Le post-fascisme en Italie (3 articles)

dimanche 9 octobre 2022.
 

1) Un peu d’histoire de la gauche en Italie et la dérive à droite du pays

Pour comprendre l’actuelle dérive à droite de l’Italie il faut rappeler l’histoire de la gauche italienne, son hétérogénèse et comment cela a favorisé le processus menant au triomphe du capitalisme néo-libériste, la « postpolitique au-delà de toute idéologie » et l’anomie politique, donc le succès des droites depuis Berlusconi, Salvini jusqu’à Meloni.

par salvatore palidda, Professeur de sociologie à l’université de Gênes (Italie)

Au tournant de la 2e guerre mondiale, l’entente de Yalta entre Etats-Unis, Royaume Uni et URSS a imposé le système bipolaire et l’Italie a été reléguée à se situer dans le champ atlantiste. Pays depuis toujours à faible souveraineté nationale, malgré les velléités tragiques du fascisme, l’Italie était dévastée, détruite par la guerre, en misère et avec bien peu de ressources pour la reconstruction. En tant que nouvelle puissance mondiale visant la domination totale du monde euro-méditerranéen, les Etats-Unis ont tout de suite misé sur le contrôle de l’Italie parce que celle-ci est située au centre de la Méditerranée. Comme le montre l’histoire depuis les Romains, toute puissance qui veut dominer cet espace a besoin le contrôler la péninsule et en particulier la Sicile (ce qu’avaient fait les Anglais jouant un role décisif déjà lors du débarquement de Garibaldi pour l’unité italienne sous le royaume piémontais -voir les recherches de Elio Di Piazza).

Le 10 juillet 1943 les troupes anglo-saxonnes débarquèrent en Sicile, Mussolini est destitué ; avec le soutien de Hitler il crée la « République de Salò » au Nord-Est du pays tandis que le roi d’Italie nomme chef du gouvernement le général Badoglio.

En 1944, au congrès du Parti Communiste italien (PCI), l’alors secrétaire national, Palmiro Togliatti, proposa ce qui fut appelé la « svolta de Salerno » (le tournant de Salerne) après sa rencontre avec Staline le 3-4 mars 1944. L’URSS voulait que les communistes italiens (décisifs dans la Résistance antifasciste et antinazie et l’effective libération du pays bien avant l’arrivée des troupes anglo-américaines), poussent pour un compromis entre tous les partis du Comité National de Libération (CLN), la monarchie savoyarde et le chef provisoire du gouvernement, le général Badoglio (déjà condamné pour ses crimes de guerre coloniale -voir “Fascist Legacy-L’eredità del fascismo”, documentaire BBC). En même temps, la directive de Stalin vise que tous les partis communistes adoptent leur propre « voie nationale au socialisme ». Pour ceux des pays qui sont situés dans le champ occidental cela veut dire qu’il n’est plus question de viser la révolution socialiste, mais seulement l’avancée progressive vers le socialisme à travers des compromis avec les partis démocratiques. De facto, le pacte de Yalta impose que les communistes dans le champ occidental acceptent cette collocation, point.

Dès lors les Etats-Unis misent sur leur progressive mainmise sur l’Italie à travers toutes sortes de moyens, y compris la collaboration de la mafia tout comme des fascistes.

En tant que ministre de la justice du premier gouvernement provisoire de l’Italie libérée, Togliatti fit voter la soi-disant "amnistie" (voir Franzinelli) par décret présidentiel du 22 juin 1946, n.4 : il établissait l’extinction des peines et persécutions judiciaires concernant les délits pendant la “guerre civile”, les épisodes de justice sommaire et aussi de collaborationnisme avec les nazis, au nom d’un “rapide démarrage vers des conditions de paix politique et sociale”. Ainsi les fascistes restèrent ou revernirent à leurs postes dans les rangs de la bureaucratie de l’Etat, notamment comme préfet de police, juges etc. Il y a eu aussi des cas de personnalités et grands patrons pas poursuivis, par exemple le comte Marzotto, industriel du textile et de la manufacture, qui avait été ami de Goebbels et de Hitler et avait fait cadeau à la Wehrmacht d’un million d’uniformes.

