Législative partielle des 12 et 19 janvier : en Isère, l’équation compliquée de Lyes Louffok pour faire gagner la gauche

lundi 20 janvier 2025.
 

Engagé pour les droits des enfants, Lyes Louffok a été investi par le Nouveau Front populaire pour tenter de conquérir la première circonscription de l’Isère, après la démission d’un député. La sociologie aisée de l’électorat est un défi pour le militant.

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Lyes Louffok, porte-voix de la cause des enfants, en tête au 1ᵉʳ tour de la législative partielle à Grenoble

Législative partielle en Isère : les candidats du Nouveau Front populaire et d’Ensemble qualifiés pour un second tour

Grenoble (Isère).– « Vous savez qu’il y a une élection dimanche ? » Il suffit de peu de temps, en marchant au centre-ville de Grenoble jeudi 9 janvier, pour se faire alpaguer par les équipes de Lyes Louffok. Elles le savent : dans une élection partielle, où la participation sera beaucoup plus basse que lors d’un scrutin national, l’enjeu est moins de convertir qui que ce soit que d’informer ses soutiens potentiels qu’il faut retourner aux urnes.

Le candidat du Nouveau Front populaire (NFP) a été parachuté dans cette circonscription à la suite de la démission d’Hugo Prévost. Élu en juillet lors des législatives anticipées, ce député La France insoumise (LFI), tombeur de l’ex-ministre Olivier Véran, a été accusé de violences sexuelles. Exclu de son groupe, il a ensuite démissionné de son mandat, ouvrant la voie à une nouvelle élection dans la première circonscription de l’Isère.

Dans un premier temps, Lucie Castets a été pressentie pour candidater sur place et tenter d’accéder à l’Assemblée nationale, après avoir été proposée comme première ministre par le NFP. Les discussions ont cependant achoppé sur le fait qu’elle ne souhaitait pas siéger exclusivement dans le groupe insoumis. Les socialistes locaux ont ensuite exprimé des velléités d’obtenir l’investiture de ce siège pourtant réservé à LFI en juin, en faisant valoir un profil rassurant pour une circonscription loin d’être acquise à la gauche.

Cette circonscription de 85 000 électeurs et électrices compte en effet des ménages plus aisés que la moyenne, avec une partie de la ville centre et de la première couronne très alignée à gauche, et des communes riches du Grésivaudan (Bernin, Biviers, Montbonnot-Saint-Martin…) où les droites dominent. « L’accueil y est plus compliqué, admet Lyes Louffok en vapotant à la terrasse d’un café, au cours d’une courte pause lors d’une longue journée de tractage, porte-à-porte et collage. J’ai passé beaucoup de temps à y expliquer qui j’étais, à rassurer. »

« Sur la partie non grenobloise de la “circo”, on aurait fait de meilleurs résultats avec une candidature issue du Parti socialiste », continue de penser l’un de ses cadres locaux, Maxime Gonzalez. S’il fait toutefois volontiers la campagne de Lyes Louffok, c’est qu’il juge que LFI a fait un « réel effort » en investissant une personnalité de la société civile, identifiée sur la cause des droits des enfants, et pas un membre des premiers cercles mélenchonistes.

« C’est le meilleur candidat qu’ils pouvaient trouver », abonde le maire écologiste de Grenoble Éric Piolle, qui avait initialement poussé le nom de Lucie Castets. Pour les législatives du 30 juin et 7 juillet 2024, Lyes Louffok avait été investi dans la 1ère circonscription du Val-de-Marne. Il avait rassemblé 36,6 % des voix au deuxième tour, contre 48,75 % pour Sylvain Berrios, le candidat de droite élu, et 14,6 % pour la candidate du RN.

Une version « Hibernatus » du macronisme

Lors de ce scrutin, Hugo Prévost n’avait pour sa part gagné dans l’Isère qu’avec une avance de deux points sur Olivier Véran, dans le cadre d’une triangulaire avec le Rassemblement national (RN), qui présente à nouveau Alexandre Lacroix. Ce dernier vient des rangs du parti Les Républicains (LR) et du syndicat étudiant UNI, représentant des milieux bourgeois pour lesquels le vote d’extrême droite n’est plus tabou. Cette année, le faible niveau de participation impliquera nécessairement un duel, que la gauche devra affronter sans réserve de voix évidente.

Si la droite est divisée et le RN en embuscade, la principale rivale de Lyes Louffok, en tout cas sur le papier, s’appelle Camille Galliard-Minier. Suppléante d’Olivier Véran, dont elle a occupé le siège entre 2020 et 2022, elle a bénéficié de l’investiture du camp présidentiel. Très discrète à ce sujet, elle préfère communiquer sur son ancrage local.

Connue et appréciée des milieux économiques, elle met en avant sa gestion d’un fonds de dotation par lequel des entreprises ont financé des projets d’associations du territoire. « Une sorte de clientélisme, mais avec l’argent des capitalistes », grince un cadre écolo du coin.

Au cours d’une conférence de presse le 8 janvier, Camille Galliard-Minier mettait en avant le soutien d’anciennes figures du PS, vantant son « ouverture » et ses « valeurs progressistes et sociales-démocrates », dans une sorte de version « Hibernatus » du macronisme tel qu’il se donnait encore à voir en 2017 – avant les violences policières, le piétinement des syndicats, la loi immigration retoquée par le Conseil constitutionnel et la reprise assumée d’un certain nombre de marottes de l’extrême droite.

