultes, Police et Affaires étrangères). Ce contrôle tatillon se maintiendra jusqu’en 1830.
Le cas de la Rhénanie (dont la ville de Trêves) est particulièrement intéressant. L’influence française y avait été forte de 1793 à 1814 générant la disparition de l’ancienne pyramide féodale, un développement économique important, instaurant l’uniformité et la laïcité du droit, le partage égal des successions, l’égalité juridique et politique... Lorsque le roi de Prusse essaie après 1814 de rétablir l’inégalité civile, il se heurte à une opposition générale.
De plus, la région de Trêves connaît de 1814 à 1830, une crise économique importante qui se traduit par la misère totale d’une large partie des milieux populaires. Les intellectuels et notables progressistes comme le père Marx participent à des associations d’aide aux mendiants. Ce contexte marque toute l’enfance et l’adolescence du jeune Karl.
En conclusion, nous pouvons dire que l’immense ébranlement de la société européenne par la Révolution française a généré de nombreuses conséquences que les princes de la Sainte Alliance vont vainement essayer d’abattre ; ce combat titanesque va peser sur Marx, son milieu de vie, sa famille, sa jeunesse, ses études, ses premiers engagements, les philosophies politiques auxquelles il a été confronté.
1a) Le contexte politique européen
Les manuels scolaires englobent dans une même période la Révolution et l’empire napoléonien (1789 à 1815), dans une autre la Restauration légitimiste puis orléaniste (1815 à 1848). En fait, la période révolutionnaire s’étend seulement en France de 1789 à 1794, le 9 thermidor puis le 18 brumaire marquant sa fin ; en Europe, cette période peut être étendue au plus jusqu’en 1802.
Une nouvelle période révolutionnaire éclate au niveau européen en 1830. Elle nous importe ici car le père de Karl Marx et ses amis, la famille voisine dont sa future épouse, ses enseignants de lycée se trouvent largement impliqués dans le mouvement qui fleurit alors en Rhénanie, y compris sur Trêves et Bonn.
Toute période révolutionnaire pose l’éternelle question : l’avenir, c’est par où ? Ainsi, la réflexion politico-philosophique prend un nouvel essor, d’autant plus acerbe que le régime prussien réagit seulement par la surveillance et la répression policière.
1b) La famille de Karl Marx
Il naît à Trêves le 5 mai 1818, deuxième enfant d’une phratrie de neuf (Moriz, Sophie, Karl, Hermann, Henriette, Louise, Emilie, Caroline).
Sa mère, Henriette Pressburg est issue d’une famille juive hollandaise.
Son père Hirschel Marx, fils de rabbin, homme des Lumières (Kant, Lessing, Rousseau, Voltaire...), était avocat, bâtonnier du barreau, conseiller de justice. Après la chute de Napoléon 1er et l’intégration de la Rhénanie Palatinat dans le royaume de Prusse, il fut obligé par Berlin de choisir entre sa profession et la religion juive. Etant déjà fort éloigné d’une conviction religieuse israélite, il se fit baptiser dans la religion chrétienne luthérienne sans problème de conscience. Il fut cependant révolté par la méthode.
Hirschel (devenu Heinrich par son baptême chrétien) resta un progressiste, actif politiquement au sein du Parti Constitutionnel modéré, dans les années 1830 où le régime prussien évoluait vers un absolutisme policier et un conservatisme aristocratique.
1c) Le contexte local
Suite à plusieurs décisions de Berlin, la misère gagna les vignerons de la Moselle puis les artisans. Aussi, la première personnalité allemande caractérisée de "socialiste" habite Trêves comme les Marx. Notons par exemple cette phrase de son opuscule publié en 1835 « Les classes privilégiées et les classes laborieuses, profondément séparées par des intérêts diamétralement opposés, se dressent l’une contre l’autre ; la situation des unes s’améliore dans la mesure où la situation des autres devient plus pauvre, plus précaire, plus misérable. »
Un autre élément mérite d’être signalé pour comprendre cette ambiance locale et familiale. La Sarre (lieu de résidence et de profession de son grand père) comme la région de Trêves étaient à cheval entre deux civilisations : la française et l’allemande. Les idéaux de La Révolution française y avaient été bien accueillis avant la déliquescence conservatrice de l’empire. Le club du Casino fondé en 1802 restait dans les années 1830 un pilier d’idées démocratiques. Lors d’un banquet de ce groupe, le 25 janvier 1835, furent chantées La Marseillaise et La Parisienne. Heinrich Marx fut dénoncé comme ayant participé aux "discours les plus libéraux" et aux chansons. Dès lors, il devint un suspect particulièrement surveillé par la police prussienne. , de même que le directeur de son lycée. Karl n’a alors que 15 ans et se sent solidaire d’un père auquel il portera toujours une grande affection.