Les Etats-Unis profitent non seulement du fait que l’Italie est l’un des trois pays vaincus et donc assujetti à nombre de restrictions, mais surtout du fait que plus gros problème italien concernait l’économie. Pour contraire la fort possible victoire du Front Populaire (des gauches) lors des élections du 18 avril 1948, les Etats-Unis arrosent l’Italie de cadeaux alimentaires (les paquets de pates etc.) ; on a ainsi ce qu’on a appelé le « coup d’Etat blanc » par lequel la Démocratie Chrétienne (DC), devenue le parti des Etats-Unis et de l’Église catholique alors très conservatrice et anticommuniste, gagna les élections. Dès lors la défense nationale, les affaires étrangères et une bonne partie de l’économie du pays sont phagocytés par les Etats-Unis. La DC joue alors le jeu classique des dominants italiens, c.-à-d. celui de power-broker qui négocie avec l’allie-dominant la possibilité d’une autonomie de gestion de la société. La DC se configure alors comme le parti-Etat qui fonde sa gouvernance sur une très forte police d’Etat et un très important secteur public (la grande industrie de base -notamment la sidérurgie-, l’électricité, le téléphone, les diverses sources d’énergie, les chemins de fer, les postes etc.). Tout cela en entente avec le patronat privé dominé par les grandes familles telles les Agnelli de Fiat, les patrons de la pétrochimie privée, les cimentiers bâtisseurs des autoroutes. Dès lors les trois principales lobbies italiennes sont ceux de l’automobile, du pétrole et du ciment, ce qui produit une terrible dévastation et pollution du territoire, une gigantesque spéculation immobilière, la reproduction continue de désastres environnementaux et un très grand nombre de morts et accidents de travailleurs.

La reconstruction avec l’aide du plan Marshall passa par un contrôle policier et mafieux brutal : maintes fois les forces de police ouvraient le feu sur les manifestants faisant nombre de morts ; à cela s’accompagnait la mafia qui en Sicile tua des dizaines de syndicalistes.

Le Parti Communiste, le Parti Socialiste et la CGIL étaient toujours à la tête des luttes mais aussi tiraillés entre les militants qui voulaient riposter même avec les armes à feu et ceux qui cherchaient de freiner par peur de glisser dans la guerre civile et surtout peur que les Etats-Unis, le patronat et els forces réactionnaires du pays -y compris l’Église catholique, puissent passer au coup d’Etat. En effet, les services secrets étasuniens manipulaient à leur grès ceux italiens et nombre de mercenaires fascistes et de la mafia, ce qui depuis 1964 et jusqu’à 1993 amena à des tentatives de coups d’Etat et notamment à divers massacres à la bombe, tous faits visant d’empêcher que l’Italie passe à gauche.

Ainsi les gauches italiennes se trouvent coincées dans une situation qui ne laisse pas de marges d’action, sauf celle de la résistance syndicale et celle des batailles électorales. Entretemps, la DC travaille à phagocyter des leaders de la gauche tout d’abord dans les conseils d’administration et comités d’entreprises du secteur public. Ainsi une partie des gauches glisse vers la collaboration avec le patronat et le gouvernement et partage la tentative démocrate-chrétienne de développer l’autonomisation (relative) du pays vis-à-vis des Etats-Unis à travers le pro-arabisme, une ostpolitik italienne et l’européisme, tandis que, en même temps, les leaders DC n’arrêtent pas de se montrer atlantistes zélés (voir l’anamorphose de l’Etat en Italie).

C’est le coup d’Etat au Chili qui provoque une grande peur aux gauches et pousse le PCI de Berlinguer à proclamer le respect de l’Alliance atlantique et donc de la fidélité italienne à l’OTAN qui a fait du pays sa principale base militaire dans l’espace méditerranéen, base employée pour les guerres au Moyens Orient (à noter, par ailleurs, que seuls les militaires étasuniens ont le contrôle des dizaines de bombes nucléaires stockées dans les bases en Italie qui donc sont des bases USA et pas OTAN).

Et c’est pendant la dernière période de Berlinguer que le PCI est de plus en plus tiraillé pour glisser vers des orientations socio-démocrates peu à peu néo-libériste ainsi que vers ce qu’on appelle le « compromis historique » (entre DC et PCI). L’assassinat de Aldo Moro, qui était favorable à ce compromis, et ensuite la mort de Berlinguer accompagnent la fin du PCI alors qu’en même temps Craxi conduit le Parti Socialiste (PSI) vers des choix économiques et sociales carrément très éloignés de la gauche.

Pendant toute la période qui va de 1968 jusqu’à la fin des années 1970 le PCI adopte une attitude non seulement réticente mais souvent hostile vis-à-vis des révoltes des étudiants et des jeunes. Cela favorise la prolifération de groupuscules de gauche en conflit ouvert avec le PCI et le PSI. A cela s’ajoute la phase tragique de la soi-disant lutte armée menée par des groupes de gauche (brigades rouges, prima linea etc.). Par peur aussi d’être accusé de couvrir ce gauchisme extrême et en partie terroriste, le PCI adopte le choix d’absolue attachement à l’Etat de l’ordre et il soutient aussi la répression de tout gauchisme. Sans doute il y a eu là une grave perte de forces jeunes pour la gauche traditionnelle qui s’est enlisée dans une sorte de tête-à-tête avec la DC s’éloignant aussi des luttes ouvrières et populaires.

