Les fastueux dîners de Laurent Wauquiez aux frais de la Région

lundi 24 octobre 2022.
 

Le président LR d’Auvergne-Rhône-Alpes réunit le gotha régional dans des lieux de prestige afin de « créer des synergies ». Le dernier « dîner des sommets » s’est tenu le 23 juin dans un château. Il a coûté pas moins de 100 000 euros d’argent public, selon les informations de Mediapart. Soit plus de 1 100 euros par convive, aux frais du contribuable.

Le 30 août dernier, lors d’une intervention à l’université d’été du Medef, Laurent Wauquiez, qui s’autoproclame patron de « la région la mieux gérée de France », expliquait doctement qu’il n’y a « aucune fatalité au gaspillage de l’argent public » et que les « sources d’économie » se trouvent « partout ». Partout, sauf visiblement dans le budget que le candidat favori de la droite pour la présidentielle 2027 consacre à un événement confidentiel baptisé « le dîner des sommets », en référence aux massifs montagneux de sa région mais aussi aux ambitions qu’il nourrit pour cette dernière.

Le principe : réunir dans un lieu de prestige des personnalités du cru (chef·fes d’entreprise, patrons de presse, sportifs, grands noms de la cuisine…), autour du chef de l’exécutif régional – l’ancien président du parti Les Républicains (LR) étant le seul élu à y assister.

Le premier « dîner des sommets » avait rassemblé au printemps une soixantaine de convives à l’Institut Paul-Bocuse, près de Lyon. La deuxième édition, à laquelle s’est intéressé Mediapart, s’est tenue le 23 juin dernier au château de La Chaize, dans le Beaujolais, propriété du millionnaire Christophe Gruy, qui a fait fortune dans les infrastructures ferroviaires, l’immobilier et l’énergie.

Selon nos informations, le coût total de ce dîner qui a rassemblé environ 90 personnes atteint un peu plus de 100 000 euros, dont notamment près de 19 751,11 euros de traiteur et 45 435,67 euros de location de mobilier et de matériel son et lumière. Soit une addition finale de plus de 1 100 euros par convive, pas loin d’un Smic mensuel.

Car, pour accueillir ces hôtes prestigieux, le président de région ne lésine pas sur les moyens : invité·es escorté·es à bord de vans de luxe pour parcourir quelques centaines de mètres seulement, apéritif au champagne dans les jardins à la française dessinés par Le Nôtre, dîner élaboré par l’Institut Paul-Bocuse avec service à la cloche – un serveur par convive –, bouteille de vin, pâtisserie et tire-bouchon siglé de la région en cadeaux… Les convives contacté·es par Mediapart (voir notre Boîte noire) décrivent une soirée fastueuse, durant laquelle Laurent Wauquiez, dont les ambitions pour la présidentielle de 2027 se font de plus en plus précises, trônait en maître de cérémonie.

Millionnaires, champagne, foie gras

Autour des tables dressées dans les chais majestueusement rénovés, des grandes fortunes (le milliardaire Alain Mérieux, fondateur de BioMérieux, le propriétaire du château Christophe Gruy et sa famille, le magnat de l’événementiel Olivier Ginon, PDG de GL Events…), des chef·fes d’entreprise et de start-up, des sportifs (le tennisman Jo-Wilfried Tsonga, le skieur Alexis Pinturault), des patrons de groupes de presse, quelques artistes et des personnalités du monde associatif.

C’était un dîner très agréable, dans un cadre très agréable ; ce n’était pas la cantine de M6.

Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6

Au menu : « lentilles vertes du Puy, crème d’anguille fumée, mousse légère de betterave au vinaigre de Xérès », « foie gras de canard aux douces épices », « tournedos de volaille de Bresse sauce Albufera » et « festival de gourmandises », arrosés des vins de la propriété et de « porto vintage ».

« C’était un dîner très agréable, dans un cadre très agréable, c’est évident ; ce n’était pas la cantine de M6 », admet auprès de Mediapart Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6, qui a pris part à cette soirée. À la question « était-ce utile ? », il répond par l’affirmative : « J’ai par exemple rencontré pendant ce dîner une jeune femme qui a créé une maison de soins palliatifs à Lyon. Moi, ça m’a intéressé, donc on va faire un reportage, sans doute en contact avec des gens de RTL. »

Les autres invité·es ayant accepté de répondre aux questions de Mediapart – une dizaine, certain·es réclamant l’anonymat – évoquent, comme le patron de M6, un « événement de networking » ou un « lieu de réseau », « utile » au développement et au rayonnement de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

Olivier Ginon, président de GL Events, cette société d’événementiel si proche des politiques, invité et par ailleurs prestataire sur ce « dîner des sommets » (pour un montant de 45 435,67 euros), évoque « une manifestation ayant pour but d’échanger et de mobiliser les acteurs socioéconomiques au service du développement des territoires ».