1d) Marx lycéen
Entré au Gymnasium ( lycée) en 1830, il sera un élève moyen. Le directeur cet établissement faisait également partie du Casino ; nommé Johann Hugo Wittenbach, c’était un professeur d’histoire de formation kantienne, orateur de la célèbre fête de Hambach le 17 mai 1832. Parmi les autres enseignants contestataires, notons le professeur de sciences Steininger. Les lycéens eux-mêmes participaient à cette ambiance politique comme le révèlent de nombreux rapports officiels de surveillance et délation.
Ce contexte, caractérisable d’humaniste, peut expliquer l’expression fréquemment utilisée par Karl Marx, héritée du rousseauisme et du kantisme "Travailler pour l’humanité". Sa Méditation d’un adolescent sur le choix d’une profession contient une phrase caractéristique « Lorsque nous avons choisi la profession dans laquelle nous pouvons le mieux servir l’humanité, les faits ne peuvent nous courber, car ils ne sont que des sacrifices qui profitent à tous. »
C1) Etudiant à Bonn
Après avoir obtenu son Abitur (baccalauréat), il entre à l’université, d’abord à Bonn, en octobre 1835. Cette ville vient de connaître en avril 1833 une tentative de révolution locale avec constitution d’un gouvernement provisoire. Les étudiants en ont été la principale force agissante ; aussi, ils subissent le poids essentiel de la répression. Toutes leurs associations sont dissoutes sauf celles dévolues à la fête et aux boissons dites "clubs de tavernes". Karl devient président de l’un d’eux et écope d’un jour de prison pour "ivresse et tapage nocturne". Il participe aussi au "club des poètes" particulièrement surveillé par la police. L’ambiance politique reste électrique entre les fils d’aristocrates méprisants et les fils de bourgeois ; leurs frictions se terminent fréquemment en duel ; c’est ainsi que le jeune karl se voit blessé au-dessus de l’oeil gauche.
C2) Etudiant à Berlin
En octobre 1837, Karl s’inscrit à la faculté de Berlin, ville qui comptait alors 300000 habitants. Si la liberté régnant en Prusse ne dépassait pas celle d’une caserne, si la faculté de la capitale pouvait être caractérisée de "maison de correction" par Feuerbach, des niches de parole libre existaient. Tel était le cas du cours d’histoire de la Révolution française professé avec enthousiasme par Eduard Gans, un ancien proche de Hegel. Nous savons que Marx suivit cet enseignement avec "une parfaite assiduité". Il faisait son droit en étudiant studieux mais éprouvait « avant tout une impulsion à se mesurer avec la philosophie » afin « de chercher l’idée dans la réalité même ». Aussi, il participe assidument au Doctorklub des hégéliens parmi lesquels se dessine une scission entre une droite et une gauche.
Parmi les personnalités de ce Doktorklub, citons le professeur d’histoire Karl Friedrich Köppen, pionnier du socialisme allemand, futur acteur du mouvement ouvrier berlinois en 1848 1849 avec lequel Marx va entretenir une relation d’amitié.
C3) Marx, critique de la religion parmi les "jeunes hégéliens"
Dans les années 1835 à 1837, le mouvement révolutionnaire perd son assise populaire en Allemagne mais quelques intellectuels radicalisent leur contestation des anciennes valeurs inhérentes à la société féodale. En 1835, David Friedrich Strauss Publie sa Vie de Jésus, coup de tonnerre sur l’édifice social et culturel que représentait le christianisme, version prussienne. Cet ouvrage déclenche pour plusieurs années une polémique entre hégéliens conservateurs (appuyés sur les Annales berlinoises de critique scientifique) et un courant plus ouvert (appuyé sur les Annales de Halle pour la science et l’art allemands). Ces derniers revendiquent « le droit pour la philosophie et la science de soumettre la religion à une analyse critique »
Dans son Introduction à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Marx va prolonger son analyse La critique de la religion est la condition nécessaire de toute critique. Le fondement de la critique religieuse est le suivant : l’homme fait la religion, la religion ne fait pas l’homme... La religion est la réalisation fantastique de l’être humain... La lutte contre la religion est donc indirectement la lutte contre un monde dont elle est l’arôme principal.
C4) Marx parmi les "jeunes hégéliens"
Le chantre de la critique hégélienne du discours dominant se nommait Bruno Bauer, chargé de cours à la faculté de théologie dont Otto Maenchen-Helfen dit : Sa vaste culture, son don des formules saisissantes, son ironie et la hardiesse de sa pensée firent de lui le chef d’élection du mouvement jeune-hégélien... Entre 1835 et 1845, alors que l’époque exigeait la critique des valeurs anciennes, la destruction des vieilles idoles, Bruno Bauer se battit à l’avant-garde.
De 1839 à 1841, l’idéologie allemande imprégnée d’hégélianisme vit un tournant majeur qui conduit à une opposition de plus en plus marquée entre la Gauche hégélienne (ou « Jeunes hégéliens » ) et l’aile droite formée par les « Vieux hégéliens ».