Commence ainsi le déclin tragique de la gauche italienne ; enfin en 1989 le PCI est dissous ! Et cela juste au moment où on a le boom de la contre-révolution néo-libériste ; celle-ci provoque une dévastatrice déstructuration économique, sociale, culturelle et politique. La fin de la grande et moyenne industrie produit la dispersion des travailleurs entre travail de plus en plus instable, mal payé et de plus en plus au noir. Les économies souterraines atteignent plus de 32% du PNB, environ 8 millions de travailleurs oscillent du précariat au travail au noir, sous le pouvoir violent de caporaux liés aux mafieux ; une fraude fiscale gigantesque ... environ 10 millions de électeurs (y compris de l’ex-gauche) qui votent pour ceux qui promettent de les protéger, voir les amnisties de l’évasion fiscale, de toute sorte d’illicites. Voilà pourquoi au début des années 1990 Berlusconi gagne (il promettait “moins d’impôts pour tous », la fin de l’“harcèlement” judiciaire pour toute sorte d’activités économique, bref la liberté de super-exploiter et bafouer l’Etat de droit démocratique chacun à son gré). Dans ce tournant on a une forte montée de la Ligue de Bossi et ensuite de Salvini à premier parti du Nord du pays : ses fiefs sont précisément les terres des petits et moyens entrepreneurs qui surexploitent souvent au noir les immigrés, évadent le fisc, n’hésitent pas à faire recours au soutien des mafias. Et les économies souterraines se sont répandues partout, même dans les régions auparavant dites rouges (Emilie-Romagna, Toscane, Marches etc.). Mais, selon les économistes et sociologues de gauche ce développement de l’hybride entre légal et illégal et même criminel dans toute sorte d’activités économiques (y compris dans les grandes firmes telles Fincantieri) n’était que l’« informel » considéré même génial parce que a fait pousser des « districts » très productifs, le Made in Italy, la « troisième Italie », voir ce que les autres pays ont fini par admirer et enfin imiter (dans tout le pays et même en France on a eu une forte augmentation des économies souterraines).

Depuis la mort de Berlinguer (1984) la gauche italienne (Parti Communiste, le Parti Socialiste et la CGIL -la CGT italienne) glisse vers la conversion néo-libériste ; elle n’a jamais entamé la lutte contre la super-exploitation et pour un programme de remédiation/légalisation des économies souterraines ! Ainsi les travailleurs sont restés abandonnés sans protection et donc à la merci des caporaux et mafieux (au Nord et au Sud). Il suffit voir l’évolution des salaires moyens en Europe de 1990 à 2020 : l’Italie se place au plus bas poste... ; c’est le pays où le capitalisme-libériste a pu imposer la super exploitation la plus brutale. Et cela aussi parce que les syndicats sont très affaiblis ou corrompus et la gauche n’existe plus ! (alors que c’était le pays avec la plus forte gauche d’Occident et le plus fort syndicat de gauche).

Voilà pourquoi depuis les années 1980 une grande partie de l’électorat de gauche a fini par ne plus voter car effondré dans l’amertume, la déception, le dégout face à une ex-gauche qui flirtait avec la droite (voir plusieurs articles ici), le patronat, les hommes d’affaires et les banques, les multinationales. Le Parti Démocratique est devenu la nouvelle Démocratie Chrétienne perdant même la composante de gauche, le principal référent politique des lobbies militaire et des polices, de l’atlantisme les plus acharné, de l’européisme néolibéral le plus zélé.

Voilà donc pourquoi le pays a glissé à droite même si on pourrait dire qu’en réalité il y a un grand potentiel de gauche si la majorité des travailleurs pouvait arriver à trouver un référent politique crédible. Mais en Italie on n’a rien de comparable à ce qui est devenu la NUPES.

Ils existent aujourd’hui nombre de résistances au néo-libérisme, notamment les luttes des travailleurs de la logistique organisées par les syndicats dits autonomes tout comme les luttes contre les grands travaux (voir le cas extraordinaire des NOTAV -No tunnel Turin-Lyon ainsi que les No-Muos -non aux bases militaires des USA en Sicile et encore d’autres luttes). Mais on est bien loin de voir la convergence de ces luttes et l’émergence d’un nouveau référant politique de gauche crédible et efficace comme en partie est la NUPES en France.

2) Extrême droite : les larmes (de crocodile) des élites libérales

Les succès électoraux de l’extrême droite, comme en Suède ou en Italie, font souvent l’objet d’une couverture sensationnaliste et de dénonciations superficielles. Celles-ci passent à côté de la normalisation de l’agenda nativiste, dont la responsabilité est très largement partagée.

À deux semaines d’écart, la performance des Démocrates de Suède et celle de Fratelli d’Italia ont alimenté les réactions solennelles et les débats inquiets à propos du sort de nos démocraties. Telle matinale se demande « pourquoi l’Europe dérive à l’extrême droite », tel commentateur évoque la « vague identitaire » qui submerge le Vieux Continent… et voici même convoquées, comme on sonne le glas, les « heures sombres » de l’histoire européenne.

L’ex-candidate socialiste à l’élection présidentielle Anne Hidalgo n’a pas hésité à recourir à ce registre, tout en appelant au sursaut des « démocrates » contre le « populisme ». Ou comment réunir en un tweet – on y reviendra – les clichés et les angles morts qui caractérisent le discours le plus répandu au sein de la classe politique et des médias de masse.

