Décidément, le destin est taquin. Il nous aura manqué au total seize mille voix dans le pays entre les diverses circonscriptions pour avoir la majorité relative devant les macronistes. Nous avons réuni plus de six millions de voix et le RN seulement trois millions mais il gagne 55 % des duels avec nous. Bien sûr, l’essentiel est ailleurs. Il est dans la gifle monumentale que reçoit le pouvoir macroniste mis en déroute électorale totale. Le parti présidentiel défait dans l’election qui suit l’élection du président, c’est la première fois dans l’histoire de la Cinquième République. Mais on n’est plus sous De Gaulle qui s’en allait pour un « non » à son référendum biscornu. Dorénavant, ça s’accroche dans tous les cas. Quoiqu’il en coûte au pays.
Et cette fois ci, le prix à payer est sévère. Sur le papier, dans la forme démocratique usuelle, le pays est ingouvernable. Il faut prendre ce mot au pied de la lettre. Le pays ne peut pas être gouverné. Ce n’est pas une appréciation subjective. C’est une réalité. Pourquoi ? Si la Première ministre se présente devant l’Assemblée et demande un vote de confiance comme c’est l’usage en démocratie, elle ne trouvera pas une majorité de députés pour la lui accorder. En effet ni la NUPES, ni les Républicains, ni le Rassemblement National ne voteront la confiance. Notons que la Constitution n’oblige pas à faire ce vote. Supposons que madame Borne décide de s’en passer, selon le souhait des « Républicains » comme l’a annoncé son président Christian Jacob.
Supposons qu’elle décide de gouverner du seul fait du prince, sans vote de l’Assemblée. Ou que les députés « Les Républicains » la laisse faire mais décident de s’abstenir pour laisser une majorité relative au vote favorable. Commencerait alors le supplice du goutte à goutte. Vote après vote amendement après amendement, le gouvernement dépendra des uns ou des autres. Comme je l’avais annoncé en fermant la campagne des législatives sur les bords du canal Saint Martin avec Julien Bayou, c’est le retour de la Quatrième République dans la Cinquième.
Macron est l’homme du chaos permanent. Un chaos durable. En effet, comme le pouvoir ne peut gouverner faute de LR et pour ne pas dépendre que du seul bon vouloir de ce parti, la macronie doit chercher du côté du RN des accointances utiles. En échange de quoi ? C’est sans doute ce qui explique les mots doux des macronistes à l’égard de leurs nouveaux amis lepenistes. Et cela ne sera jamais sans contrepartie. On vu a quelle vitesse les macronistes ont intronisé le RN « premier parti d’opposition ». Olivia Grégoire, porte parole du gouvernement a aussitôt distribué elle-même la consigne de langage venue du sommet « La NUPES étant un rassemblement de partis, le réel premier parti d’opposition c’est le Front National… ». Une reprise pure et simple de l’argument qui avait servi à empêcher l’étiquetage NUPES jusqu’à ce que le Conseil d’État nous donne raison. Le soir même, la télé gouvernementale et le service politique de France 2 ainsi que les diverses chaînes du groupe reprenaient à leur compte la consigne macroniste. Flagrant délit de reconstitution de monde dissout. Tel est le bilan du roi des castors qui appelait naguère à gros sanglots à faire « barrage au front national ».
Toute la presse non gouvernementale pour une fois se gausse de ce masque tombé au hasard d’un faux mouvement électoral. Car la famille des Castors vient de prouver qu’elle fait élire les candidats du RN quand l’occasion s’en présente. « Plutôt Hitler que le front populaire » dirait-on au point Godwin sur le sujet, par référence à la période de l’étrange défaite. En tous cas dans 55% des cas de duel entre RN et NUPES, l’extrême droite l’emporte parce que 76% des électeurs macronistes laissent faire. Aurore Bergé n’a-t-elle pas dit : « On avait des cas où c’était compliqué de définir qui était le candidat le plus républicain. Regardez un duel entre François Ruffin et le RN ». Donc ils ne s’en dédisent pas. C’est bien leur droit. Mais alors que valaient les leçons de morale du passé si récent ? Ne s’ébahit que l’ignorant s’il ne s’est pas intéressé au monde tel qu’il est devenu au cours de la décennie. Tous les donneurs de leçons de morale que furent les libéraux finissent dans le giron des pires. Désormais voici les Français engagés sur la pente glissante qui part du tarmac et finit dans l’imitation politique du trumpisme. Comme en Pologne, comme en Hongrie, les chefs libéraux d’hier sont devenus cette variété d’« illibéraux », mués en autoritaires et réactionnaires grand teint en froid avec les liberté individuelles et les droits fondamentaux. Macron est sur cette pente depuis des mois avec vingt-et-une lois de restrictions des libertés en cinq ans dont la fameuse loi de suspicion des musulmans dites « loi séparatisme ». Et le rustique Dupont-Moretti fut bien direct sur ce plateau de télé en présentant l’idée « d’avancer ensemble avec le RN à l’Assemblée ». Mais il n’est pire aveugles que ceux qui ne veulent pas voir.
