La NUPES peut-elle remporter les élections législatives ?

dimanche 22 mai 2022.
 

C’est la question que tout le monde se pose. En parvenant à unir la quasi-totalité des forces de gauche la NUPES peut-elle remporter le « troisième tour » et parvenir à imposer la nomination d’un gouvernement de gauche ? Cela dépendra des capacités de la NUPES à mobiliser son électorat lors des législatives. A moins que le vrai enjeu ne soit ailleurs...

C’est la question à 3 milliards qui est désormais sur toutes les lèvres. Maintenant que la course est lancée et que les forces politiques en présences ont fini d’investir leurs candidats (malgré des couacs et des dissidences), on peut largement s’interroger sur les chances réelles de la NUPES pour remporter un match qu’elle présente elle-même comme « le troisième tour », dont l’objectif serait de forcer une cohabitation à son profit et d’obtenir un gouvernement de gauche en mesure d’annuler les ambitions du nouveau président Macron. A ce jeu-là, force est de constater que la FI s’est, pour le moment, largement donné les moyens d’y parvenir, quitte même à renier la ligne rouge qu’elle avait toujours tenue jusque-là en incluant cette fois le PS dans les négociations. Certes, ce retournement « pragmatique » aura couté à la NUPES le soutien du NPA, mais ce choix stratégique permet aussi en retour de lui donner une assise territoriale non négligeable que les socialistes possèdent encore, minimise une concurrence de « gauche » modérée et de « centre gauche » qui aurait pu être fatale à certain candidat, et élargit enfin le potentiel électoral de la NUPES via l’inclusion d’un public socialiste et écologiste a priori peu acquis à la cause et la personnalité de Mélenchon.

Tous ces efforts suffiront-ils pour permettre l’avènement du premier gouvernement de gauche en France depuis 1981 ?

La réponse à cette question dépendra justement de la mobilisation des sympathisants et des électeurs de gauche de tous horizons car il semble à peu près certain que les 22% de JLM n’y suffiront pas. De fait, les 7,7 millions de voix en faveur de Mélenchon sont en réalité extrêmement concentrées géographiquement, diminuant dangereusement le nombre de bureaux de vote favorables comparativement aux autres forces. Ainsi lors du premier tour, Emmanuel Macron est arrivé en tête dans 250 circonscriptions de métropole, Marine Le Pen a remporté 205 circonscriptions tandis que Jean-Luc Mélenchon ne s’est imposé que dans 85 circonscriptions[1]. Malgré une légère augmentation des voix entre 2017 et 2022 (de 7 millions à 7,7 millions), les scores de Mélenchon se sont concentrés pour ne plus concerner que 105 bureaux votes contre 167 en 2017 [2]. Cette diminution de l’amplitude géographique du vote JLM rehausse l’importance d’une remobilisation massive de son électorat dans des territoires métropolitains où la concurrence (notamment avec Macron) est forte[3].

La mobilisation des électeurs est d’ailleurs un enjeu d’autant plus crucial qu’une part importante des votants Mélenchon (et des votants de gauche) s’évaporent souvent dans ce que l’on appelle « le vote intermittent ». Phénomène majeur parmi les classes populaires (qui sont, sociologiquement, les catégories les plus enclines à voter à gauche bien qu’une part très importante se tourne vers le RN), le « vote intermittent » caractérise une mobilisation par à-coup qui a tendance à négliger les élections intermédiaires au profit de la seule et unique élection présidentielle. En conséquence, les élections intermédiaires, dont les législatives, mobilisent très peu et l’abstention dépassait les 50% en 2017, réduisant drastiquement les gros scores de la FI et du RN à seulement 17 députés pour le premier et 8 pour le second, ce qui est très loin d’être représentatif des 19,6% et des 21,3% de JLM et Le Pen quelques mois plus tôt. On peut donc atteindre le second tour d’une présidentielle et disparaître aussitôt des radars politiques pendant 5 ans.

En comparaison, si le vote populaire RN semble se concentrer majoritairement dans les milieux ruraux, le vote Mélenchon en 2022 est plus largement métropolitain où vivent également de nombreuses populations marginalisées. La FI a ainsi explosé tous les scores dans la plupart des quartiers populaires de France où certains bureaux de votes ont enregistré des scores allant jusqu’à 84% en sa faveur, comme dans la cité du Font-Vert à Marseille [3]. Dans les villes paupérisées de l’ex banlieue rouge, Mélenchon est parvenu à incarner une issue réelle pour une large part des habitants : 64% des suffrages à La Courneuve, 61% à Saint-Denis, 60% à Bobigny, 60% à Aubervilliers, 56% à Grigny, 46% aux Ulis… Dans les Outremers Mélenchon a raflé 50% des votes en Guyane, 56% en Guadeloupe et 53% en Martinique. Mais ces scores impressionnant jouxtes une abstention tout aussi importante au regard de la moyenne nationale qui en dit long sur les capacités de la gauche à mobiliser totalement un électorat aux attributs sociologiques a priori acquis à sa cause : 40% d’abstention à Roubaix, près de 40% à Grigny, 38% à Bobigny, 36% à Aubervilliers, 30% à Orly ou à Vigneux, 44% à Saint-Denis sur l’ile de la Réunion, 52% à Point-à-Pitre, 58% à Fort-de-France en Martinique… [4] Dès lors, jouer sur la figure de JLM en Premier Ministre et lancer directement la communication autour d’un « troisième tour » vise peut-être moins à obtenir directement une majorité qu’à maintenir une mobilisation populaire inédite mais fragile. A cet égard, même la séquence médiatique autour de l’union de la gauche est profitable car l’espoir qu’elle peut susciter sert aussi à maintenir la focalisation de l’électorat, des militants et des sympathisants de gauche sur le prochain enjeu d’importance pour la gauche parlementaire.