Le cadrage dominant de l’événement, tout comme les déplorations à peu de frais des responsables de centre-droit et de centre-gauche, sont insatisfaisants à bien des égards. D’abord à cause d’un traitement sensationnaliste, qui se focalise sur des résultats isolés sans les mettre en perspective.

« On parle énormément de l’extrême droite quand ses résultats sont positifs, mais très peu quand ils sont décevants », résume le politiste Aurelien Mondon, enseignant à l’université de Bath. De fait, les commentaires n’ont guère été aussi réactifs ni aussi abondants pour traiter des reculs de l’Alternative pour l’Allemagne et du Parti du progrès norvégien en 2021, ou de celui du Parti populaire danois en 2019.

Il ne s’agit pas de nier, sur le long terme, les progrès de la grande famille de la droite radicale en Europe. Dans les plus anciennes démocraties consolidées d’Europe de l’Ouest, ses membres végétaient sous les 3 % des suffrages jusqu’à l’orée des années 1980, pour atteindre une moyenne s’approchant des 15 % ces dernières années. Et plusieurs d’entre eux ont fini par percer dans des pays plus récemment démocratisés, où ils étaient restés à la marge, comme dans la péninsule ibérique.

L’agenda de l’extrême droite a colonisé les discours et les politiques publiques menées depuis le cœur du système partisan.

Mais cette focalisation sur les résultats électoraux se traduit par des alertes répétitives qui manquent en partie le fond du problème. Le plus souvent, elles traitent en effet l’extrême droite comme un agent extérieur qui gagnerait en puissance vis-à-vis de l’arc démocratique des autres forces politiques. Or son influence passe aussi, voire surtout, par la manière dont son agenda a colonisé les discours et les politiques publiques menées depuis le cœur du système partisan.

C’est ce que décrit le politiste Cas Mudde dans son ouvrage The Far Right Today (Polity, 2019, non traduit en français). Distinguant plusieurs vagues de développement de l’extrême droite, il affirme que la plus récente, depuis les années 2000, se distingue par la « normalisation » dont elle fait l’objet. Dans les cercles politico-médiatiques « mainstream », ses dirigeants sont désormais bien mieux acceptés, et ses idées davantage débattues, voire transformées en mesures gouvernementales, que ce n’était encore le cas dans les années 1980 et 1990.

Fait intéressant, les organisations de la société civile sont restées globalement beaucoup plus imperméables à l’influence de cette famille politique. Mais dans le champ partisan, les comportements ont clairement changé, documente le chercheur.

Auparavant, les choix majoritaires étaient ceux de la confrontation active aux partis d’extrême droite, ou a minima du respect d’un cordon sanitaire consistant à les ignorer et à les exclure du jeu politique. Désormais, écrit Cas Mudde, la « cooptation [de leurs idées] est devenue le mode dominant d’interaction dans les démocraties occidentales ». De plus, l’« incorporation » des partis eux-mêmes dans les exécutifs est devenue une tendance croissante, d’ailleurs inaugurée dès 1994 en Italie par Silvio Berlusconi.

Certes, le fait que les droites italiennes aient été phagocytées par leur composante la plus radicale est bien historique. Mais il faut garder à l’esprit que leur fonctionnement en coalition depuis trois décennies a facilité les transferts de voix d’un électorat conservateur à la recherche du leader le plus à même de relayer ses préférences.

Le cas italien, mais aussi le cas suédois, où le cordon sanitaire a tenu plus longtemps avant de se fissurer, illustrent ainsi le cercle vicieux entretenu par de très nombreux partis de la droite dite « classique ». Face à la croissance objective de la droite radicale ou extrême, qui trouve sa force propulsive dans des thèmes nativistes et sécuritaires jusqu’alors peu politisés, la droite traditionnelle a décidé d’enfourcher ces thèmes ou de coopérer avec ses rivaux plus radicaux, pour limiter l’hémorragie électorale et/ou s’assurer de parvenir au pouvoir sans la gauche.

Le sacrifice d’un profil politique modéré afin de sauver des suffrages et des postes peut être considéré comme cynique, quoique stratégiquement compréhensible. Sauf que, même de ce point de vue, certains observateurs se demandent si ce comportement n’est pas autodestructeur, en plus d’être dangereux pour les droits des minorités et les libertés publiques.

« Il n’y a aucune preuve que la radicalisation de la droite mainstream entraîne le recul de l’extrême droite sur la scène électorale », constatent Tim Bale et Cristóbal Rovira Kaltwasser dans un ouvrage collectif. Les deux politistes y voient un expédient de court terme qui, sur le long terme, contribue à focaliser la conversation publique sur les obsessions de l’extrême droite, tout en faisant évoluer le champ du dicible en la matière.

