Soutien au peuple péruvien face à la répression sanglante

mercredi 28 décembre 2022.
 

Au Pérou, alors qu’une vingtaine de personnes sont mortes, et des centaines de manifestants blessés ou arrêtés lors des rassemblements survenus après la destitution du Président Castillo, un ensemble de membres de la communauté des chercheur·euses en sciences sociales, spécialistes de l’Amérique Latine, et membres de la communauté française, s’insurgent contre cette violente répression. Ils et elles appellent à « la restauration du dialogue démocratique » et au respect des droits de l’Homme.

Au Pérou, depuis la destitution du Président Pedro Castillo après un coup d’état raté, auquel succède le gouvernement de Dina Boluarte, le 7 décembre dernier, des centaines de milliers de citoyens péruviens (la presse péruvienne donne un chiffre approximatif de 194 611 civils manifestants dans 144 villes du pays) manifestent dans les rues de la capitale et des provinces (Cusco, Ayacucho, Puno, Arequipa, Apurimac, Ucayali etc.).

Ils exigent la restauration immédiate d’un processus électoral démocratique et la libération du président sortant, actuellement placé en détention provisoire. Face aux tensions entre les manifestants et la police nationale, le gouvernement de transition de Dina Boluarte a décrété l’état d’urgence dans l’ensemble du pays, le 14 décembre 2022, pour une durée de 30 jours. Prétextant une « réponse énergique avec autorité » face aux manifestations, selon les propos du ministre de la défense M. Alberto Otarola, mercredi 14 décembre, cette mesure suspend « la liberté de circuler et de réunion » et est assortie d’un « couvre-feu » dans de nombreuses régions. « La police, avec le soutien [de l’armée], aura le contrôle de tout le territoire », a-t-il ajouté*. Débordé par les manifestations qui se poursuivent, le gouvernement tente de sortir de la crise en opposant aux citoyens péruviens les forces armées et policières de l’Etat : en moins de 12 jours, plus d’une vingtaine de personnes sont mortes, dont plusieurs mineures, des centaines de manifestants sont grièvement blessés et ont été arrêtés.

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme s’est dit le 15 décembre dernier « préoccupé par le fait que la situation pourrait s’aggraver davantage » et appelle « toutes les personnes concernées à faire preuve de retenue ». Le 16 décembre, Amnesty International Pérou, à travers la voix de sa directrice, Marina Navarro, déclare : « Les autorités péruviennes tournent le dos à la population et envoient les forces de l’ordre pour résoudre par la répression un problème qui devrait être résolu par le dialogue. La sécurité de la population ne peut être garantie en menaçant les droits humains »**. Le 20 décembre 2022, l’assemblée nationale des gouverneurs régionaux demande au Parlement péruvien de se prononcer sur le principe d’élections anticipées. Il demande au gouvernement de Dina Boluarte de mettre un terme à l’état d’urgence nationale, qui a donné lieu à une répression sanglante dans les Andes (Ayacucho, Apurimac, Junin, Arequipa et ailleurs). Plusieurs pays latino-américains (Mexique, Bolivie, Colombie, Argentine), la communauté des universitaires péruviens travaillant sur la mémoire et l’histoire contemporaine, le bureau d’Amnesty International, exigent que soit initiée une enquête, rapide mais surtout impartiale, sur les morts violentes issues des affrontements entre civils et militaires, dont le bilan continue de s’alourdir, de jour en jour.

Appel à l’interruption immédiate de la répression contre les populations civiles et au respect des Droits de l’Homme au Pérou

Nous, membres de la communauté des chercheuses, chercheurs en sciences sociales, spécialistes de l’Amérique Latine et membres de la communauté française en général, lançons un appel à l’interruption immédiate de la répression des Forces policières et armées du Pérou contre les centaines de milliers de manifestants civils non violents. Nous appelons le gouvernement péruvien à la restauration du dialogue démocratique, au respect des droits de l’Homme et à la protection de l’intégrité physique des citoyens péruviens manifestant dans l’ensemble du pays, depuis la destitution de l’ex-président Pedro Castillo, le 7 décembre 2022.

Nous appelons la France et la communauté internationale à manifester haut et fort leur soutien au peuple péruvien et à demander l’ouverture d’une enquête impartiale sur le décès d’une vingtaine de victimes civiles, sous l’état d’urgence national décrété au Pérou depuis le 14 décembre 2022.