De toute façon, la difficulté c’est juste de savoir quels principes animent désormais l’homme qui préside le pays. À cette heure, il vient de perdre la légitimité parlementaire de gouverner. Et il ne peut pas se représenter à sa propre fonction. Cela signifie que la guerre de succession est commencée dans sa famille politique recomposée et compliquée. Les surenchères droitières vont aller bon train. En résumé il y a péril de droitisation extrême d’un régime aux abois. Le macronisme est le nom du naufrage moral dans lequel le pays est engagé. Le pli est pris depuis des mois. La double élection présidentielle et législative faussée par les dérobades et les manipulations ont opéré un franchissement de seuil. Le moment dangereux commence. Nous devons donc être en alerte. Le chaos resultant de la défaite de Macron ouvre la voie à tous les dégoûts et assemblages opportunistes possibles. Ce serait le pire pour notre pays.
C’est la raison pour laquelle, alors même que je n’ai aucune responsabilité désormais, je me suis permis de faire une proposition. Une situation nouvelle est là depuis que nous connaissons les résultats definitifs. Je crois que nous devons être et rester une alternative unie. Autrement dit, la NUPES devrait se constituer comme un seul groupe au Parlement, de manière à ce que sans aucune discussion possible, il soit établi qu’elle reste l’alternative d’opposition dans le pays. Il faut montrer que nous sommes prêts à tout moment, y compris s’il y a de nouvelles élections, à présenter la candidature de la NUPES. Je pense que c’est un élément de clarification, un repère stable et d’ordre qui est là disponible face au chaos qui s’avance. C’est une proposition. Je ne veux pas abuser de ma position aujourd’hui et donc ce n’est pas une injonction. C’est une proposition. Certes ce n’était pas prévu par nos accords qui instituaient seulement un intergroupe. Mais si nous le faisions, nous serions aussi conformes à notre engagement auprès de ceux qui ont voté pour nous.
Attention, je ne propose pas la fusion des partis ni leur dissolution d’une façon ou d’une autre. Car naturellement, ça n’empêcherait pas chaque parti d’avoir une délégation parlementaire organisée distinctement. Au Parlement européen chacun fonctionne de cette façon : un groupe commun mais des délégations nationales ou partidaires distinctes. Mathilde Pannot a complété cette idée en proposant une présidence tournante de ce groupe commun. Il est vrai que les partis perdraient à cette occasion quelques moyens matériels. Mais c’est un inconvenient dérisoire par rapport à l’enjeu politique. Dès lors que nous déclarerions un groupe, sans aucune discussion possible, l’opposition s’appellerait NUPES.
Ma proposition est celle de quelqu’un qui n’a à cet instant plus rien en jeu pour lui-même : ni titre, ni fonction, ni autre autorité que celle qu’on veut bien accorder à une parole politique. Mon objectif est moral et philosophique. On ne peut pas laisser recommencer la manoeuvre qui veut donner à l’extrême-droite un brevet comme celui que les macronistes veulent lui donner en laissant croire que c’est par obligation démocratique. C’est ce qu’a fait l’ancien ministre des Relations avec le Parlement actuel, ministre de l’Agriculture chimique, le sieur Marc Fesneau, à propos de la commission des Finances. « Le RN à la tête de la commission des finances ? Bien sûr que cela me choquerait mais la Constitution s’impose ». Double ironie de l’histoire. La Constitution est muette sur le sujet. Et Marc Fesneau est membre du MoDem dont le président monsieur Bayrou refusait que la NUPES préside cette même commission des Finances en raison du danger que cela représentait. Tels sont les éléments que je voulais faire connaitre pour expliquer et, si je le peux, relancer ma proposition dans le cas où elle aurait été mal comprise ou mal interprétée.
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