L’évolution de certaines formations pourrait même, suggèrent-ils en évoquant les cas autrichien, néerlandais ou encore britannique, amener à rediscuter la labellisation de certains partis de droite mainstream. Si ceux-ci perdent leur modération et vont jusqu’à remettre en cause certains principes de la démocratie libérale, peut-être faudra-t-il les considérer comme des « ersatz de droite radicale ».

La droitisation de la « norme »

L’interrogation rejoint les préoccupations d’Aurelien Mondon, coauteur avec Aaron Winter de Reactionary Democracy (Verso, 2020). Selon lui, la stratégie de normalisation de l’extrême droite n’a pas fonctionné uniquement grâce à l’habileté de cette dernière, mais parce que « les élites mainstream ont aidé » à l’importation de ses thèmes et de ses idées dans le champ de la « norme ».

Celui-ci, loin d’être immuable, n’est pas voué à refléter pour toujours le consensus libéral et progressiste partagé par les partis de gouvernement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Autrement dit, ce que l’on considère spontanément comme mainstream est en fait contingent, se transforme en permanence. Des pressions populaires peuvent y contribuer « par en bas », mais la façon dont les élites dirigeantes y concourent « par en haut » est tout aussi cruciale, voire davantage.

« Les médias et les politiciens traditionnels ont un accès privilégié au discours public, détiennent un pouvoir significatif de fixation de l’agenda, et jouent ainsi un rôle hégémonique », rappelle Aurelien Mondon. Le chercheur trouve parlant le fait que, dans les eurobaromètres, l’immigration est souvent citée dans les sujets les plus importants pour le pays par les personnes interrogées (quoique très rarement le premier), mais dégringole lorsque les mêmes hiérarchisent leurs préoccupations concernant leur vie quotidienne.

Aurelien Mondon estime que la droitisation du mainstream par les élites, outre des préoccupations électoralistes déjà évoquées, est un contrefeu peu glorieux à des attentes et des pressions progressistes plus difficiles à assimiler. « Nos élites n’ont pas envie de voir disparaître leurs privilèges, qu’ils soient d’ordre économique ou associés à la bonne vieille patriarchie blanche. Dans le même temps, il y a une multitude de crises auxquelles elles ne parviennent plus à répondre. Leurs coups de barre réactionnaires sont à la fois un baroud d’honneur et une stratégie de diversion. »

Appeler les « démocrates » à la mobilisation contre « le populisme », à l’instar d’Anne Hidalgo, manque totalement cette dimension du problème. Dans le premier camp figurent en effet des responsables politiques appartenant à la droite, au centre et même à la gauche, qui jouent sciemment avec le feu et mènent de toute façon des politiques qui nourrissent une perception d’impuissance du politique, sur laquelle fond l’extrême droite pour mieux exciter les ressentiments contre ses boucs émissaires habituels.

À cet égard, on ne peut que noter l’indécence des propos de l’ancien premier ministre Bernard Cazeneuve, estimant que des alliances comme la Nupes sont de nature à « catalyser l’alliance entre droite et extrême droite ». Non seulement l’argument est faible en matière de politique comparée – la Nupes n’existe ni en Suède ni en Italie –, mais il néglige le découragement et la perte des repères provoqués dans l’électorat par les forces gouvernementales censées satisfaire des attentes démocratiques et sociales.

En France, le mandat de François Hollande a représenté une sorte d’acmé en la matière. Il a concouru à la distorsion qui existe entre, d’un côté, les niveaux de tolérance et d’ambition redistributive qui prévalent dans la société et, de l’autre, le poids électoral détenu par le pôle néolibéral et le pôle identitariste dans la sphère politique. Quant à la Nupes, elle n’est pas dominée par les Insoumis par magie, mais parce que le vote PS est devenu impossible pour une majorité de ses anciens soutiens. En Italie, les errements du Mouvement 5 Étoiles ont conduit une bonne part de son électorat à s’abstenir, et ce parti n’existerait pas lui-même si le centre-gauche n’avait pas désespéré des pans entiers de sa base.

La désastreuse équation « populisme = extrême droite »

À cet égard, vouloir unir les démocrates contre le « populisme » est particulièrement maladroit. Cette étiquette, utilisée à tort et à travers, désigne parfois des mouvements qui portent des critiques légitimes envers un ordre sociopolitique excluant. Les amalgamer à l’extrême droite ne revient pas seulement à les flétrir, mais aussi à renforcer l’idée qu’il n’existe pas de réelle alternative aux élites en place, qu’elles gouvernent ensemble ou en alternance.

L’utilisation de ce vocable est d’autant plus dérangeante que l’extrême droite est capable de donner des gages de respectabilité, d’autant plus faciles à fournir que la fameuse « norme » politique a évolué dans son sens. Même en admettant de faire du populisme un synonyme de démagogie, la cible pourrait donc se dérober plus facilement qu’on ne le croit.

