Petite analyse du projet socialiste pour 2007 Pourquoi je choisis l’abstention ? (article du 12 juin 2006)

samedi 13 juin 2015.
 

Je ne voterai pas contre ce projet :

Les axes de l’avant-projet socialiste 2007 marqués par le social-libéralisme ont été ôtés de celui-ci suite aux débats engagés par la gauche du parti.

Sur plusieurs questions importantes, ce projet martèle des axes d’orientation que je partage et qui peuvent permettre à la gauche de l’emporter aux présidentielles puis à la gauche du parti de disposer d’un point d’appui lors des débats d’orientation futurs :

- "réguler le capitalisme et cantonner le marché à la sphère économique, combattre les inégalités, redistribuer les richesses, préserver les équilibres écologiques, en un mot transformer la société".

- stratégie de rassemblement de la gauche et de confrontation politique avec la droite.

- rôle de la puissance publique, par exemple dans la relance salariale par des conférences tripartites annuelles.

- abrogation des lois Fillon, CNE, Sarkozy...

Mais je ne peux pas voter pour en l’absence de garantie minimum qu’il ne s’agit pas d’un habillage tactique conjoncturel :

- Ce projet énonce des voeux intéressants face à la mondialisation libérale mais il ne se donne pas les moyens d’en affronter les contraintes.

- Il énonce des principes du répertoire socialiste classique, plus comme des invocations que comme des projets réellement pensés et préparés.

- Ce projet ne prend pas suffisamment en compte l’urgence sociale et politique de notre pays dans ses propositions concrètes.

- Sa rédaction laisse penser qu’encore une fois, le vote du projet va donner bonne conscience au parti tout en laissant le (ou la) candidate faire ce qu’il veut.

Conclusion : je m’abstiendrai,

- en insistant sur les insuffisances du texte qu’il faut dépasser pour répondre à l’attente des Français et gagner en 2007.

- en avertissant mes camarades que la première rédaction blairiste du projet correspond à l’orientation profonde d’une majorité de dirigeants nationaux du PS, que le glissement à gauche opéré ensuite est essentiellement tactique.

1) L’introduction et les principes du répertoire socialiste classique

L’introduction de l’avant-projet présentait effectivement un aspect blairiste avec une analyse complaisante et angélique de la mondialisation. Très critiquée, elle a été presque totalement réécrite dans le sens d’un coup de barre à gauche. Cette évolution traduit, d’une part la nécessité pour le PS de prendre en compte les aspirations anti-libérales du peuple de gauche, d’autre part le fait que le social-libéralisme affirmé (auquel pousseraient certains soutiens de Ségolène Royal) n’est pas en mesure de s’imposer aujourd’hui en interne au PS.

En gros, l’introduction du projet définitif maintient des éléments théoriques fondamentaux de l’action socialiste. Elle se situe en continuité des textes qui ont fait la spécificité du PS dans la social-démocratie mondiale :

- une oscillation entre des éléments de rupture républicaine avec le libéralisme et un "accompagnement social" de celui-ci.

- une affirmation de principes socialistes justes insuffisamment concrétisés ce qui laisse place ensuite à une gestion pragmatique.

En voici quelques extraits commentés :

Une stratégie de rassemblement de la gauche : " Les Français sont à la veille de faire des choix décisifs. Ils aspirent à une confrontation politique claire. Notre projet veut répondre à cette attente. Il veut être une contribution au rassemblement de la gauche qui est notre seule stratégie et dont l’unité permettra la victoire". Après les appels feutrés de certains dirigeants à une nouvelle alliance avec l’UDF, cette réaffirmation présente de l’importance. Ceci dit, le rassemblement de la gauche ne représente une stratégie que pour obtenir une victoire électorale puis la conserver.

Quels points d’appui pour quels objectifs ? " Nous voulons nous appuyer sur la puissance publique, l’Etat, les collectivités locales mais aussi davantage les citoyens, les forces sociales, pour réguler le capitalisme et cantonner le marché à la sphère économique, combattre les inégalités, redistribuer les richesses, préserver les équilibres écologiques en un mot, transformer la société".

Cette dernière phrase maintient le cap sur ce qui fonde la gauche. C’est nécessaire. Ceci dit, ni dans l’introduction, ni plus tard, cette affirmation n’est précisée. Exemple : On ne peut limiter le marché à la sphère économique sans écrire quelles sont les limites de celle-ci ? Eau, électricité, transports ferroviaires, routes nationales en sont-ils exclus ?

