Le PCF et la présidentielle (France) - Fabien Roussel : le Rouge qui fâche

dimanche 6 février 2022.
 

Le candidat du PCF à la présidentielle a réussi à gagner en notoriété en enfourchant les thématiques de droite. Mais au sein de ses troupes, certains jugent que l’idéal communiste a déserté la campagne.

Les dérives inacceptables de Fabien Roussel

Des jeunes gens désossant méticuleusement des morceaux de bœuf sous le regard admiratif d’un prétendant à la fonction suprême. Le 19 janvier, le communiste Fabien Roussel se rendait, entouré d’une petite nuée de caméras, à l’École professionnelle de boucherie de Paris pour parler prix de la viande, commerce de proximité, souveraineté alimentaire, formation professionnelle autour des métiers (porteurs) de la boucherie…

Sous sa blouse de protection en plastique, le candidat à la présidentielle file la métaphore : « Moi, je défends le bifteck des Français ! » Puis de promettre, à la manière d’un Henri IV des temps modernes, que lui, président, « tout le monde pourra manger un bon poulet fermier, du mouton français, et du bœuf herbager ».

Le déplacement a été organisé au débotté pour tenter de réagir habilement à la dernière polémique en date. Une petite phrase d’apparence anodine, prononcée le 9 janvier sur France 3 : « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage, pour moi, c’est la gastronomie française », estimait le candidat communiste.

Dans ce début de campagne présidentielle au ras des pâquerettes, l’ode rabelaisienne – ou franchouillarde – à la bidoche n’a pas été du goût de tout le monde. Sur les réseaux sociaux, un torrent de messages s’est abattu sur Fabien Roussel, le repeignant là en nationaliste, ici en défenseur de la maltraitance animale, voire en « suprémaciste blanc »... L’écologiste Sandrine Rousseau a même cru (à tort) entendre le mot « saucisson » – une allusion inconsciente aux apéros saucisson-pinard de l’extrême droite ?

L’intéressé, lui, n’en demandait pas tant : « Les écolos et les Insoumis m’ont fait une super pub ! J’embrasse Jean-Luc Mélenchon et Sandrine Rousseau ! »

Se démarquer de Mélenchon

La controverse « viande, vin, fromage » : une divine surprise pour un communiste qui n’aime rien tant que mettre les pieds dans le plat. Depuis le lancement de sa campagne, début mai 2021, Fabien Roussel, jusqu’ici inconnu du grand public, ne rate jamais une occasion de faire parler de lui. Son objectif : faire entendre sa voix dans le concert des (multiples) candidatures à gauche. Sa recette : enfourcher les thématiques mises au centre du jeu politique par un champ médiatique très à droite.

Tout à son obsession de se faire un nom, Fabien Roussel, qui a fait dresser son portrait en maxiformat sur la façade du siège à Colonel-Fabien, s’emploie donc méthodiquement à prendre à rebrousse-poil une gauche qui, de La France insoumise au PS, s’est « écologisée » sans demander son reste. Sur tous les sujets, ou presque, il réactive le clivage – contestable – entre « gauche bobo » de centre-ville et « gauche prolo » des périphéries. S’arrogeant ainsi le créneau de la « 1re gauche » laissé libre par Arnaud Montebourg qui a récemment jeté l’éponge.

Ça donne un candidat qui parle hausse des salaires, pouvoir d’achat et réindustrialisation. Qui veut remettre la France au travail et qualifie de revenu d’« assistance » le revenu universel. Qui s’affiche aux côtés des policiers (et du ban et de l’arrière-ban de l’extrême droite) devant l’Assemblée nationale, ou qui surjoue la gauche « républicaine » ; celle qui parle « de classe, pas de race », précisait-il, le 17 janvier, dans une interview à Charlie Hebdo.

Douze jours auparavant, sous la coupole Niemeyer, il avait d’ailleurs rendu hommage aux victimes des attentats perpétrés dans ce même journal, en compagnie de Caroline Fourest, Xavier Gorce et Sophia Aram, réputés porter une vision, sinon intolérante, du moins maximaliste, de la laïcité. Sa camarade de banc, Elsa Faucillon, en est restée estomaquée : « La sélection des invités confirme un virage politique opéré par mon parti depuis quelques mois. Et le Printemps républicain s’en frotte les mains », lâchait la députée de Gennevilliers sur Twitter, se prenant à son tour un déluge de messages ulcérés.

Cette semaine, Patrice Cohen-Séat, ancien directeur de la campagne de Marie-George Buffet, s’est quant à lui étranglé en entendant le communiste donner du crédit à l’affaire des « poupées sans visage » de Roubaix, relayée dans un reportage nébuleux de « Zone interdite » sur l’islam radical : « Il y a des dérapages dans la médiatisation de la vie politique pour faire le buzz, déplore-t-il ainsi dans un entretien à Regards. C’est très étonnant de voir un communiste sur ces positions-là. »

République, travail, sécurité… Fabien Roussel, pro-nucléaire décomplexé, a aussi une bête noire : les Verts. Cet hiver, il a canardé celles et ceux qui « veulent interdire le Tour de France, les sapins verts, la viande et les centrales nucléaires », et réclamé une baisse du prix de l’essence.

