Législatives : l’Union populaire de Mélenchon donne le tempo de la recomposition

mercredi 27 avril 2022.
 

Devenue le centre de gravité à gauche, l’Union populaire avance ses pions pour construire une majorité avec les écologistes, les communistes et l’extrême gauche à l’Assemblée nationale, « sans volonté d’hégémonie ».

La galaxie des gauches et des écologistes s’est clarifiée. Les résultats du 10 avril ont mis en évidence son centre de gravité : l’Union populaire de Jean-Luc Mélenchon, arrivée nettement en tête de cet espace politique avec 22 % des voix. De quoi faire espérer une réplique aussi importante aux élections législatives des 12 et 19 juin ?

C’est l’enjeu des prochaines semaines. Il y a cinq ans, La France insoumise (LFI), qui avait pourtant réuni à peine moins de voix (19 %) que dimanche dernier, avait échoué à transformer l’essai de la présidentielle, parvenant tout juste à se constituer un groupe de 17 députés à l’Assemblée nationale.

Forte de cette expérience, l’Union populaire s’emploie, cette fois, à mettre en marche la mécanique des négociations en évitant de reproduire ses erreurs passées. D’autant que ce que d’aucuns surnomment le « 3e tour » semble, sur le papier, prometteur.

Législatives : La France Insoumise propose à EELV, au PCF et au NPA de former une coalition

Entre un taux d’abstention qui s’annonce record et les votes « par défaut » contre Marine Le Pen, le scrutin du 24 avril pourrait faire d’Emmanuel Macron le président le plus mal élu de la Ve République. « Dans ces conditions, les législatives ont une importance majeure, et nous ne pouvons pas les aborder autrement que dans une perspective d’exercice du pouvoir », juge Manuel Bompard, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, qui ambitionne d’imposer une cohabitation au prochain exécutif.

Conjurer la déception de 2017

Si obtenir la majorité au Palais-Bourbon reste une gageure – Jean-Luc Mélenchon faisait déjà miroiter ce scénario en 2017 –, La France insoumise espère en tout cas construire autour d’elle une coalition large et plurielle. Le 14 avril, le mouvement a donc adressé une lettre au Parti communiste français (PCF), aux Verts et au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), leur proposant de « partager l’effort [de construction d’une majorité] avec [eux], sans volonté hégémonique ni exigence de ralliement ».

En réalité, la formation mélenchoniste espère que tous tomberont d’accord sur un accord national « à la proportionnelle des résultats du premier tour ». Ce qui reviendrait, grosso modo, à proposer une centaine de circonscriptions aux écologistes, une soixantaine au PCF, une dizaine au NPA et quelque 400 à LFI, laquelle se garde bien de donner davantage de détails sur la répartition des circonscriptions gagnables.

La proposition a beau être, ici et là, critiquée pour donner la part trop belle aux Insoumis (certains réclament que soient inclus dans l’équation les résultats aux élections intermédiaires), la main est en tout cas clairement tendue et plus ouverte qu’il y a cinq ans.

En 2017, pour bénéficier de l’absence de candidats insoumis dans leur circonscription, les candidats de la gauche non mélenchoniste devaient ainsi, sauf exception, passer sous les fourches caudines d’une « charte » très exigeante.

Selon cette charte, le candidat devait accepter de s’engager à soutenir Mélenchon à la présidentielle, se rattacher à l’étiquette LFI mais aussi à l’association de financement du mouvement, ou encore siéger au sein du groupe insoumis au Palais-Bourbon et y « respecter la discipline de vote ». Autant de contraintes qui en avaient fait fuir plus d’un, notamment chez les communistes.

Cette fois, les modalités ont été assouplies et l’esprit général est à la poursuite du processus d’élargissement entamé avec la démarche de l’Union populaire.

Dans sa lettre du 14 avril, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon a ainsi revu les exigences à la baisse. S’il s’agit toujours de centrer la coalition autour du programme « l’Avenir en commun », il n’est désormais plus question que de « former un intergroupe à l’Assemblée nationale », avec possibilité pour chaque groupe de préserver son identité propre.

« On doit tenter de constituer un regroupement autour d’un programme qui est “l’Avenir en commun”, ce qui n’empêche pas de discuter de deux ou trois points programmatiques, souligne, conciliant, Manuel Bompard. Encore faut-il que les partenaires formulent leurs désaccords. »

Ensuite, précise-t-il, « si les organisations elles-mêmes décident de nous rejoindre pour avancer ensemble, tant mieux, sinon, les individus seront les bienvenus ». Au risque de l’éclatement des partis eux-mêmes, ce qui n’est, affirme Manuel Bompard, ni l’objectif ni le souci du mouvement mélenchoniste.

