JE ME SUIS ABSTENU SUR LE PROJET SOCIALISTE (Jean Luc Mélenchon)

mardi 13 juin 2006.
 

Ce vote c’est aussi celui de deux de mes proches encore présents à cette heure : François Delapierre et Marianne Louis. Et c’est celui d’Arnaud Montebourg. Je pense que cette conjonction d’appréciation ne sera pas sans lendemain comme c’est la logique politique.

De fait, je me suis trouvé solidaire d’une synthèse politique au Congrès du Mans que je n’approuvais pas. Mais à laquelle j’ai accepté de faire crédit comme nous le demandait Laurent Fabius, qui est bien plus attaché que moi à maintenir tous les espaces de rassemblement possibles au Parti Socialiste, comme c’est une évidence pour un candidat à la présidentielle qui a vocation à représenter tout le parti. Ma vision et ma pratique sont d’une autre nature, je pense que c’est un fait dorénavant suffisamment illustré par ma pratique pour que ce ne soit pas nécessaire de détailler davantage à cette heure.... En fait, en entrant dans la salle de réunion j’étais déterminé à voter contre le texte.

Ceux qui ont lu ma note d’hier sur le sujet comprennent pourquoi. Les désaccords étaient nombreux sur le fond dans les deux directions que je juge essentielles en cette période politique de la vie du pays et même, compte tenu de l’ambition pour dix ans de ce texte de Projet, en ce moment de l’histoire. On ne m’en voudra pas d’être succinct dans cette note : la nuit a été courte et la matinée a démarré tôt pour moi sur le plateau d’ i-télé. La journée va être longue avec le débat sur la loi sur l’immigration au Sénat.

Venons en donc sans transition aux deux points qui concentrent mon appréciation.

L’analyse de la mondialisation.

Hier j’ai noté à ce sujet les plus grosses aberrations du texte initial. Parmi les points positifs de la discussion, l’opposition factice entre la « rupture libérale » et la « modernisation sociale » du « modèle » existant a été retirée. C’est un point positif car cela aboutissait à dire que les socialistes se satisfont du monde comme il est. Egalement retirée l’aberrante euphorie autour de l’état des sociétés contemporaines soi disant non disciplinaires et émancipées. Le risque était grand en effet avec de telles formules d’être en décalage radical avec la domination économique et l’enfermement croissant des consciences que subit la majorité de notre peuple. Autre point positif, le texte accepte de mettre en avant les atouts de la France, à commencer par son modèle républicain, dans les discussions internationales. Voilà qui change du suivisme des admirateurs du blairisme et des contempteurs de la République. Ces changements pèsent lourds quand on connaît l’intensité des débats au PS sur ces questions depuis de nombreuses années.

Parmi les points négatifs, le texte ne se réfère pas à un modèle alternatif, celui de l’économie mixte, qui est le cœur de la doctrine socialiste en France. Il n’élucide pas la mutation du capitalisme de notre époque. Il ne dit pas l’impossibilité face à ce capitalisme financier et transnational d’être dans une pure logique d’accompagnement social démocrate en espérant effectuer des prises d’avantage illusoires. Le texte est donc en dessous de la main sur les coups à porter à ce système et les contre feux à allumer. Je pourrais évoquer bien des aspects, je m’en tiens à deux : le partage des richesses, la lutte contre la marchandisation.

Sur le premier point je regrette que le texte n’opte pas pour une véritable révolution fiscale. Il ne prévoit en effet ni surtaxation des superprofits des entreprises ni réduction de la TVA, qui est l’impôt le plus injuste pour le plus grand nombre. De plus, il prévoit la confusion en un seul impôt baptisé « citoyen » de l’impôt sur le revenu et de la CSG. C’est une erreur selon moi. Pourquoi ? Une raison parmi d’autres doit être surlignée ici. Dans tous les pays ce genre d’amalgame a été le moyen rendant possible ensuite de procéder a une réduction des prélèvements sociaux sous pretexte de baisse des impôts. Sur les insuffisances dans la lutte contre la marchandisation, je regrette que le texte reste très "timide" sur la nécessaire appropriation sociale des biens et services publics. Par exemple le refus de reconnaître l’eau comme bien public et de soutenir le retour en gestion publique de son exploitation. Sur cette question essentielle à propos d’une ressource en crise chronique de pénurie qui fait l’objet d’une scandaleuse appropriation privée et d’une gestion dilapidante je regrette qu’on aille pas franchement de l’avant en ce qui concerne la propriété et la gestion publique.

L’analyse de l’urgence politique.

Parmi les points positifs, tout le monde est dorénavant d’accord pour changer le système institutionnel. L’arbitrage rendu penche assez clairement en faveur du régime parlementaire même si la lecture des formules finalement adoptées laisse beaucoup de doutes. En particulier sur la remise en cause des pouvoirs présidentiels et la prise de distance avec les échecs de la Vème République.

Parmi les points négatifs, je regrette qu’à l’évidence la question institutionnelle continue à être traitée sous forme technocratique par un empilement de mesures dont notre peuple ne verra pas le sens politique profond. Ce n’est pas à une refondation républicaine globale des institutions que l’on procède, ni à celle du pays. Le texte passe ainsi à côté de l’enjeu d’une large implication populaire dans un processus où le pays redéfinirait ses principes fondateurs et ses règles de gouvernement. Un exemple parmi d’autres, rien n’est prévu pour supprimer les innombrables autorités indépendantes qui paralysent l’Etat et confisquent le pouvoir aux citoyens. Pour moi la refondation républicaine du pays doit être le cœur du projet socialiste car c’est sur cette question que se concentre l’état d’urgence sociale et politique du moment. Ceux que cela intéressent peuvent se référer à l’analyse et aux propositions que nous avons élaborées avec mes amis de PRS dans le Manifeste de la République sociale, consultable au lien suivant : http://www.pourlarepubliquesociale....

J’approfondirai cette analyse dès que j’aurai le temps de travailler sur le texte final. Car j’ai encore bien d’autres sujets de préoccupation ou de satisfaction. Par exemple a été reprise mon idée de constituer une grande voie éducative des métiers qui regroupe, sous l’égide du service public, toutes les voies professionnelles de formation du CAP à l’école d’ingénieur. Si nous arrivons à la mettre en œuvre cette idée révolutionnera tout le système éducatif au profit de l’élévation de la qualification du plus grand nombre.

Entré pour voter contre ce projet, je me suis abstenu pour tenir compte de tout ce qui avait avancé de mon point de vue. On ne peut pas participer à un collectif et à une discussion loyale en s’en tenant à des ultimatums. Mon intention n’est pas de disqualifier le PS, qui est une composante essentielle de la gauche dans notre pays. Je veux plutôt qu’il soit utile. Je m’efforce d’y contribuer sans prétendre avoir raison contre tout le monde tout le temps. J’avais de nombreuses raisons de rester sur ma faim au point de voter contre. Mes proches, présents de bout en bout et ceux contactés à mesure opinaient de même pour une attitude ferme mais ouverte. La déroute des "propositions" de Ségolène Royal en cours de soirée a confirmé de quel côté penchait le texte. Il méritait donc mieux qu’une opposition de front.

J’éspère que le vote émis correspond à l’appréciation que ceux qui se sont impliqués dans ce débat ont de ce document et de notre environnement à gauche et dans le pays.


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