Le Doctorklub évoluait de plus en plus vers la gauche, vers l’athéisme, vers l’opposition politique. Dès 1841, il prend pour intitulé Les Amis du Peuple, dénomination de l’association qui avait joué un rôle d’avant-garde dans le 1830 français. Marx s’engagea sans compter son temps et son énergie dans ce groupe. Ses deux amis Friedrich Engels et Edgar Bauer le décrivent ainsi à cette époque :
Qui donc s’élance ainsi, avec fougue sans trêve,
Un monstre impétueux, un noir gaillard de Trêves,
Il va, il court, il saute, il bondit à plaisir,
Débordant de fureur ! Comme un qui va saisir
Des cieux l’immense voûte et l’attirer à terre,
Il tend ses bras au loin, très haut dans l’atmosphère.
Son poing méchant se serre ! Il semble aussi nerveux
Que si mille démons le tiraient aux cheveux !
C5) Thèse de doctorat
La période 1939 à 1941 durant laquelle il prépare et rédige cette thèse correspond à un tournant dans l’histoire de l’idéologie allemande en général mais aussi dans la trajectoire philosophique de Marx qui évolue de Hegel à Feuerbach dont L’Essence du christianisme paraît fin 1841.
Marx n’avait ni le temps, ni l’envie de suivre les cours. Il présenta cependant sa thèse devant l’université d’Iéna Différence entre la Philosophie de la Nature de Démocrite et celle d’Epicure.
Lorsque Marx obtint ses diplômes sanctionnant la fin positive de ses études universitaires, l’Etat prussien s’enkystait dans un délire piétiste réactionnaire qui exclut Bauer de sa fonction et ne laissait aucune chance à Marx de devenir enseignant. Il passa ainsi un an en Rhénanie, entre Cologne, Bonn et Trêves.
Georg Jung le décrit ainsi dans un courrier destiné à son ami Arnold Ruge Prépare-toi à connaître le seul vrai philosophe vivant... Il donnera le coup de grâce à la religion et à la philosophie médiévales ; il allie l’esprit le plus mordant à la plus profonde gravité philosophique : imagine Rousseau, Voltaire, Holbach, Lessing, Heine et Hegel fondus en une seule personne... voilà le docteur Marx.
D1) La Gazette rhénane
COMPLEMENTS
Dans les années du libéralisme euphorique (1980, 1990), la pensée de Marx est morte des centaines de fois sous le stylo de milliers de journalistes répétant ce que le Grand patron actionnaire aimait lire.
Les voix discordantes se faisaient rares. Notons celle du philosophe Jacques Derrida : « Ce sera toujours une faute de ne pas lire et relire et discuter Marx. Ce sera de plus en plus une faute, un manquement à la responsabilité théorique, philosophique, politique. »
Oui, ne pas lire Marx relève de l’irresponsabilité théorique.
Marx a travaillé sur les fondements d’une théorie critique permettant d’aborder conjointement ce que nous appelons aujourd’hui la philosophie et l’économie, la sociologie et l’environnement, la lutte des classes, la psychologie et la politique, l’histoire de l’art et l’histoire des techniques... Beaucoup de concepts et de mots utilisés par le barbu sont même passés dans le langage courant. Comme disait l’historien Fernand Braudel, il faudrait une incroyable police du vocabulaire pour en finir avec le marxisme.
Oui, ne pas lire Marx relève de l’irresponsabilité politique
En posant les fondements d’une analyse du capitalisme, de ses tendances fondamentales, de ses contradictions, de ses crises et des luttes de classes qu’il génère, il a ouvert un champ de réflexion chaque jour un peu plus utile.
Affirmer cela ne signifie absolument pas prendre tous les écrits de Karl Marx pour une nouvelle Evangile. D’une part, ils sont marqués par l’époque où ils ont été produits ; d’autre part, certains concepts centraux et même pistes de stratégie demandent à être revisités de façon critique.
Oui, ne pas lire Marx relève de l’irresponsabilité philosophique.
Si la philosophie cherche les fondements d’une réflexion à la fois générale et concrète, il est impensable de ne pas prendre Marx en compte.
D’une manière générale, Marx est l’héritier de la pensée matérialiste (Démocrite et Épicure) et d’un certain XVIII ème siècle dans lequel on retrouve Diderot, Helvétius, La Métrie. Il s’inspire librement de la pensée de Hegel et lui reprend la dialectique comme mouvement qui naît de la contradiction : pour Hegel, c’est le mouvement de la conscience, de la pensée, pour Marx ce sera le mouvement des sociétés matérielles. Marx affirme qu’il a remis sur ses pieds la dialectique en prenant pour point de départ l’infrastructure ou réalité des processus économiques liés au travail : les rapports de production en relation avec les forces de production.
Marx prétend redonner tous les droits à la matière, non pas aux atomes d’Épicure, mais à la réalité vivante, ce qui est le lieu du mouvement dialectique se développant par la contradiction. Ce ne sont donc pas les idées qui mènent le monde car l’évolution historique reçoit son impulsion de la contradiction entre les rapports de production et les forces matérielles de production.