Chez les dirigeants d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), dont le candidat, Yannick Jadot, a fini à 4,7 %, la lettre envoyée le 14 avril a reçu un écho relativement positif. Il faut dire que le parti écologiste, qui n’avait déjà pas réussi à faire élire de députés en 2017, et qui se retrouve endetté jusqu’au cou après le fiasco de la présidentielle, joue d’autant plus gros avec ces législatives qu’elles sont une source importante de revenus pour le parti.

Législatives : l’écologiste Julien Bayou propose aux Insoumis « un pacte de non-concurrence »

Lors d’une conférence de presse le 15 avril, le secrétaire national d’EELV, Julien Bayou, a donc salué « une ouverture de dialogue », à laquelle il répond « favorablement », même s’il préférerait à l’accord national proposé par l’Union populaire « un pacte de non-concurrence afin de qualifier le plus de […] candidat·es [EELV] au second tour », et une méthode, plus favorable à son parti, qui combinerait la prise en compte du résultat du premier tour de la présidentielle et le score des résultats des élections intermédiaires.

« LFI a le choix entre asseoir une domination à gauche au risque de ne pas être utile dans les cinq ans qui viennent, ou construire un axe de résistance et même d’alternance à l’Assemblée », prévient-il.

Même chose au PCF, où Fabien Roussel, lui aussi fort marri de son score de dimanche dernier (2,3 %), a indiqué vouloir discuter avec Jean-Luc Mélenchon « sans préalable », et ce dès « avant la fin du second tour, pour envoyer un signal fort, dire que nous travaillons ensemble ». Une réaction qui n’est, là encore, pas étrangère aux très mauvais résultats du PCF dans ses propres bastions - et à ceux, excellents, de l’Union populaire dans ces mêmes endroits -, qui font craindre aux communistes un fiasco aux législatives.

Réponse du PCF à la proposition LFI de coalition pour les législatives

Au NPA en revanche, rien n’est tranché : le parti de Philippe Poutou doit se retrouver ce week-end lors d’une réunion pour examiner la proposition de l’Union populaire.

En préparation des élections législatives : Courrier du Nouveau Parti anticapitaliste à l’Union populaire

Combler la distance créée par la présidentielle

Reste que si l’Union populaire semble plus que jamais en position de force pour imposer une alliance, les mésententes entre les formations, parties concurrentes, voire adversaires, à la présidentielle restent vives.

Non seulement, tout le monde n’est pas le bienvenu dans la coalition : « Les socialistes et les Verts qui ont expliqué pendant des semaines qu’on était des agents de Poutine, ça ne va pas être possible, indique ainsi Manuel Bompard. Ce n’est pas une question de vengeance, mais allez expliquer aux militants sur le terrain qu’ils vont devoir faire la campagne de ces gens-là après ça… »

Le courrier adressé par l’Union populaire au PCF et aux écologistes évoque aussi sans ambages les « relations [qui] ont été lourdement dégradées pendant cette campagne ». « Nous croyons que vous devez vous expliquer [de vos attaques contre nous] devant les électeurs, qui ont cru à vos propos, afin qu’ils puissent être convaincus de se rassembler avec nous », ajoutent les signataires Manuel Bompard, les députés Mathilde Panot et Adrien Quatennens, et la présidente du parlement de l’Union populaire, Aurélie Trouvé.

Chez les Verts, Julien Bayou a indiqué, vendredi, qu’il ne souscrivait pas à la demande exprimée de faire un mea culpa sur les attaques répétées de Yannick Jadot envers Jean-Luc Mélenchon : « Si je m’attache aux mots et qu’il faut en passer par la pénitence, il n’y a pas de dialogue. Nous ne retirons pas grand-chose de ce que nous avons dit durant la campagne présidentielle », affirme-t-il, tout en concédant que la logique du présidentialisme conduit parfois à utiliser des mots « plus urticants que nécessaire ».

Il n’empêche, depuis le camouflet du 10 avril, les écologistes eux aussi ont changé de ton. Fini le temps où Yannick Jadot dénonçait, avec véhémence, la ligne géopolitique de Jean-Luc Mélenchon, qu’il accusait d’avoir « abandonné les Ukrainiens ». Désormais, Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe d’EELV, sait gré à Jean-Luc Mélenchon de vouloir « reconstruire la gauche autour du vote », avec « un programme très étoffé sur l’écologie, et proche [de celui de son parti] ». « C’est l’erreur des cinq ans qui viennent de passer : le mépris entre nous. Est-ce que tout le monde a compris ça ou pas ? », interroge-t-elle.