Répondre à la crise politique, économique et sociale du pays : " Notre pays traverse une crise. Elle est d’abord politique et dépasse les seules institutions pour interroger la République non dans ses principes mais dans ses pratiques. L’organisation des pouvoirs politiques bien sûr, mais aussi financiers et médiatiques est en cause. Mais les réformes institutionnelles n’apporteront pas de remèdes elles seules à la crise économique et à la crise sociale qui installe la précarité au coeur de notre société". On ne peut qu’être d’accord, mais les propositions précises sont insuffisantes.

Prendre en compte le contexte de la mondialisation libérale : " Avec la domination de la finance mondiale, la capitalisme change d’impact. Il remet en cause les équilibres établis dans les cadres nationaux et essaye d’imposer une dégradation générale de la condition salariale. La concurrence internationale..., les révolutions technologiques, la domination américaine ont profondément modifié la donne. L’épuisement prévisible des ressources énergétiques essentielles, le pétrole particulièrement, et la montée de risques environnementaux obligent à repenser les conditions mêmes de la croissance en l’inscrivant dans une vision plus globale d’un développement durable". C’est tout à fait juste mais pourquoi écrire de telles phrases sans prendre en compte tout le changement de stratégie que cela implique ?

L’introduction se termine d’ailleurs par une phrase du même type : " Notre projet doit à la fois répondre à l’urgence sociale et à l’exigence d’un nouveau modèle de développement. Il doit nous permettre d’agir pour le plein emploi, d’aller vers l’égalité réelle, de refonder la République, en mettant en oeuvre une démarche démocratique nouvelle, de mettre la France en situation de relancer l’Europe et de contribuer à maîtriser la mondialisation".

2) Des avancées positives, souvent à préciser

De l’avant-projet au projet, l’inflexion à gauche se note aussi dans les propositions. Je n’en cite ici que quelques-unes pour ne pas être trop long.

2a) L’affirmation de la responsabilité de la puissance publique dans l’enjeu d’un rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée entre capital et travail apparaît dans le projet sur lequel les adhérents vont voter ; c’est bien.

"Nous augmenterons le pouvoir d’achat par la négociation sociale, notamment par la mise en place d’une Conférence nationale annuelle tripartite qui aura pour objectif de débattre des orientations et des propositions en termes de politique salariale pour rééquilibrer le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital et rénover les grilles de classification... Nous porterons le SMIG à au moins 1500 euros brut avant la fin de la législature et nous ajusterons les minimas conventionnels à ce niveau".

Il est exact que le capital a pris 10 points aux salaires dans le partage des richesses produites depuis 1983. C’est énorme. Cela correspond à 160 milliards annuels aujourd’hui. La moindre part reprise par le travail sera évidemment positive en terme de pouvoir d’achat, d’emploi, de prise en compte des nouvelles générations, de réponse aux besoins ouvriers et populaires.

J’ai entendu récemment expliquer que cette proposition de Conférence annuelle tripartite est social-libérale. C’est faux. Cette idée était défendue vainement par l’ex Gauche Socialiste comme un moyen de contribuer à préserver un rapport de force national sur le pouvoir d’achat. Aucun gouvernement de gauche précédent n’a voulu en entendre parler. Or, une telle conférence aurait unifié et renforcé les salariés et leurs syndicats, aurait braqué les regards des médias alors que les négociations partielles ont toujours tourné au détriment des syndicats.

Telle qu’elle est défendue dans ce projet, la Conférence peut jouer un rôle positif si les syndicats s’en emparent. La première est précisée : "Dans le printemps 2007, nous engagerons avec les partenaires sociaux une Conférence Nationale qui aura pour charge de débattre des orientations et des propositions en termes d’emploi, de salaire, de conditions de travail et de protection sociale".

Le MEDEF, les gros actionnaires comme tous les libéraux vont vite sentir la pression qu’une telle conférence ferait peser sur eux. Plutôt que d’être social-libérale, je crains qu’une telle proposition ne passe progressivement à la trappe.

Avant de passer à un autre sujet, il est nécessaire de préciser la question des 1500 euros brut avant la fin de la législature. Depuis le 1er juillet 2005, le SMIG brut représente 1218 euros pour 151,67 heures. Pour préserver le pouvoir d’achat, avec l’inflation actuelle, il faudrait que ce SMIG atteigne 1400 euros en 2012 ; l’augmentation sur 12 ans serait donc de 100 euros, soit 14 euros brut et 11 euros net par an.

Dans une Europe balayée par les sirènes de l’austérité, les blocages de salaires, la priorité aux profits des actionnaires... l’affirmation par le PS d’une nécessité de rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée entre capital et travail constitue une avancée significative sur le papier, à traduire dans la réalité, dans l’opposition comme, si possible, au gouvernement.