Source : http://www.philagora.net/etude-de-t... :
Etre marxiste aujourd’hui,
c’est quoi, au fond ? par Daniel Ben Said :
Je ne dirais pas que je ne le proclame plus, mais je le dis rarement, parce que l’histoire du mot a pris le dessus sur le sens, la connotation sur la signification. Le mot a servi a tant de choses différentes et contradictoires qu’il ne peut plus être utilisé innocemment. Il y a eu des marxismes d’État, des marxismes de parti... Aujourd’hui, il faudrait parler de mille (et un) marxismes. Ce pluralisme découle des contradictions mêmes et des limites historiques de la pensée de Marx. C’est un héritage ouvert : comme disait Derrida, l’héritage, ce n’est pas quelque chose qu’on dépose au coffre, c’est ce qu’en font – et en feront - les héritiers.
Paru dans M. Vakaloulis et J.-M. Vincent (dir.), Marx après les marxismes, tome 1, L’harmattan, 1997, pp. 9-45, livre aujourd’hui épuisé.
La pensée de Marx marque une césure dans l’histoire de la théorie : qu’on le veuille ou non, il y a un avant et un après Marx, et un après Marx qui ne veut pas et ne peut pas finir. Malgré [sic] l’effondrement du « socialisme réel » et la crise des organisations politiques qui revendiquent l’héritage de l’auteur du Capital, son œuvre est toujours l’objet de controverses et d’affrontements récurrents au-delà des phénomènes de mode. Il y a là quelque chose de paradoxal dans la mesure où Marx est un homme du passé (du dix-neuvième siècle), dans la mesure aussi où il a eu des disciples qui ont tiré de sa pensée des dogmes à prétentions universelles. Marx ne doit-il pas, comme un autre, rendre des comptes pour tous les crimes et méfaits qui ont été commis en son nom ? Ne faut-il pas, à son propos, faire le travail du deuil pour le mettre à sa juste place et montrer qu’il est dépassé ? Les réponses à ces questions qui a priori n’ont rien d’illégitime ne sont pas simples, mais on peut les cerner de la façon suivante : la pensée de Marx dans son inachèvement et sa tension vers d’autres façons de théoriser dérange, déstabilise aussi bien ses adversaires que ceux qui veulent en être ses sectateurs. Elle n’est jamais au repos ou satisfaite d’elle-même, parce qu’elle pose des questions inhabituelles et qu’elle remet sans cesse en chantier ses propres élaborations. Pour préciser un peu mieux cette révolution théorique on pourrait dire avec Adorno, en première approximation, que Marx conçoit la connaissance comme une réflexion du processus de travail et comme un rapport social (cf. Adorno, Kants Kritik der reinen Vernunft, Frankfurt, 1995, p. 260).
Il est vrai qu’avant lui, Hegel avait essayé de mettre en évidence les aspects objectifs (non transcendantaux au sens kantien) du penser, c’est-à-dire ses aspects processuels dans ses tentatives d’appropriation symbolique du réel. Le penser devait se mesurer à l’objectivité, non pas en restant engoncé dans sa subjectivité, mais en s’introduisant dans les rapports objectifs pour mieux les pénétrer. Mais ce travail du concept, s’il était bien pour Hegel un travail au sens fort du terme, était détaché des rapports effectifs dans la société de son temps. Le penser accédant à l’idée (au plein développement conceptuel) échappait, selon Hegel, à la division du travail, alors que, pour Marx, les processus de pensée et la production des connaissances ne pouvaient pas ne pas être articulés aux rapports de travail et de production. Comme le montrent les textes de la période d’Iéna, notamment les textes sur la philosophie de l’esprit, Hegel qui n’ignorait pas l’économie politique classique, avait longuement réfléchi sur les effets négatifs du travail subordonné et dominé dans l’économie et il en concluait que pour être véritablement libre et féconde la pensée devait s’élever au dessus de la matérialité de ce travail. Le jeune Marx, au contraire, est très tôt persuadé, lui, que la conscience de soi, même lorsqu’elle s’est débarrassée de son subjectivisme comme le demandait Hegel, ne peut pas ne pas être affectée en profondeur par la division du travail. L’élévation de la pensée au-dessus du travail est elle-même liée à la différenciation des activités au sein de la société bourgeoise. La pratique théorique en raison (Vernunftpraxis) est dépendante des pratiques réelles qui rendent son exercice possible, et elle est forcément située dans le champ des forces sociales. Il lui faut prendre position, ce que Hegel admettait fort bien, mais aussi s’interroger sur ses propres implications dans les rapports sociaux et politiques, ce qu’il n’était guère prêt à prendre en compte. Le processus de la conceptualisation, pour lui, était un procès téléologique de passage de fini à l’infini, c’est-à-dire un procès de transfiguration du travail dans la puissance de la pensée dans le but de réconcilier l’idée et l’effectivité (Wirklichkeit) et la société avec elle-même.