S’ils se félicitent de cette nouvelle tonalité à l’égard des Insoumis, les écologistes « unitaires », dont certains ont été « mis en retrait » ou sont partis après avoir critiqué la campagne de Yannick Jadot, trop solitaire à leur goût, n’en conservent pas moins une certaine amertume de se voir donner raison trop tard.

C’est le cas d’Alain Coulombel, porte-parole d’EELV et fer de lance de cette tendance, qui a fait part de cette réserve sur le changement de ligne lors d’un bureau exécutif du parti, le 12 avril. « Évidemment, j’ai indiqué que j’en étais satisfait, mais que j’y voyais un renversement opportuniste par rapport à ce que j’ai pu entendre en amont du résultat du premier tour, explique-t-il à Mediapart. Ces trois dernières années, nous avons défendu une ligne d’autonomie pure et dure, l’écologie centrale et leader. Et là, d’un seul coup, parce qu’on se prend une grande veste, nous changeons de cap. »

Une autre voix de ce même courant est plus amère encore : « On aurait dû discuter depuis longtemps. C’est triste. On loupe le second tour, on loupe les 5 %, et on risque de louper les législatives, car négocier quand on est en position de faiblesse, c’est le pire truc à faire. »

Parmi les autres partenaires de l’Union populaire, Génération·s, qui a rejoint le Pôle écologiste de Yannick Jadot, s’est déjà dit prêt à répondre favorablement à toute initiative de rassemblement. Jointe à ce sujet, la coordinatrice nationale de Génération·s, Sophie Taillé-Polian, se dit plutôt optimiste : « Les propositions mises sur la table par LFI témoignent d’une vraie ouverture par rapport à 2017. Mais s’ils sont dans une logique de respect mutuel, il reste à trouver les garanties de l’existence d’un groupe des écologistes à l’Assemblée. »

Le PS, grand absent des négociations

Le grand absent de ces amorces de discussions demeure toutefois le Parti socialiste (PS), qui n’a, lui, reçu aucun courrier, en dépit du communiqué de son premier secrétaire qui, dans la nuit du 10 au 11 avril, implorait les gauches et les écologistes de « faire le rassemblement dans la clarté et sans exclusive » pour les législatives.

En réalité, LFI n’a de toute façon que peu d’intérêt à entraîner dans son sillon un parti qui sort laminé de cette élection avec 1,75 % des voix. Et la déclaration de Carole Delga, présidente socialiste de la région Occitanie, quelques heures seulement après l’annonce des résultats du premier tour dimanche, n’a pas arrangé les choses. « La différence entre les socialistes et Jean-Luc Mélenchon, c’est l’attachement à la République », a-t-elle affirmé.

Au grand dam de la direction du PS, qui sait que sans accord, les législatives seront une Bérézina. Y compris dans la circonscription du premier secrétaire, Olivier Faure, lequel a bien compris que, sans un geste des Insoumis, il ne serait pas réélu dans son fief de Seine-et-Marne. Mélenchon y a en effet rassemblé 40 %, quand sa candidate, Anne Hidalgo, n’a pas dépassé les 2 % des suffrages.

La direction du PS s’emploie donc, depuis dimanche, à tenter de recoller les morceaux. « Carole Delga est très sincère dans ses convictions et elle les dit, précise ainsi la numéro 2 du PS, Corinne Narassiguin, mais ce n’est pas la position majoritaire dans le parti. Personne ne va nier les différences qu’on a avec LFI sur certains sujets, mais avec Olivier Faure, on n’a jamais été dans la thèse des gauches irréconciliables. »

Isolé, le PS se voit aussi plus ou moins lâché par les Verts. Alors qu’une réunion était prévue avant le premier tour entre les socialistes et EELV, elle a été annulée par les écologistes. « Autant qu’on sache, ils sont toujours disposés à parler avec nous, mais ils ont préféré donné la priorité à voir où ils pouvaient aller avec LFI, avant de continuer avec nous », reconnaît Corinne Narassiguin.

Elle rappelle toutefois qu’une partie de l’électorat de Mélenchon est susceptible de sortir d’une logique de vote tactique aux législatives, et de se reporter sur des candidats socialistes, communistes ou écologistes. Manière de dire que l’Union populaire n’a pas encore remporté la partie.

Mathieu Dejean et Pauline Graulle


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