Le terme de populisme possède enfin une connotation « populaire », dans un sens positif, que ses adversaires négligent et qu’il serait malheureux d’accorder si facilement à l’extrême droite. Celle-ci représente moins « le peuple » qu’elle ne trie en son sein, corrige moins les torts faits aux citoyens ordinaires qu’elle ne les redouble par des politiques d’exclusion supplémentaires, ses promesses sociales n’étant que superficielles et subordonnées à un conformisme néolibéral.

Que l’on ne se méprenne pas. Les scrutins suédois et italien n’ont rien d’anodin, et tout durcissement législatif sur les plans migratoire et sécuritaire affectera le sort d’individus bien concrets. Mais ce n’est pas céder au relativisme que de pointer l’ensemble du décor qui rend possibles ces progrès électoraux et ces politiques publiques. L’extrême droite n’en est qu’un motif particulier, à propos duquel il est vain de rétrécir son indignation, si l’on ne voit pas qu’il se réplique et colore le reste du tableau.

Dans Reactionary Democracy, Mondon et Winter suggèrent qu’une double réponse est nécessaire. En premier lieu, appeler à la responsabilité les élites politiques et médiatiques qui concourent à la normalisation de l’extrême droite par un traitement disproportionné ou la tentation de capter une part de leurs soutiens. Mais autant la paresse intellectuelle et l’inconscience politique peuvent se corriger, autant l’opportunisme partisan et commercial semble plus délicat à contrecarrer.

En second lieu, les auteurs en appellent donc à dépasser le consensus libéral de l’après-guerre, qui se révèle insuffisant pour affronter la crise écologique, la dynamique affaiblie et d’autant plus inégalitaire du capitalisme, mais aussi les torts persistants et massifs subis par les femmes et les minorités racisées, en dépit des avancées du droit en leur faveur.

La duplicité macroniste

Si les « démocrates » sincères doivent être appelés à quelque chose, ce n’est donc pas seulement à se mobiliser contre l’extrême droite – encore faudrait-il préciser comment –, mais à ne pas diaboliser ou caricaturer les alternatives radicales au statu quo, lorsqu’elles s’inscrivent (même de manière imparfaite et critiquable) dans un idéal d’approfondissement de la liberté et de l’égalité.

Cela vaut pour Bernard Cazeneuve, mais aussi et surtout pour la majorité macroniste. Voilà des acteurs typiquement mainstream, revendiquant avec force leur centralité dans un système partisan polarisé, qui ont en effet alimenté la petite musique du « péril rouge » depuis les dernières élections en France, après avoir bénéficié d’un reste de front républicain au second tour de la présidentielle. Leur duplicité s’est poursuivie avec la normalisation assumée du RN à l’Assemblée, et aujourd’hui encore avec les réactions à l’actualité italienne.

Pour la première ministre Élisabeth Borne, il était important de se dire attentif aux droits humains à l’issue des élections de dimanche dernier. Mais dans le même temps, la secrétaire d’État chargée de l’Europe, Laurence Boone, expliquait que « sur l’essentiel des sujets, nous sommes plus ou moins alignés avec Giorgia Meloni ». Autrement dit : l’extrême droite est étrangère à nos valeurs, mais on peut s’en accommoder aisément.

On ne saurait mieux illustrer la façon ambiguë dont le camp macroniste joue sur tous les tableaux, en normalisant de facto ce qu’il affirme combattre, et en délégitimant une opposition de gauche requalifiée en « extrême ». Concentration par excellence des franges a priori modérées de la droite et de la gauche de gouvernement, le macronisme est une illustration parfaite de ce que le mainstream politique est devenu dans la lutte contre l’extrême droite : une planche pourrie.

Ce faisant, les trémolos sur la bête immonde jamais suivis d’effets, voire accompagnés d’un laxisme coupable à son égard, que ce soit en servant son agenda ou en banalisant sa présence dans les institutions, sont du pain bénit pour les éditorialistes et essayistes les plus conservateurs, qui se demandent bien pourquoi la presse qualifie Giorgia Meloni et son parti de « postfascistes ».

On sait que le terme est courant en Italie, et indique à raison que si les Fratelli d’Italia ne sont pas les chemises noires des années 1920, une généalogie directe les relie à ceux qui ont voulu adapter le projet fasciste à l’Europe de l’après-guerre. Mais s’il est possible d’être « alignés » avec elle, si dans nos frontières on épouse volontiers les paniques morales entretenues par le camp réactionnaire, et si de manière générale l’étanchéité avec les partis « classiques » s’abolit, il est difficile en effet de défendre l’emploi des mots les plus justes.

À moins d’admettre que le problème ne réside pas seulement dans l’extrême droite, mais chez tous ceux qui lui font la courte échelle.

Fabien Escalona, 28 septembre 2022

3) Comment le « non au fascisme » est devenu inaudible en Italie

La victoire du post-fascisme n’a surpris personne en Italie, où l’extrême droite s’est installée dans le paysage politique et médiatique depuis des décennies. Le « centre-gauche », impuissant et sans repères, porte une lourde responsabilité dans cette banalisation. Aujourd’hui, seules quelques rares organisations de jeunesse tentent de bousculer l’atonie générale qui s’est emparée de la péninsule.