La critique de l’idéalisme hégélien à laquelle procède Marx dans les manuscrits parisiens de 1844 est très clairement d’inspiration feuerbachienne. Il réprouve nettement la dévalorisation hégélienne du monde sensible et objectif au profit de l’abstraction spéculative, mais en même temps on le sent soucieux de préserver des éléments essentiels de la critique philosophique telle que la concevait Hegel, en particulier sa volonté de penser son époque de façon rigoureuse. Il ne veut ni revenir au transcendantalisme kantien, ni accepter la surestimation activiste de la conscience de soi que l’on trouve chez les jeunes hégéliens qui croient disposer avec elle du moyen privilégier de changer le monde. Toute la charge polémique de la Sainte famille quelques temps plus tard vise précisément les illusions d’une critique qui ne se pose pas la question de son rôle dans la société, mais affirme d’emblée sa supériorité par rapport à cette dernière à partir de considérations normatives. La véritable pensée critique, selon Marx, doit faire la preuve de sa capacité à analyser le monde social et la façon dont les hommes y sont insérés, et cela sans opposer au réel un devoir-être abstrait qui ne peut que se révéler très vite impuissant. Il ne peut y avoir de liberté sans qu’il y ait des relations sociales qui seraient elles-mêmes porteuses de liberté. Autrement dit, la conscience de soi ne peut rester seulement conscience philosophique, mais doit se préoccuper de forger des instruments intellectuels pour l’action et simultanément essayer de déterminer les obstacles qu’elle peut mettre elle-même à la transformation de la société. On peut d’ailleurs lire les textes sur la philosophie hégélienne du droit et de l’Etat comme une remise en question de la conscience philosophique dans ses rapports avec le pouvoir et les formes de domination. Marx y dénonce avec force la complicité ou la connivence du philosophe Hegel avec les figures contemporaines du pouvoir (l’Etat rationnel hégélien), mais on ne risque guère de se tromper en avançant qu’il incrimine aussi « le matérialisme sordide » (l’acceptation du fait accompli) de la conscience philosophique en général et son incapacité à poser sérieusement ce type de problèmes.
C’est pourquoi il n’est pas très pertinent d’attribuer au jeune Marx une conception restrictive du projet de critique de l’économie politique. Dès 1844 il est multidimensionnel et polyphonique, même s’il reste marqué par une conception essentialiste et de l’homme et de l’aliénation. Différents thèmes se croisent et s’entrechoquent, se complètent et se combattent en poussant la critique marxienne de l’économie bien au-delà d’une critique des seuls rapports économiques. La critique de l’économie politique est, bien sûr, une critique de l’épistémé de l’économie classique, notamment de son traitement des rapports de travail. En même temps, elle est une critique de l’économie comme lieu où se nouent et se cristallisent des relations sociales et des relations des hommes à eux-mêmes que Marx qualifie d’abstraites. D’emblée, cette réflexion se situe au-delà des discours sur l’injustice ou l’inhumanité du capitalisme, elle se fixe plutôt comme objectif de saisir ce qui constitue et caractérise le lien social. L’agrégation des individus aux rapports sociaux est abstraite, parce qu’ils sont eux-mêmes des isolats sociaux qui, dans la concurrence, doivent faire abstraction de leurs propres présupposés sociaux (connexions aux autres et au monde social) pour s’affirmer et se préserver. On ne peut pas se produire soi-même sans la société (l’ensemble des assemblages et rapports sociaux), mais on doit le faire aussi contre elle. Il en résulte que la conscience de soi ( un aspect de la production de soi-même) est elle-même abstraite et ne peut être qu’un support très problématique du travail théorique. Faire la critique de l’économie politique, c’est donc aussi dégager les conditions d’une critique efficace de la conscience théorique et se donner les moyens de penser autrement.
Cette thématique est particulièrement apparente dans le « Saint Max » de L’idéologie allemande, texte souvent négligé en raison de son caractère très polémique, alors qu’il contient des développements de grande portée. Il y a en particulier des passages très éclairants sur l’exploitation mutuelle, c’est-à-dire l’utilisation que les individus font les uns des autres dans la vie sociale. Marx n’a pas peine à montrer qu’il y a là la présence d’un trait fondamental de la société bourgeoise, la relation de possession et de recherche de maîtrise que les hommes entretiennent avec le monde qu’ils produisent. Sans doute, l’exploitation mutuelle peut elle apparaître au premier abord comme une manifestation de vitalité des individus ou encore comme l’établissement des relations aux autres dans la réciprocité. En réalité, il s’agit de relations asymétriques, inégalitaires et conflictuelles qui tournent à l’avantage des uns et au désavantage des autres et qui impliquent en outre une relation utilitaire à soi-même, c’est-à-dire une relation d’auto-possession comme condition des relations de possession en général. Mais il faut encore aller plus loin et se rendre compte que l’exploitation mutuelle, au-delà de ce qu’en dit Stirner, se déploie surtout comme appropriation individuelle d’éléments de production collective. Au delà de l’utilisation des individus dans les relations intersubjectives, il y a en effet l’utilisation des individus dans la production et plus précisément dans la division du travail ainsi que dans les formes de commerce (Verkehrsformen), c’est-à-dire les formes de l’échange et de la communication. C’est dire que l’extension des échanges et la diversification de la production va de pair avec l’extension et l’intensification de l’exploitation et des relations utilitaires. La raison qui préside à ces développements est non seulement une raison utilitaire et calculatrice, mais aussi une raison prédatrice qui envisage les échanges, matériels et symboliques entre les hommes sous l’angle quasi exclusif de la profitabilité. Dans un tel cadre, le savoir se présente comme un ensemble de compétences unilatéralement orientées vers la production de connaissances que l’on peut mettre en valeur et qui sont utilisables dans la division du travail.