Le coût du repas est de l’ordre de 165 euros par personne, le reste relevant globalement des coûts de logistique exceptionnellement liés au site.

La présidence de la région

À l’annonce du montant de la facture, ils et elles se refusent en majorité à tout commentaire. Jo-Wilfried Tsonga nous a ainsi indiqué : « Ce n’est pas à moi d’en juger, encore moins sans connaître la véracité de vos propos. » « Ce ne serait pas dans un château, ce ne serait pas dans cet environnement-là, on serait venus quand même et ça aurait été, je pense, tout aussi efficace. La question du coût, évidemment, c’est très compliqué… », dit, quant à lui, le directeur général du Dauphiné libéré, Christophe Victor, qui invite à considérer « ce que cet événement a rapporté » en bénéfices pour le territoire. Un autre invité dit a contrario de son côté qu’il « préfèrerait qu’on donne les 100 000 euros à des associations ».

Les convives savaient-ils que la soirée était financée sur fonds publics ? Si la plupart avouent ne s’être pas posé la question, plusieurs se figuraient que des entrepreneurs avaient pu mettre la main à la poche : « Je me suis dit que ce n’était pas forcément payé par la région, témoigne ainsi une cheffe d’entreprise. J’ai pensé qu’il y avait des financeurs privés qui étaient invités et venaient soit en mécénat financier, soit en prestation bénévole. »

Objectif politique ?

Interrogé le 6 octobre lors des assises régionales des maires à Lyon, Laurent Wauquiez a d’abord refusé de nous répondre. Nous l’avons de nouveau sollicité, et la présidence de la région a finalement accepté un échange par mail. Droite dans ses bottes, elle justifie un événement qui « permet la mise en relation de personnalités issues de tous les horizons » afin de « créer de grandes synergies entre les acteurs de la région ».

Sur l’addition à 100 000 euros, la région admet l’avoir prise à 100 % à sa charge, sans aucun financement privé, et précise que « le coût du repas est de l’ordre de 165 euros par personne, le reste relevant globalement des coûts de logistique exceptionnellement liés au site ».

Elle a en revanche refusé de nous préciser sur quel budget avaient été imputées ces dépenses, alors que la région a récemment taillé dans les finances de la culture et que les lycées sont à la peine du fait de l’explosion de la facture énergétique. La collectivité est par ailleurs dans le viseur du Parquet national financier : mi-septembre, une perquisition a été menée mardi au siège de la Région Auvergne-Rhône-Alpes dans le cadre d’une enquête préliminaire sur l’emploi de collaborateurs de Laurent Wauquiez et la rémunération d’un de ses proches, après un rapport de la chambre régionale des comptes.

Interrogée sur le fait qu’aucun autre élu n’était présent aux « dîners des sommets » en dehors du président, la région a répondu que « ce n’était pas une séquence à vocation politique ». Le doute est pourtant permis, alors que l’ancien ministre et porte-parole du gouvernement sous François Fillon est régulièrement étrillé par son opposition – qui le surnomme « le Seigneur des panneaux » – pour des dépenses de communication jugées pharaoniques.

À son arrivée à la tête de la région, Laurent Wauquiez a notamment fait exploser le budget de « marketing territorial » pour promouvoir le territoire, mais aussi sa propre action, comme l’avait révélé Mediacités. Idem pour la distribution de masques de protection contre le Covid-19 en 2020 : une opération là encore gourmande en dépenses de communication.

« On n’est pas dupes, déclare ainsi l’une des invité·es du dernier « dîner des sommets » au sujet des intentions du président de région. D’ailleurs, je me suis fait la remarque que son discours d’accueil n’était pas du tout tourné vers la région, il n’y a eu aucun temps de présentation des enjeux ou des politiques portées par le conseil régional. »

Sollicités, les vice-président·es de la collectivité n’ont pas donné suite. Trois élus de l’opposition nous ont quant à eux indiqué n’être pas au courant de ce raout et n’avoir pas connaissance de délibérations relatives à son financement.

Selon les témoignages recueillis par Mediapart, « les dîners des sommets » ont vocation à se tenir chaque trimestre, et à accueillir à chaque fois davantage de personnalités. La prochaine édition devrait donc avoir lieu cet automne. Avec une facture encore plus salée ?


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