Ellen Salvi

28 septembre 2022 à 09h05

Rome (Italie).– Ils sont plusieurs dizaines à s’être rassemblés, mardi matin, dans l’enceinte du lycée Pilo Albertelli, à quelques encablures de la gare Rome-Termini. Mégaphone à la main, Tommaso, membre de l’OSA (Opposizione Studentesca d’Alternativa), une organisation de jeunesse communiste, rappelle que l’établissement scolaire porte le nom d’un partisan italien, victime du massacre des Fosses ardéatines, perpétré par les troupes d’occupation nazies le 24 mars 1944.

Comme d’autres lycéens, à Gênes, Milan ou Naples, les jeunes présents aujourd’hui entendent bousculer l’atonie générale – perceptible jusque dans la presse – qui a accompagné la victoire, dimanche 25 septembre, de la coalition de droite, conduite par Giorgia Meloni, la cheffe de file du parti post-fasciste Fratelli d’Italia (FdI). Bientôt, les mains applaudissent au rythme d’un slogan bien connu de la gauche : « Siamo tutti antifascisti ! » (« Nous sommes tous antifascistes ! »).

Mardi après-midi, quelque-un·es rejoindront sans doute le rassemblement organisé par le mouvement féministe Non Una Di Meno (NUDM) dans le centre de la capitale italienne, à l’occasion de la journée internationale pour le droit à l’avortement. Depuis deux jours, de boucles WhatsApp en assemblées générales, plusieurs collectifs s’activent pour construire « une opposition antifasciste, révolutionnaire et de classe au nouveau gouvernement », selon les mots de la branche romaine de l’OSA.

Ils s’alarment d’un possible retour sur les « rares acquis » obtenus ces dernières années en matière d’égalité et de droits sociaux. Et accusent le « centre-gauche », en particulier le Parti démocrate (PD) et le dernier président du Conseil Mario Draghi, d’avoir « remis les clés du pays entre les mains de Meloni ». « Ce sont les fascistes qui sont au gouvernement, pas le fascisme, comme voudrait nous le faire croire le PD qui instrumentalise ce sujet à des fins électorales », écrit encore OSA Rome.

La distinction peut sembler artificielle vue de France, mais elle est cruciale pour comprendre l’inefficacité du discours « nous ou le chaos » porté par le candidat et actuel secrétaire général du PD, Enrico Letta, en fin de campagne. « Ça n’avait aucun sens, estime Alfio Mastropaolo, professeur émérite de science politique à l’université de Turin. On ne peut pas jouer l’apaisement avec la droite en dehors des élections et se mettre à crier au péril fasciste à la toute dernière minute. »

L’extrême droite comme seule alternative

Guido Caldiron, journaliste au quotidien Il manifesto et auteur de plusieurs ouvrages sur les cultures de droite, souligne qu’une grande partie des Italiens et des Italiennes a voté Meloni pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec les racines politiques de Fratelli d’Italia. À commencer par son opposition à « l’agenda Draghi », une série de soixante-trois réformes qui conditionne l’aide européenne dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR).

L’ancien ministre de l’intérieur et leader de la Ligue, Matteo Salvini, qui n’a jamais fait mystère de sa xénophobie, a d’ailleurs subi un camouflet le 25 septembre, en recueillant péniblement 8,77 % des suffrages exprimés. « Je ne pense pas qu’on puisse parler d’une fascisation de la société, affirme l’historien Enzo Traverso. Ce qui alimente les droites, ce n’est pas le fait qu’elles tiennent des discours fascistes, mais bien qu’elles apparaissent comme une force anti-establishment, une alternative à l’ordre néolibéral. »

Et de poursuivre : « Les raisons du succès de Meloni sont les mêmes qui ont permis au M5S [Mouvement Cinq Étoiles – ndlr] d’engranger plus de 30 % des voix aux législatives de 2018. » D’ailleurs, soulignent nos interlocuteurs, il est fort possible que le chef de file du M5S, Giuseppe Conte, ait réussi à maintenir son mouvement à 15,15 % des suffrages exprimés grâce à une stratégie différente de celle du PD : en s’opposant à FdI sur les questions sociales plutôt qu’en agitant le spectre du fascisme.

On peut continuer à dire non au fascisme, mais la société italienne n’écoute plus.

Guido Caldiron, journaliste pour « Il manifesto »

Car le sujet de l’antifascisme en Italie, ajoute Enzo Traverso, « a été discuté et réglé de la pire des manières il y a longtemps ». Aujourd’hui, « personne ne pense que l’arrivée de Meloni constitue une menace pour les institutions et la démocratie », dit-il. Pour comprendre pourquoi la société italienne semble indifférente au terreau sur lequel Fratelli d’Italia est né, il faut remonter au milieu des années 1990, en 1994 très exactement, lorsque Silvio Berlusconi a composé son premier gouvernement.