Tout ce travail critique et autocritique de Marx se donne pour but de laisser derrière lui ce qu’il appelle le « pourrissement de l’esprit absolu » et la spéculation (au sens hégélien) afin de promouvoir la « science positive ». On remarque effectivement qu’un certain nombre de développements dans L’Idéologie allemande ont des résonances empiristes. Il faut toutefois se garder de faire de Marx un positiviste, même si l’on peut se poser des questions sur la dialectique des rapports de production et des forces productives en tant qu’explication de la dynamique historique (qui apparaît dans le texte consacré à Feuerbach). Le Marx de 1845 retient toute une série d’éléments de la critique philosophique hégélienne, critique des oppositions rigides entre l’objectif et le subjectif, mais il les place dans un tout autre cadre de référence, celui de la mise en question des catégories économiques, de leur rigidité et de leur abstraction et de leurs effets sur les modes de pensée. A ce moment là, il ne se veut pas en possession d’une théorie - connaître ne peut pas être posséder ou disposer du monde - mais d’un mode d’appréhension et de formulation de problèmes. C’est ce qu’on voit à l’œuvre dans les thèses sur Feuerbach et un peu plus tard dans Misère de la philosophie et dans Le Manifeste communiste. Ce processus de conceptualisation critique et ouverte va être sinon arrêté, du moins déporté par la participation de Marx à la Révolution de 1848 en Allemagne. Mais, un peu plus tard exilé à Londres il reprend au British Museum des lectures très importantes en vue de poursuivre la critique de l’économie politique (à partir de 1850). Ce travail fréquemment interrompu par les querelles politiques de l’émigration et par des travaux alimentaires arrive à un palier très important en 1857-1858...
Marx est de plain pied dans la critique de l’économie politique et se livre à un travail minutieux de démontage des rapports économiques et sociaux du capitalisme. Il n’est plus question, pour lui, de s’en tenir à des considérations générales sur la propriété ou la division du travail. Ce qui lui importe, c’est de cerner au plus près les déterminations formelles des mouvements du capital et de ses métamorphoses en tant qu’ils sont des manifestations de la valorisation, de la valeur qui se valorise. Comme il le dit dans les Grundrisse, le travail pour le capital n’est pas au premier chef un donné anthropologique, mais une activité qui pose de la valeur (wertsetzende Tätigkeit) et qui en tant que telle, fait partie du Capital lui-même et se trouve entraînée dans ses mouvements. Le capitalisme n’achète pas le travailleur ou son activité en général, mais une activité tout à fait spécifique du point de vue de sa valeur d’usage, une activité qui conserve et développe le capital. Autrement dit, le capitaliste achète la partie variable de son capital et entend bien que le travailleur s’adapte à cette incorporation en conditionnant lui-même sa capacité de travail en faisant abstraction de ce qu’il aimerait faire ou voudrait être. La capacité de travail (plus tard Marx dira la force de travail) n’est plus ainsi qu’un élément dans la circulation et la production du Capital avec lui-même dans ses différentes figures et dans ses différents moments. Cela veut dire que la société est dominée dans son fonctionnement et dans ses relations essentielles par le formalisme de la valeur et du Capital, et que la socialité est la circularité du Capital. Le travail objectivé, dit encore Marx, est doté d’une âme par le travail vivant, mais il se constitue en puissance étrangère face à ce dernier. La capacité de travail apparaît sans substance face à une réalité qui ne lui appartient pas : son procès d’effectuation est le procès de sa déréalisation (Grundrisse, p. 358).
Aussi bien, par rapport à la force productive générale des capitaux, l’habileté et l’intelligence des travailleurs pèsent-elles assez peu, comme le remarque Marx. C’est dans les machines et le machinisme, c’est-à-dire dans l’utilisation capitaliste de la technologie que se cristallise le savoir socialement apprécié et les savoir-faire. L’accumulation du savoir et des forces productives du cerveau social deviennent des propriétés du Capital (cf. Grundrisse, p. 586). Au sens fort du terme la réalité est posée par le Capital, elle est en quelque sorte le résultat de son être-là (Dasein) (Grundrisse, p. 364). Les formes de la valorisation dans leur mouvement (marchandise, argent, prix, concurrence, capital, salaire) s’affirment en conséquence comme les éléments formateurs des formes de vie pour les individus et les groupes. Les rapports quotidiens sont placés sous le signe des échanges marchands monétarisés, sous le signe des échanges avec les capitaux multiples et le Capital en général.