Nous demandons que les autorités péruviennes procèdent à la désactivation des dispositifs légaux et administratifs qui exposent les populations civiles péruviennes à des risques accrus de violation de leurs droits et de leur intégrité physique et morale (violences et détentions arbitraires, mauvais traitements, torture) : en particulier la mise en place d’un état d’urgence nationale qui place le pays sous contrôle militaire, la mise en place d’un couvre-feu, l’usage d’armes létales et non létales, de véhicules blindés, à l’encontre des populations civiles. Nous appelons la France et la communauté internationale à se saisir du canal diplomatique avec les autorités péruviennes, afin que celles-ci s’efforcent de rétablir au plus vite un dispositif de concertation pacifique avec les populations civiles, respectueux des droits de l’Homme, permettant de sortir de la situation de crise sociale et politique, et non un dispositif de répression des manifestants. Nous exigeons qu’une enquête, rapide et impartiale, soit réalisée par les Organisations de Défense des Droits de l’Homme au Pérou et par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, sur les présumées violations des droits humains commises dans les circonstances du décès d’une vingtaine de victimes civiles lors des manifestations, parmi lesquelles plusieurs personnes mineures, en seulement 12 jours, sous l’action de la Police et de l’Armée péruvienne. Nous demandons que les centaines de milliers de manifestants pacifiques originaires de toutes les provinces du Pérou et de la capitale du pays, Lima, cessent d’être stigmatisés et qualifiés de « terroristes » (« terrucos ») ou de « petits groupes de vandales » (« grupetes de vandalos ») - par certains membres du gouvernement péruvien et du Congrès, par des représentants de l’Armée, par les media nationaux. Les citoyens manifestant pacifiquement en faveur d’élections générales anticipées et de la dissolution du Congrès actuel, pour la mise en place d’une assemblée constituante, et/ou pour la libération de l’ex-président Castillo, représentent en effet, des Associations de citoyens travailleurs, travailleuses, étudiantes, étudiants (voir le témoignage des étudiants de Cajamarca et celui des étudiants de l’Université Nationale de San Marcos), des syndicats de toutes les professions, des groupes de femmes et des personnes mineures. L’assimilation inappropriée de ces populations civiles non violentes à des acteurs « terroristes » est susceptible de nuire dangereusement à la résolution pacifique du conflit et de servir de justification à l’usage de la violence d’État sur des populations civiles. Pour signer cette pétition, cliquer ici.

*Voir aussi la position officielle des représentants de l’Armée péruvienne face aux affrontements qui se sont tenus dans la région de Ayacucho : https://larepublica.pe/politica/act...

** Voir aussi l’appel lancé par Amnesty International le 16 décembre 2022 : Il est rappelé par Amnesty International que, « face à des violences dans le cadre d’une manifestation ou d’une mobilisation, les forces de l’ordre doivent répondre de manière individuelle en visant les personnes responsables de ces violences, toujours dans le respect des principes de stricte nécessité, de proportionnalité, d’objectif légitime et d’obligation de rendre des comptes, et ne doivent en aucun cas se livrer à une répression aveugle qui touchera également les personnes exerçant pacifiquement leur droit de manifester publiquement. »

Premiers signataires de l’appel :

Andrea-Luz Gutierrez-Choquevilca Anthropologue, Maître de conférences à l’École Pratique des Hautes Études PSL, Directrice du Laboratoire d’Anthropologie Sociale, Collège de France.

Elsy Huboux, Économiste, Experte Genre.

Rodrigo Arenas, Député de Paris (10e circonscription).

François-Michel Lambert, Ancien député (2012-2022).

Pierre Déléage Anthropologue, Directeur de recherche CNRS, Laboratoire d’anthropologie sociale, Institut des civilisations, Collège de France.

Thérèse Bouysse-Cassagne, Historienne-anthropologue, Directrice de recherche émérite CNRS, IHEAL, CREDA.

Irène Bellier, Anthropologue, Directrice de recherches CNRS, Laboratoire d’Anthropologie des Institutions et des Organisations sociales – IIAC – EHESS.

Antoinette Molinié Anthropologue, Directeur de recherches émérite au CNRS, LESC, Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie, Université Paris-Nanterre.

Carmen Bernand Historienne anthropologue, Professeur émérite à l’Université Paris Nanterre, Mondes Américains, EHESS Paris.

Dominique Michelet Archéologue, Directeur de Recherche honoraire CNRS, Membre de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, Paris.

Dorothée Delacroix, Anthropologue, Maître de conférences à l’IHEAL, Université Sorbonne Nouvelle, Paris.

Capucine Boidin, Anthropologue et historienne, Professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, Institut des Hautes Études sur l’Amérique Latine, Paris.

Oscar Calavia Saez, Anthropologue, Directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études PSL, GSRL, Paris.

