Pérou : une poussée électorale vers la gauche qui confirme la poussée anti-libérale mondiale

mardi 6 juin 2006.
 

Les journaux, radios et télévisions insistaient ces derniers jours sur le fait que le second tour des élections présidentielles péruviennes mettait aux prises deux "candidats de gauche", preuve supplémentaire de la poussée à gauche de l’Amérique latine ( historiquement, "libéraux", "conservateurs", "démocrates chrétiens" monopolisaient le pouvoir dans ce pays).

Avec environ 54 % des suffrages, le candidat du PAP (Parti Apriste Péruvien), Alan Garcia, paraît avoir gagné. L’APRA (Alianza Popular Revolucionaria de America), membre de droit de l’Internationale Socialiste, fut fondée en exil en 1924 avant de gagner une forte implantation parmi les Indiens et l’intelligentsia progressiste. Dans un pays tenu de main de fer par l’oligarchie terrienne, l’armée, l’Eglise et les Etats Unis, l’APRA fut mise hors la loi de 1933 à 1945. En 1948, une dictature militaire de droite l’interdit à nouveau, de même que le Parti Communiste. L’APRA reste le produit de cette histoire tout en étant aussi l’expression politique de milieux capitalistes modernistes péruviens. Pour comprendre l’actuelle poussée à gauche et les enjeux à venir, essayons d’apporter quelques informations.

Qu’est-ce que le Pérou ? Un pays de 20 millions d’habitants pour une superficie d’environ deux fois et demie la France. Sa réputation de richesse était telle que les conquistadores espagnols l’identifièrent avec l’Eldorado. Aujurd’hui encore, les Etats Unis et les multinationales y sont attirés par le gaz, le pétrole, le cuivre, le zinc, l’argent, le coton, le sucre, le café, la farine de poisson...

Le Pérou constituait le centre administratif, militaire et culturel de l’Empire inca puis de la domination espagnole sur l’Amérique latine. Cette histoire a cimenté une société où l’oligarchie accaparait pouvoir et richesses alors que les populations indiennes étaient économiquement surexploitées, politiquement non prises en compte (pas de droit de vote pour deux tiers de la population analphabète), socialement exclues, militairement écrasées à chaque velléité de progrès. Dans ce pays, le mot de république ne pouvait avoir le même sens que dans l’histoire française puisque la création de la "république péruvienne" au 19ème siècle ne signifiait en rien un lien entre Nation de citoyens juridiquement égaux, souveraineté populaire et responsabilité de l’Etat dans la définition de l’intérêt général. En fait, le Pérou passa rapidement du colonialisme espagnol à un semi colonialisme au profit de l’impérialisme américain.

L’aspect superficiel, formel, de la démocratie péruvienne eut pour conséquence que tous les hommes politiques perdirent très vite toute crédibilité. Aussi, le principal parti depuis un siècle et demi fut l’armée, de coup d’Etat en coup d’Etat.

En 2001, le Pérou connut ses premières élections présidentielles et législatives "démocratiques" malgré une forte abstention dans la population indienne. Les forces conservatrices traditionnelles s’effondraient, l’APRA perçait (25,8% aux présidentielles) mais les libéraux menés par Alejandro Toledo l’emportaient. Les élections locales et régionales de 2002 confirmaient la percée de l’APRA qui gagnait 12 des 25 régions. Depuis, la popularité du pouvoir s’est effondrée de mois en mois, en raison d’une politique typiquement "libérale" avec une croissance du PIB à plus de 5% par an (6,7% en 2005) mais une paupérisation croissante du peuple. Trois quarts des habitants de la région andine sont toujours privés d’eau, d’éducation, de vaccins... Deux tiers de la population active péruvienne relèvent de l’"économie informelle" ( travail au noir, revendeurs ambulants, emplois précaires sans le moindre statut...).

Vu le statut économique semi-colonial du Pérou au profit des Etats Unis, sous prétexte de "libre-échangisme", la question des tarifs douaniers, d’une action économique, sociale et culturelle "nationale" a toujours hanté la vie politique péruvienne. Les politiques menées par Chavez au Vénézuéla et Moralès en Bolivie ont popularisé cet objectif, d’autant plus que le Pérou vient de signer un accord de "libre-échange" avec les Etats Unis, libre échange dont les milieux populaires ont déjà compris ce qu’il signifie pour eux.

Le lieutenant-colonel Ollanta Humala, s’est fait le porte parole de cette soif de prise en compte de l’intérêt général du pays avant celui des multinationales. Il a pour cela proposé la nationalisation des resources naturelles du pays, comme en Bolivie. Il vient donc de perdre les élections présidentielles ; mais ses 46% des voix représentent une percée fulgurante en un an. Par ailleurs, la carte de son électorat recoupe très exactement celle de la pauvreté et des milieux populaires. Ce vote confirme que nous vivons une des grandes heures de l’histoire où l’avenir est ouvert.

Nous ne pouvons terminer sans apporter quelques informations sur Alan Garcia, le nouveau président du Pérou, par ailleurs membre de l’Internationale socialiste. La presse a rendu compte du souvenir laissé par son mandat précédent marqué par la corruption et l’inflation (7000%). Quel était le coeur de son discours prononcé après sa victoire : une violente attaque contre Hugo Chavez, comme si la gauche d’Amérique latine n’avait pas d’objectif plus important aujourd’hui.

Jacques Serieys


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