Les rythmes de vie sont scandés par les rythmes de travail, l’horizon vital est délimité par ce que l’on peut atteindre dans la concurrence et par l’argent dont on dispose.
Dans la circulation des marchandises et des capitaux, les individus sont bien abstraitement égaux, en tant qu’échangeurs de valeurs, mais par là même indifférents les uns aux autres. Ils sont libres dans les échanges (à concurrence de leurs moyens monétaires).
L’indépendance personnelle ne peut jouer que dans les espaces ouverts par les séries de dépendances objectives auxquelles tous sont soumis. Cela n’exclut évidemment pas qu’il y ait des résistances à ce formalisme niveleur de la valorisation. On pourrait même dire que Marx l’estime inévitable, parce que le capital, laissé à lui-même, libère des forces terriblement destructrices. Il y a ainsi des résistances contre l’allongement de la durée du travail, contre son intensification, contre la stagnation des salaires, etc. dans la sphère de la production. On peut même découvrir les foyers de résistance dans la vie privée notamment les relations familiales, les relations d’amitié, les relations affectives. Ces relations constituent de fait autant de moyens de ne pas se laisser emporter ou submerger par l’indifférence et la froideur des rapports marchands.
Elles permettent notamment d’avoir un minimum de relations intersubjectives et de ne pas se laisser réduire à l’état de mort-vivant ou à l’abêtissement (Vertierung) dans le quotidien. Il ne faut toutefois pas se dissimuler que ces multiples façons de résister sont ambivalentes dans la mesure où elles ne mettent pas directement en question les mouvements et les formes de valorisation, dans la mesure aussi où elles n’interdisent pas et même présupposent des processus d’identification aux rapports capitalistes, aux hiérarchies sociales qui en résultent ainsi qu’aux rapports de pouvoir. On peut donc dire que les oppositions et les résistances au Capital ne sortent pas forcément de sa dialectique générale de la mise en valeur et qu’elles peuvent même agir sur lui comme un aiguillon pour se transformer.
« Il est difficile de devenir marxiste. Puis il est difficile de l’être » faisait déjà observer en 1967, Michel Verret dans Théorie et politique, un texte qui a été republié en 2008 par les éditions l’Harmattan. Il ajoutait un peu plus loin : « Personne ne naît marxiste. Chacun peut le mesurer par sa propre expérience : il n’est pas aisé, dans le monde capitaliste d’apprendre à vivre et à penser contradictoirement à l’ordre établi, quand il repose sur la force d’intérêts si puissants, d’illusions si subtiles et de si vieilles habitudes. La tentation n’en est que plus grande, pour qui s’est dépris de l’ordre ancien, de chercher quelque repos dans les sécurités de l’ordre nouveau, de la théorie qui l’annonce comme de la pratique qu’il l’institue ».
Les éditions Syllepse viennent de publier dans la collection Mille Marxismes Le marxisme du 20e siècle, (2009, 302 pages, 24 euros). L’ouvrage du philosophe français André Tosel est précédé d’un avant-propos de Vincent Charbonnier qui ouvre son texte avec les lignes citées de Michel Verret.
Tosel examine quelques moments importants de l’histoire des marxismes du siècle précédent. Son ouvrage témoigne de la richesse des lectures dont les œuvres de Marx ont fait l’objet durant le « court 20e siècle ». Plus précisément, il s’efforce de revisiter et de défendre certaines des interprétations de Marx qui se sont déployées en dehors des orthodoxies.
Le lecteur curieux trouvera dans ce livre un Marx revisité et vivant, un Marx libéré notamment des formules du prêt-à-penser althussérien des années 1960-1970, une époque qui semble désormais révolue, un Marx qui reste fondamentalement un penseur d’une incroyable richesse, par-delà et grâce aux contradictions inhérentes à son œuvre, et un immense chantier à explorer.
L’auteur accorde une place singulière à Antonio Gramsci qu’il considère comme le penseur marxiste hérétique le plus complet, en même temps le plus surprenant, tant par ses questionnements que par ses objets. Il examine les contributions du penseur italien en privilégiant toujours leur dimension critique.
C’est précisément la dimension critique des analyses des auteurs cités qui rend ce livre éclairant au regard des enjeux actuels. Car il s’agit pour Tosel de contribuer à la production d’une théorie critique à la hauteur du double défi que constituent l’échec du communisme historique (autrement dit du stalinisme) et l’hégémonie du capitalisme mondialisé. Et c’est en ce sens que les lectures et les interprétations proposées sont tout, sauf vaines. Car la visée de l’émancipation universelle reste à l’ordre du jour.