2b) Le refus des essais en plein champ d’OGM marque une prise en compte par le PS de ce souci des agriculteurs et des consommateurs malgré les pressions des multinationales et des Etats Unis. Ce refus présente aussi l’intérêt d’ apporter, de fait, une validation de l’argumentation des faucheurs d’OGM, actuellement poursuivis en justice : "Nous refuserons les essais en pleins champs des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM), tout en encadrant la poursuite de la recherche publique en ce domaine".

2c) En matière de fiscalité des entreprises, la proposition du projet est intéressante.

"Nous modifierons le taux d’impôt sur les sociétés selon l’équilibre choisi entre l’investissement productif d’une part et la redistribution des dividendes d’autre part (sous toutes ses formes, notamment celle du rachat d’actions). Nous instaurerons une aide fiscale concernant les modalités d’amortissement pour stimuler l’investissement". Ceci dit, les politiques d’incitation fiscale n’ont guère été couronnées de succès depuis 81.

2d) La volonté de "construire avec les partenaires sociaux une sécurité professionnelle" est évidemment justifiée.

" Le conflit du CPE, après bien d’autres mobilisations sociales, a marqué le rejet catégorique... de la précarisation du travail. L’heure n’est plus au rafistolage. Il faut repenser tout le système. Nous le ferons avec les partenaires sociaux dans une grande négociation sur la Couverture Professionnelle Universelle (CPU). Elle assurera les trois éléments majeurs du travail : l’emploi, une garantie de ressources et la formation professionnelle. Le droit individuel à la formation tout au long de la vie... prendra la forme d’une "carte vitale professionnelle".

" Nous lancerons une négociation pour aller vers un Service public unifié de l’emploi... Pour les jeunes nous lancerons le programme d’entrée dans la vie active (EVA). Il reposera sur une allocation d’autonomie dans le cadre d’un parcours de formation et de recherche d’emploi..."

" Pour lutter contre la précarité, nous supprimerons le CNE, et réaffirmerons la primauté du CDI... A cet effet, nous modulerons les cotisations sociales en fonction de la durée du travail et du nombre de contrats précaires dans l’entreprise"... A nouveau, une incitation financière, mais sur le budget de la Sécu.

3) Des propositions qui permettraient un progrès réel mais limité de notre société

Je me limiterai ici aux propositions sur deux sujets importants afin de ne pas déformer le projet par des résumés hâtifs sur d’autres questions..

3a) Institutions et vie démocratique

Il ne fait pas de doute que le projet permettra des avancées.

L’Assemblée Nationale sera rendue plus représentative par l’introduction d’une dose de proportionnelle (un député sur cinq, élu sur des listes nationales)...

Le statut pénal du chef de l’Etat sera réformé ; il pourra être destitué par l’Assemblée nationale. Ces pouvoirs seront légèrement diminués ; il ne présidera plus le Conseil supérieur de la magistrature, ne nommera plus de membres au Conseil constitutionnel.

Le pouvoir du Parlement sera renforcé : co-maîtrise de l’ordre du jour, suppression du vote bloqué et de l’article 49-3, stricte limitation de l’article 38 ( ordonnances et procédure d’urgence)...

Sénat : extension du mode de scrutin proportionnel, modification du collège pour l’élection des sénateurs, suppression de son droit de veto constitutionnel.

Le quinquennat présidentiel ne sera renouvelable qu’une fois. Le mandat unique pour les parlementaires sera instauré. Limitation renforcée du cumul des fonctions et du cumul d’activités professionnelles.

Rénovation de la composition et de la fonction du Conseil économique et social pour en faire une troisième chambre effective.

Loi d’initiative citoyenne au terme d’une procédure de dépôt d’une pétition signée par 1 million de personnes dans 30 départements au moins.

Droit de vote pour les scrutins locaux aux résidents étrangers acquittant des impôts depuis cinq ans dans notre pays...

3b) "Maîtriser la mondialisation"

Cette partie est surprenante avançant des propositions intéressantes sans pointer concrètement le rapport de forces nécessaire pour les mettre en pratique tant elles remettraient en cause la logique même du mode de production capitaliste.

Voici quelques citations et parfois commentaires :

"Réformer la gouvernance mondiale"

" Dans le cadre de la réforme des Nations-Unies, nous proposerons la mise en place d’une "ONU économique". Un Conseil mondial du développement durable devra assurer la primauté des droits fondamentaux, sociaux et environnementaux fondée sur une nouvelle hiérarchie des normes internationales...

" Nous proposerons de réformer l’OMC pour qu’elle soit plus transparente, plus démocratique et plus soumise au respect des normes sociales et environnementales...