Quoique vieillissants, ces réseaux sont importants dans une circonscription historiquement à droite, qui n’a basculé à gauche qu’en 2007, dans une configuration particulière. Geneviève Fioraso, figure typique d’un socialisme grenoblois pro-entreprises alors dans ses grandes heures, l’avait emporté face à une droite divisée par le retour d’Alain Carignon, ancien maire de Grenoble, condamné pour corruption et abus de biens sociaux. C’est sur une base politique proche qu’Olivier Véran lui a succédé en 2017, mais avec l’étiquette macroniste.

Bénévoles d’Île-de-France et de Marseille

Déjà en 2022, le camp présidentiel a été sérieusement défié par la candidature pourtant faible d’une étudiante inconnue, investie par les Insoumis au nom de l’union des gauches. « En tant que ministre de la santé, Véran a été abîmé par la gestion de la pandémie par le pouvoir, retrace Éric Piolle. Et en 2024, son crédit était encore plus entamé, car il a dû assumer tous les mensonges et toutes les contradictions du gouvernement en tant que porte-parole » (voir notre graphique ci-dessus).

Dans ce contexte, les partisans du NFP n’ont d’autre choix que de ranimer le plus possible la ferveur de l’été dernier. « Ce sont les mêmes enjeux, plaide à plusieurs reprises Robinson, étudiant insoumis au cours du porte-à-porte organisé jeudi 9 janvier, en attendant les renforts de député·es LFI et de leurs assistant·es, venus opportunément à Grenoble en séminaire pour le week-end. Il faut barrer la route à l’extrême droite et renforcer la gauche à l’Assemblée. »

L’équipe du candidat bénéficie du soutien de plusieurs bénévoles venu·es de la région parisienne ou de Marseille (Bouches-du-Rhône), qui s’étaient inscrit·es il y a six mois aux « convois de la victoire », une initiative destinée à redistribuer les énergies militantes là où elles manquent. Résultat : un quadrillage du territoire plutôt bien réalisé, même si l’électorat-cible est parfois difficile à débusquer, entre la météo exécrable, les montées d’escalier inaccessibles à cause des digicodes, ou les nombreuses personnes croisées qui ne sont en réalité pas inscrites dans les bureaux de la circonscription.

Le choix de Glucksmann de se démarquer de LFI ne pouvait trouver pire contexte que cette élection partielle.

Si tous les partis du NFP mettent la main à la pâte, Raphaël Glucksmann a écorné l’union en déclarant le 7 janvier dans le Dauphiné Libéré que son parti Place publique ne soutenait pas Lyes Louffok… ni personne d’autre. Une sortie en contradiction avec le choix initial du groupe local, qui s’est depuis muré dans le silence, et qui laisse pantois Maxime Gonzalez : « J’ai fait sa campagne avec plaisir aux Européennes, mais là, c’est incompréhensible. » Peu suspecte de sympathies insoumises, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol était elle aussi furieuse en venant soutenir Lyes Louffok le lendemain soir.

De fait, le choix de Glucksmann de se démarquer de LFI ne pouvait trouver pire contexte que cette élection partielle, sans candidature de gauche alternative, avec un candidat non encarté, avant tout porteur d’une cause liée à sa propre trajectoire d’enfant placé, durant laquelle il fut victime de maltraitances. « Il défend le combat des enfants, il est féministe, franchement qu’est-ce qu’on veut de plus ? », l’a ainsi appuyé Laurence Rossignol en réunion publique à Grenoble.

« Ce thème de campagne atypique a pu dérouter des militants de gauche, raconte Lyes Louffok, mais il permet d’ouvrir des espaces de discussion intéressants avec des électeurs très différents. Si je suis élu, ma plus-value à l’Assemblée sera de déposer des amendements en lien avec cette cause, sur beaucoup de politiques publiques. Car les droits de l’enfant sont un sujet transversal : ils touchent au manque de moyens de l’éducation et de la justice, aux inégalités de santé, à leur vulnérabilité spécifique aux dérèglements climatiques, aux violences qu’ils subissent dans la sphère familiale, etc. »

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Violences contre les enfants : « La France a un énorme retard » 28 novembre 2024 Le cadre écolo cité plus haut témoigne : « Il faut reconnaitre à LFI sa capacité à trouver et investir des candidats d’ouverture intéressants comme lui. Malheureusement, des militants locaux ont été très durs avec lui, en voulant lui imposer des gardes-chiourmes dans son équipe, si bien que le national a été obligé de les calmer. »

Si tout est rentré dans l’ordre, le gros des difficultés pourrait être devant le candidat, au cas où le second tour l’opposerait à une candidature aussi peu définie idéologiquement que celle de Camille Galliard-Minier, sur laquelle pourraient se reporter aisément les voix de toutes les droites. En lice, outre le candidat RN déjà cité, figurent en effet Nathalie Béranger pour LR, et Hervé Gerbi, qui candidate de manière indépendante mais mène une campagne de terrain que les militant·es de gauche s’accordent à trouver dynamique.

Jeudi soir, au cours du porte-à-porte, un ancien informaticien a tenté de donner du courage à Lyes Louffok : « 2025, c’est un carré parfait… » Avant de poursuivre, face aux lacunes avouées du candidat en mathématiques : « C’est un nombre entier au carré, en l’occurrence 45 × 45. Et la dernière fois que c’est arrivé, avec 44 × 44, c’était en… 1936 ! L’année de la victoire du Front populaire ! »

Fabien Escalona


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