Pour prolonger ces remarques sur le livre d’André Tosel signalons aussi deux autres ouvrages. D’une part, un texte inédit en français dans lequel Karl Marx démontre que les crises résultent des contradictions inhérentes au capitalisme ; publié sous le titre, Les crises du capitalisme par les éditions Demopolis (2009, 205 pages, 14 euros) il est précédé d’une longue et stimulante introduction contextuelle de Daniel Bensaïd. D’autre part, le n°34 de la Revue du Mauss, « Que faire, que penser de Marx aujourd’hui » (La Découverte, 2009, 23 euros), montre à quel point la richesse et les contradictions de sa pensée continuent à alimenter des discussions passionnantes.
IMAGINONS que Karl Marx ne soit pas mort en 1883 mais que, tout naturellement, il ait continué de vivre, avec sa famille et ses amis. C’est ce que propose le grand romancier espagnol Juan Goytisolo dans ce livre plein d’humour et de sagesse, où se mêlent les accents de Jonathan Swift et de Miguel de Cervantes. Le début est époustouflant et fellinien. Dans une station balnéaire de l’Adriatique italienne, raffinée et un tantinet décadente, des baigneurs élégants contemplent, émerveillés, la lente arrivée d’un immense transatlantique qui vient, telle une baleine d’acier et de lumière, s’échouer sur la plage. Ces baigneurs sont Karl Marx et les siens. Mi-éblouis mi-effrayés, ils voient soudain se décrocher par milliers, de l’immense navire, des hommes en guenilles, mal rasés, les yeux hagards : les Albanais fuyant le désastre communiste...
Le reste du roman est de la même veine. Karl Marx se promène aussi dans le passé, où il rencontre, entre autres, Abraham lui-même, avec qui il entretient un fort savoureux dialogue. « Abraham : que vois-je ? que découvrent mes yeux ? Ce pseudo-prophète qui s’est moqué de nos croyances et calomnié le peuple du Livre (...). Contemple cette marée humaine, venue de tous les coins d’un pays gouverné par tes acolytes, avec l’espoir illusoire de devenir actionnaire ! Des centaines de milliers d’ex-maoïstes se piétinant les uns les autres comme des langoustes ou des fourmis, se battant entre eux malgré les coups de fouet de la police ! Observe ces visages avides, codicieux, crispés, au regard halluciné au milieu de cris, de jurons et des plaintes des blessés. Tant de férocité et d’obstination pour simplement acquérir un bon du Trésor et le placer à la banque, pour devenir un petit capitaliste comme tous ceux qui ont fui le communisme ! »
MAIS en se promenant dans le présent, dans de nombreux quartiers des villes d’aujourd’hui où grouillent les chômeurs, les laissés-pour-compte et les exclus, Karl Marx retrouve une atmosphère à la Dickens qu’il a bien connue. Il constate que, renforcé, le capitalisme accède à une sorte de phase supérieure : le monétarisme. Et que celui-ci ravage les sociétés avec une violence dogmatique inédite. Tout le conforte alors dans ses thèses critiques.
« Ce roman, dit Juan Goytisolo, n’est ni marxiste ni antimarxiste ; il est marxiste et antimarxiste (...). La leçon que peut tirer le lecteur, c’est que, de même que le marxisme est devenu un système dogmatique donnant naissance à un groupe politique de pression qui inspira une vérité scientifique qui ne l’était pas, nous sommes en train de vivre une situation semblable mais opposée. Le monétarisme nous est présenté comme la seule doctrine possible, alors qu’elle laisse à l’abandon des pays entiers, des classes entières, des continents entiers (1). »
La chute du mur de Berlin a déjà inspiré plusieurs écrivains ; nul mieux que Goytisolo dans cette Saga de los Marx n’a su si brillamment traduire l’atmosphère intellectuelle et politique de cette fin de siècle.
Ignacio Ramonet, avril 1994
Présentation de l’ouvrage : Actualiser l’économie de Marx, le Congrès Marx international, éd. Puf, 144 p.
Marie-Claude JACQUOT, Alternatives Economiques n° 152 - octobre 1997
Marx n’est plus de mode. A tort, car il demeure d’actualité, estiment les auteurs de ce recueil de textes présentés lors d’un congrès tenu en 1995. On en retiendra surtout les contributions de Gérard Duménil, de Dominique Lévy et de Pierre Bauby. Les deux premiers montrent que les mouvements du taux de profit, conformément aux thèses de Marx, éclairent bien les évolutions du capitalisme américain depuis un siècle et demi et que les changements dans les techniques de production expliquent largement ceux dans la structure sociale. Pierre Bauby, de son côté, souligne que les analyses de Marx concernant l’Etat sont plus nuancées qu’il ne l’est habituellement dit, et que, dans la tradition de Gramsci, il est possible de retenir l’idée d’un Etat-stratège, qui oriente le système social et ne se borne pas à rouler pour la bourgeoisie. Dommage que certains textes renouent avec un jargon censé être passé de mode et qui n’est sans doute pas étranger à la défaveur dont souffre notre vieux barbu.
http://www.philagora.net/etude-de-t...
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