C’est à cette époque que le leader de Forza Italia a commencé à forger l’expression « centre-droit », pour dissimuler l’intégration, dans sa coalition, des post-fascistes – l’Alliance nationale (AN) de Gianfranco Fini – et de la Ligue – ex-Ligue du Nord. À cette époque aussi qu’il s’est appuyé sur son empire médiatique pour lancer une large propagande contre le communisme, alors identifié à l’antifascisme. Or nombre de dirigeants du Parti démocrate étaient issus du Parti communiste italien (PCI).

« Beaucoup ont voulu prendre leurs distances à ce moment-là, indique encore Enzo Traverso. La gauche ne pouvait plus se revendiquer de l’antifascisme car celui-ci était beaucoup trop lié au communisme. » En 1996, l’ancien président de la chambre des députés Luciano Violante, membre du Parti démocrate, va jusqu’à réhabiliter les « ragazzi di Salò » – « les garçons de Salò », du nom de l’État fantoche fasciste établi par Mussolini en 1943, dans les zones contrôlées par la Wehrmacht.

Dès lors, la gauche bascule, emportée par un nouveau discours qui infuse la société italienne. Un discours véhiculé notamment par l’historien Renzo De Felice, auteur d’une biographie – toujours inachevée à sa mort en 1996 – de Mussolini. « Il y explique que Mussolini s’est sacrifié pour sauver l’Italie », résume à gros traits Enzo Traverso, dans une formule qui n’est pas sans rappeler la « thèse du bouclier et de l’épée » qu’Éric Zemmour a tenté de remettre au goût du jour en France.

Alors que des animateurs de télévision à succès se mettent à blablater sur la passion du dictateur fasciste pour le jazz américain, ses héritiers politiques commencent à travailler au gouvernement et dans certaines régions de la péninsule. L’un d’entre eux, Gianni Alemanno, passé du Mouvement social italien (MSI) à l’Alliance nationale puis à Fratelli d’Italia, sera même élu maire de Rome en 2008. « Aujourd’hui, plus personne ne s’interroge sur leur présence dans le paysage, note le journaliste Guido Caldiron. On peut continuer à dire non au fascisme, mais la société n’écoute plus. »

Le « centre-gauche » et le néant

Pour ce spécialiste des droites italiennes, « la gauche a une responsabilité importante dans cette situation ». Elle a accompagné la banalisation de l’extrême droite, en se résignant à l’idée que le clivage fascistes/antifascistes appartenait au passé et qu’il fallait à présent se réconcilier. « En face de ce discours, il y a eu un vide », note Enzo Traverso. Le mal nommé « centre-droit » en a profité pour installer le fascisme comme « un morceau de l’histoire nationale, sur lequel on peut avoir des idées différentes, comme sur tout autre sujet », ajoute Guido Caldiron.

Pendant des décennies, le Parti démocrate a mis la question de l’antifascisme entre parenthèses. Il semble l’avoir redécouvert il y a peu, en observant, impuissant, la montée fulgurante de Fratelli d’Italia. « C’est un peu tard, glisse Enzo Traverso. Pour faire barrage à Giorgia Meloni, il aurait au moins fallu construire une coalition avec le Mouvement Cinq Étoiles. Ils n’ont pas voulu le faire parce que personne ne considérait que Meloni était une menace pour la République. C’est aussi simple que ça. »

Les politiques mises en place par les derniers gouvernements techniques du « centre-gauche » ont elles aussi favorisé la banalisation de l’extrême droite et de ses idées. « Je ne pense pas que la politique migratoire de Meloni sera très différente que celle que menait Renzi, affirme l’historien. C’est le centre-gauche qui a passé les accords avec la Libye pour créer des camps d’internement, c’est lui qui a fait la réforme du travail… » « Le Parti démocrate n’a plus d’identité », confirme la philosophe Francesca Izzo.

Cette ancienne députée a quitté le PD il y a cinq ans. Aujourd’hui, elle constate que « dès qu’ils ont un problème, ils changent de secrétaire ». D’ailleurs, alors qu’une leader post-fasciste s’apprête à devenir la première présidente du Conseil italien, le parti s’est déjà relancé dans une course de petits chevaux pour savoir qui succédera à Enrico Letta. À l’entrée de leur siège, à Rome, on peut lire « Questa è casa tua » (« C’est ta maison »). Mais rares sont ceux, à gauche, à avoir encore envie d’y pénétrer.

Si les comparaisons sont toujours délicates à tenir entre des pays aux histoires, aux cultures et aux systèmes institutionnels différents, ce qui vient de se passer en Italie, et qui s’inscrit dans un processus vieux de trente ans, pourrait faire écho ailleurs. Notamment dans un pays voisin où la concentration médiatique va croissante ; où la rupture entre la société et les partis politiques est désormais consommée. Et où la perte de repères est telle que certain·es passent leurs journées à diaboliser la gauche, tout en considérant pouvoir travailler avec l’extrême droite quand celle-ci va « dans le bon sens ».

Ellen Salvi


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