Lettre à celui qui n’aime pas l’école

dimanche 23 mars 2008.
 

Monsieur le Président, qui ne savez plus ce qu’est une classe, au cas où vous l’auriez su un jour, ça faisait un petit moment que je ne vous avais pas écrit.

Faut dire, aussi, des meilleures choses il ne faut pas abuser, et ces dernières semaines, vous m’excuserez, mais nous avions des tas d’autres chats à fouetter : vos copains d’ici et d’ailleurs qu’il fallait battre, ou en tous cas mettre suffisamment à mal pour qu’ils s’en souviennent, certain anniversaire de quarante ans à préparer, et puis, allez, on va le dire, même si ça vous embête : le boulot, le boulot, le boulot. Eh oui, quoi que vous en pensiez, il n’y a pas que des feignasses dans la fonction publique, et pas non plus dans l’Éducation nationale.

Depuis deux ou trois jours, effet élections oblige, on aurait cru que vous aviez décidé de vous calmer, de mettre un peu en sourdine vos mouvements d’humeur. Et puis, non, « voilà que ça recommence, voilà que ça vous reprend », comme chantait une très ancienne aznavourerie, vous ne pouvez donc pas vous en empêcher ? Ça doit être compliqué à vivre, un gars comme vous. Ce coup-ci, c’est bizarrement passé sous silence, personne n’a relevé. Moi ça m’a titillé l’amour-propre, quand même.

Voilà la chose : vous fûtes l’autre jour aux Glières. (Paraîtrait même que vous irez tous les ans, vous cherchiez un rendez-vous à date fixe, comme d’autres en leur temps, vous avez fini par trouver...)

Passons rapidement sur l’image du héros qui avance seul dans la neige, sans même quiconque pour lui tenir la main, (ça a failli finir en glissade comme dans un film muet, votre pèlerinage !) tout seul dans son manteau noir, face à l’immensité blanche... pas moyen de vous prendre au sérieux une seule minute, c’est terrible, on n’y arrive pas. Et pourtant le lieu est suffisamment lourd de symboles. Rien à faire, vous avez l’air en représentation. Vous en avez tellement fait, et dans toutes les circonstances, que maintenant, même si un jour par extraordinaire, vous étiez sincère, tant pis, ça tomberait à plat...

Après vous être montré, discret, et recueilli, et tout ça, vous êtes allé dire coucou aux gens, aux vraies gens, comme toujours. Là, on avait laissé passer le râleur de service, instit bon teint, bronzage et anorak Camif. Retraité instit ou prof il est le type, on l’a su après, quand il a raconté son anecdote. Qu’est-ce qui lui a pris, à Jojo, va savoir, il vous a demandé des comptes sur les postes qui sautent. Comme si ça le regardait, lui il est retraité, alors, franchement, de quoi j’me mêle ? Quoi qu’il en soit, vous vous êtes retourné avec un sourire de mépris comme on n’en fait plus... Le genre de regard en douce qui veut dire « Cause toujours, tu m’intéresses, pauvre pomme ! »

Ça m’a bouleversée pour ce gars qui vient là sans plus d’acrimonie que ça vous dire ce que nous voudrions tous vous dire : Arrêtez de nous casser notre beau métier, que bientôt, il ne va plus rester personne pour vouloir le faire... Depuis, on a appris qu’en fait, vous lui auriez conseillé de « retourner faire du ski ». Ben oui, les postes, ça ne le regarde pas, lui, il n’a qu’à retourner faire du sport, et puis c’est tout. Vu ? C’est bien aimable, comme réponse. On n’en attendait pas tant.

Et puisqu’on parle d’école, pendant qu’on y est, deux trois mots sur votre discours d’il y a pas très longtemps, à Périgueux, si ma mémoire ne me fait pas faux bond. Vous nous racontez quoi, à Périgueux, encore ville (plus pour bien longtemps, tralala !) du ministre des écoles ? Trois fois rien, juste de quoi revenir sur des décennies de recherche pédagogique, de trouvailles géniales propres à donner ou redonner envie d’apprendre, envie de connaître, envie de savoir aux petits qu’on nous confie.

Quelques perles, très vite, car nous y reviendrons, sur votre intervention, ça on ne va pas vous louper, promis. D’abord, on nous rappelle « les fondamentaux : « la connaissance et l’autorité » Ayest ! Le grand mot est lâché : au-to-ri-té ! Qu’on se le dise, dans les chaumières et les salles des profs, on va voir ce qu’on va voir, et on va commencer par rétablir l’au-to-ri-té ! Et qu’on ne réplique point, à commencer par le maître des lieux, le ministre soi-même (plus pour longtemps, maître des lieux, tralalère !), qui a eu tôt fait de reprendre le fil de la pensée (???) du chef pour nous apprendre à marcher droit : retour à l’instruction, orthographe, grammaire et calcul mental, pour bientôt, peut-être, les départements et leurs chefs-lieux, et surtout plus de cette chose qui gangrène tout : l’innovation pédagogique.

On va se remettre à apprendre par cœur, à farcir les têtes de formules magiques, à oublier que selon Einstein (ah ben oui, on a les références qu’on peut !) « l’imagination vaut mieux que la connaissance » et en tout cas, la précède, toujours... Et tous ceux qui ont fait acte de foi d’apprendre à leurs élèves à chercher par eux-mêmes la réponse à leur questionnement vont se trouver bien seuls. Au secours, Freinet, réveille-toi, ils veulent nous bouffer nos rêves, et rendre à nouveau l’école insupportable et grise.

brigitte blang


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message