" Nous proposerons de réformer le FMI et la Banque mondiale, pour placer la lutte contre la pauvreté et l’accès au bien public au coeur de leurs missions...

" Nous souhaitons renforcer les pouvoirs de l’Organisation Internationale du Travail...

" Nous serons à l’initiative de la création d’une organisation mondiale de l’environnement en charge notamment de la mise en oeuvre du protocole de Kyoto et de la protection de la biodiversité."

Commentaire : Ces propositions concernant les institutions internationales sont intéressantes mais il est normal que des altermondialistes y voient de la poudre aux yeux à partir du moment où le bilan négatif de leur rôle passé n’est même pas signalé dans le projet, où aussi la modification de leur rôle ne pourra résulter que d’un rapport de force mondial.

" Combattre les effets du capitalisme financier"

" Lutter contre le blanchiment d’argent sale et contre les paradis fiscaux ... Il importe de commencer, par interdire en Europe le secret bancaire et les zones à fiscalité privilégiée comme le Luxembourg, la Suisse ou Monaco.

" Mettre en place une taxe internationale de type "Tobin" au terme d’une action concertée avec tous les pays où se situent des places boursières et financières.

" L’octroi de subventions publiques aux entreprises cotées en bourse sera subordonné à l’engagement de ne pas réaliser de plan de licenciement alors qu’il a dégagé des profits substantiels"

Commentaire : Pourquoi ne pas préciser un peu l’adjectif "substantiel" qui paraît contradictoire avec le reste de la proposition ? Pourquoi attendre l’accord de toutes les places boursières concernant la taxe de type "Tobin" alors que l’existence d’une majorité de pays à majorité de gauche en Europe permettrait un premier point d’appui ?

"Assurer le financement du développement" ( proposition d’annulation totale de la dette des pays les plus pauvres, ressources pour financer les biens publics mondiaux, politique mondiale de santé...)

4) Des sujets où la timidité des propositions est inacceptable

4a) Les services publics

Le projet énonce toujours des principes du répertoire socialiste classique : "Les services publics jouent évidemment un rôle essentiel pour favoriser l’égalité entre les citoyens et l’accès de tous aux biens publics fondamentaux. Ils sont également un facteur clef pour l’attractivité de notre pays et permettent de mener de grandes politiques de solidarité sociale, territoriale, environnementale".

Ceci dit, vu l’offensive à laquelle ces services sont confrontés de la part des libéraux et de la Commission de Bruxelles en particulier, il est étonnant de ne même pas lire les mots Poste, SNCF, Equipement...

Il est vrai que le projet prévoit une loi-cadre, mais sur "les missions de service public" et non sur les services publics eux-mêmes, raison de plus pour être inquiet. De petites avancées apparaissent dans le domaine de l’eau mais elles concernent seulement la possibilité pour les collectivités publiques de mieux choisir entre régie et gestion privée.

4b) Pauvreté, précarité et minima sociaux

Sur ce sujet, le projet fait des propositions très limitées. Fixer l’objectif qu’en 10 ans, plus aucune famille ne vive sous le seuil de pauvreté apparaît comme un voeu pieux à partir du moment où, par exemple, rien n’est dit sur l’abrogation des lois votées par la droite qui ont conduit à un abaissement du revenu des allocataires chômage.

Il aurait fallu aborder des sujets délicats mais importants comme le temps partiel imposé ; le CDE et le RMA ne sont pas évoqués.

Les minimas sociaux ne sont signalés qu’une fois, pour proposer leur intégration dans un seul " Revenu de Solidarité Active". Il est probable que les personnes concernées trouvent cette avancée limitée.

4c) Retraites

Nous connaissons tous la gravité de la question puisque, avec les lois actuelles, le taux de remplacement de la retraite va tomber de 78% à environ 50% en 2030.

Le projet réaffirme la nécessité d’abroger la loi Fillon. Pour le reste, il est très flou. Tel quel, il n’augure même rien de bon.

4d) Fiscalité

Les mesures prises par la droite pour favoriser les nantis et faire payer les pauvres ne sont pas remises en question : bouclier fiscal, baisse des taux d’imposition sur les hauts revenus, suppression de la taxe flottante sur les produits pétroliers. Rien sur l’assiette de l’ISF, sur la TVA. Dans ces conditions il sera difficile de redistribuer les richesses.

Conclusion

L’histoire du mouvement ouvrier et socialiste nous a appris l’importance de chaque vote et de chaque explication de vote. Plutôt que tirer le bilan des échecs, mieux vaut prendre le risque d’aller à contre-courant assez tôt. Cela n’empêche pas de contribuer à faire gagner son camp dans les luttes comme dans les urnes.

Jacques Serieys


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