Valentina Vapnarsky Anthropologue, Directrice de recherche au CNRS, Directrice d’études à l’EPHE, EREA-LESC (CNRS & Université Paris Nanterre).

Véronique Boyer, Anthropologue, Directrice de recherche CNRS, CRBC-Mondes Américains, EHESS, Paris.

Raphaël Colliaux Anthropologue, Docteur de l’EHESS, Paris, Institut Français d’Études Andines.

Alexandre Surrallès Anthropologue, Directeur de recherches CNRS, Directeur d’études à l’EHESS, LAS Collège de France

Grégory Deshoullière, Anthropologue, London School of Economics/Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, Paris.

Pablo Landeo Muñoz, Anthropologue, Docteur de l’INALCO, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3.

Natalia Buitron, Anthropologue, Professeur à l’Université de Cambridge, Department of Social Anthropology.

Camille Riverti, Anthropologue, Docteure en anthropologie sociale, EHESS, Paris, Université Alberto Hurtado, Santiago.

Magda Helena Dziubinska, Anthropologue, Professeur adjointe à l’Université de Laval, Québec.

César Itier Anthropologue, Professeur à l’INALCO, Paris.

Valérie Robin Azevedo, Anthropologue, Professeure à l’Université Paris Cité, URMIS, Paris.

Sharie Neira Sociologue, Doctorante contractuelle, Institut des Amériques, Université Paris Cité.

Rosa Mestanza Sociologue, Doctorante contractuelle, Laboratoire Changement Social et Politique, Université Paris Cité.

Morgana Herrera, Maîtresse de conférences en civilisation latino-américaine, Université Sorbonne Nouvelle, Paris.

Anath Ariel de Vidas, Anthropologue, Directrice de recherche au CNRS, Directrice du CERMA – Mondes Américains, EHESS, Paris.

Emmanuel de Vienne, Anthropologue, Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre, EREA LESC.

Isabelle Daillant, Anthropologue, Chargée de recherche au CNRS, EREA-LESC, Université Paris Nanterre.

Mathilde Allain, Maîtresse de conférences en science politique, IHEAL Université Sorbonne Nouvelle, Paris.

Maria Fernanda Troya Gonzalez Anthropologue, Docteur de l’EHESS, Professeur de l’Université FLACSO, Equateur.

Tiffany Chérix Dorsaz Anthropologue, Étudiante de Master à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, terrain dans le sud d’Ayacucho.

Geoffrey Bodenhausen, Professeur émérite de chimie à l’École Normale Supérieure, Paris.

Bérénice Gaillemin Anthropologue historienne, Docteure de l’Université Paris Nanterre, Getty Research Institute.

Matias Sanchez Barberan, Docteur en Histoire des civilisations, Mondes Américains, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris.

Jeanine Pierret, Directrice de recherches en sociologie, CNRS, CERMES (Centre de Recherche Médecine, Sciences, Santé et Société) Paris.

Anaïs Vidal Jaumary, Doctorante au Centre de Recherche et de Documentation sur les Amériques, IHEAL Institut des Hautes Études sur l’Amérique Latine, Paris.

Esteban Arias Urizar Anthropologue, Doctorant à l’EHESS, LAS, Collège de France.

Odile Lambert, Religieuse, Bruxelles.

Marie Quervet, Orthophoniste, Vernon.

Vincent Arpoulet, Doctorant en économie, Centre de recherche et de documentation sur les Amériques - CREDA UMR 7227 Université Sorbonne-Nouvelle.

Silvia Romio Docteure en anthropologie de l’EHESS, Institute for the Analysis of Change in Contemporary and Historical Societies (UCLouvain).

Maïwenn Raoul – Doctorante en sociologie, CREDA/IHEAL/Université Sorbonne-Nouvelle.

Adriana Carrion avocate journaliste, étudiante Université Paris Sorbonne.

Cécile Cazin, citoyenne belge, Bruxelles.

Noëlle Hausman, Docteur en théologie de l’Université de Louvain, Belgique.

Patricio Arenas, Sociologue.

Anne Lambert, Musicothérapeute, Marquefave.

Josephina Aguilar Guamán, Doctorante en anthropologie, INALCO, Université Sorbonne Nouvelle, Paris.

Adolfo Calvo Redondo, Doctorant en anthropologie, CREDA/IHEAL, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3.

Eric Mulot, Docteur en économie

Alison Krögel Anthropologue, Professor of Andean and Quechua Studies, University of Denver.

Nicolas Goepfert Archéologue, Chargé de recherche au CNRS, Directeur adjoint de l’UMR 8096 Archéologie des Amériques.

Thomas Mouriès Anthropologue, Docteur de l’EHESS, Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France.

Diego Trelles, écrivain.


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