Reste à savoir si le rassemblement autour de la bannière FI suffira à convaincre l’électorat modéré du PS et d’EELV où la détestation envers la figure de JLM atteint parfois des sommets. Sociologiquement beaucoup plus aisé et diplômé cet électorat s’abstient peu et peut donc assurer un socle d’une importance d’autant plus capitale qu’il pourrait avoir à compenser la démobilisation populaire éventuelle aux législatives. Ramener les modérés dans le giron de la gauche unie ce n’est donc pas uniquement trahir certains de ses idéaux, c’est aussi se donner pleinement les moyens de compter sur un électorat qui se mobilise beaucoup plus tout en continuant de jouer sur la vague du vote utile qui avait permis à JLM de rassembler une part significative des sympathisants des autres forces le 10 avril dernier. Limiter les départs, qui avaient plombé les élections législatives de 2017 pour la FI, constitue donc le vrai enjeu de ce rassemblement. Il n’est pas dit que cela fonctionne tant la figure de JLM et la FI font office de repoussoir pour certaines franges plutôt bourgeoise de cette population encore attachée, majoritairement, au PS. Toutefois, si tout le monde joue le jeu et qu’un report s’effectue, la NUPES arrivent en tête dans 199 circonscriptions (si l’on transpose les résultats des présidentielles, ce qui a des limites, mais donne de l’espoir) [5].

199 députés, ce sera un score conséquent bien qu’encore insuffisant lorsque l’on sait que la majorité à l’Assemblée est à 289 députés. Mais l’élément d’importance significative c’est que 199 députés à gauche, c’est autant de députés Marcheurs en moins, de sorte que la stratégie est peut-être moins d’avoir directement une majorité que de diminuer suffisamment les scores de LREM pour l’empêcher d’en constituer. Là encore, l’électorat modéré, aisé et diplômé, celui qui, sociologiquement, s’est divisé entre le vote Macron, Jadot et Hidalgo, constitue une clé voûte non négligeable. En s’arrogeant les faveurs du PS et de EELV, la NUPES peut éventuellement envisager de fracturer la sociologie électorale macroniste à son profit. Affaiblir suffisamment LREM peut suffire à donner une majorité à la NUPES ou, tout du moins, à forcer le parti présidentiel à la négociation avec le bloc de gauche sur certains enjeux clés (les retraites, l’écologie…) à l’Assemblée durant les 5 prochaines années.

Diminuer les marges de manœuvres de Macron ne serait pas du tout une piètre victoire tant la situation semble urgente à plus d’un titre. Nous n’avons plus que quelques années pour lancer une transition écologique qui nous permettrait de rester sous les 1,5° tandis qu’une part de plus en plus importante de la population se précarise et se paupérise de jour en jour. Lorsque la politique devient un enjeu de vie ou de mort, il n’existe pas de mauvaises arènes pour mener la lutte.

C’est d’ailleurs la poursuite de cette lutte en commun qui constitue certainement l’autre enjeu de l’union de la gauche. On peut en effet espérer que l’expérience commune du combat rende parfois possible un rapprochement salutaire des cœurs. Bien sûr, il est à peu près certain que le bloc NUPES à l’Assemblée ne durera pas 5 ans sans anicroches et se fissurera à la longue. Mais justement, il est possible que les dissensions à venir provoquent aussi des clarifications bénéfiques en rapprochant définitivement celles et ceux que tout rassemble déjà (Rousseau à la FI ? Elsa Faucillon à la Fi ?), renouvelant les forces de la « vraie » gauche tout en laissant derrière les intrus qui ne se maintiennent dans certains partis que pour mieux en flouter la ligne (adieu Jadot ? adieu les éléphants du PS ?).

On ne sait donc pas si Mélenchon sera vraiment Premier Ministre tant cela est, en réalité, peu probable. Mais il est probable également que l’enjeu ne réside pas vraiment là, mais plutôt dans ce que le travail commun et l’union pourraient, à termes, apporter à la gauche. Finalement, la NUPES ne donne pas tant d’espoir pour les enjeux à venir que pour le futur lointain, promis de plus en plus à une extrême droite dont l’ombre ne fait que grossir de jour en jour.

Emile João pour Climat Social

Sources :

[1] https://www.franceinter.fr/politiqu...

[2] https://www.liberation.fr/politique...

[3] Voir les cartes et les données de Roger Martelli : http://www.regards.fr/actu/article/...

[4] https://www.lemonde.fr/election-pre...

[5] Les résultats des élections dans les différentes communes citées : https://www.francetvinfo.fr/electio...

[6] https://www.franceinter.fr/politiqu...

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