À l’automne, il moquait un Yannick Jadot voulant « libérer les poulets » – en finir avec l’élevage industriel –, défendait la « chasse traditionnelle », et tapait sur « ces intellectuels condescendants qui n’arrêtent pas de nous donner des leçons sur nos pratiques, sur nos manières de faire, qui nous disent ce qu’il faut manger et comment il faut conduire ». La phrase en a rendu furax plus d’un dans le parti d’Althusser et d’Aragon…

À Mélenchon le régime quinoa, la créolisation, et les éoliennes ; à Fabien Roussel la bonne chère, la France des « gilets jaunes » et la défense de l’atome !

Fâcher, déplaire, mais toujours « assumer ». À part cette fois où, répondant à une interview de Laurence Ferrari, il regrettera avoir dit que les migrants sans droit d’asile avaient « vocation » à rentrer chez eux, le candidat n’est pas du genre à avoir des pudeurs de gazelle.

Sa gauche à lui, est celle du « bon sens ». C’est « la vieille gauche qui tache ! », scandait son directeur de campagne, Ian Brossat, lors du meeting sur la place Stalingrad, au mois de novembre, reprenant une formule de l’écologiste David Cormand dans un astucieux retournement de stigmate.

Officiellement, il s’agit de proposer une alternative à cette gauche « intellectualisée et embourgeoisée » qui s’est « coupée des classes populaires ». Officieusement, de se distinguer de la candidature de Jean-Luc Mélenchon, derrière lequel le PCF s’était rangé, au prix de son effacement, lors des deux dernières présidentielles.

Alors, aujourd’hui, il est urgent de marquer sa différence avec l’Insoumis : à Mélenchon le régime quinoa, la créolisation, et les éoliennes ; à Roussel la bonne chère, la France des « gilets jaunes » et la défense de l’atome !

Un communiste à la télé

Une campagne en forme de revanche pour les militant·es, à qui le député de Saint-Amand-les-Eaux a vendu le retour de la « fierté communiste » pour se faire élire secrétaire national du parti au dernier congrès. Une fonction qu’il n’a jamais occupée avec beaucoup d’entrain, préférant à l’atmosphère byzantine du siège les plateaux télé et sa circonscription du Nord, dans laquelle il retourne chaque fin de semaine histoire d’assurer son strapontin dans l’hémicycle si par malheur il échouait à accéder au trône élyséen.

Dans les rangs communistes, où beaucoup se souviennent avec émotion du temps où Georges Marchais attirait la lumière, « les copains, globalement, sont contents, reconnaît une parlementaire de la maison. Ça faisait tellement longtemps qu’ils n’avaient pas vu un présidentiable communiste à la télé ! » Il faut dire que les deux dernières candidatures, celle de Robert Hue en 2002 (3,3 %) et de Marie-George Buffet en 2007 (1,9 %), n’avaient pas attiré les foules.

Cette fois, Fabien Roussel a décidé de se plier généreusement au jeu de la politique spectacle. Et tant pis si ses faits d’armes, salués par les têtes de pont réactionnaires qui voient en lui le candidat de la gauche « antiwokisme », lui ont valu le sobriquet de « candidat préféré de la droite ».

« Ils n’ont qu’à lire mon programme ! », rétorquait Fabien Roussel, lundi, lors de la présentation de son projet présidentiel à la presse. Un programme, il est vrai, quasiment aussi loin de Pécresse et Macron que… de ses propres rodomontades. Parmi les 180 propositions rédigées en écriture inclusive (avec point médian de rigueur), on trouve ainsi le revenu garanti de 850 euros pour les étudiant·es, la semaine de 32 heures, l’ouverture d’un débat sur la légalisation du cannabis, l’injection de 140 milliards d’euros annuels contre le changement climatique, la mise en place d’un récépissé pour les contrôles d’identité par la police ou le droit de vote des étrangers aux élections locales…

Je leur parle de ce qu’ils vivent. Je leur dis aussi qu’il n’y a pas besoin d’être communiste pour voter Roussel.

Fabien Roussel

Un programme bien de gauche, donc. Communiste ? C’est une autre histoire. Paradoxalement, celui qui traîne une réputation d’« identitaire » dans son parti, a rangé dans sa poche la faucille et le marteau. Dans la veine d’un Mélenchon qui avait banni le mot « gauche » en 2017, le candidat n’a que très rarement celui de « communisme » en bouche. « Ce n’est pas un terme tabou, mais on ne va pas commencer à se couper de tous les gens qui ont peur du retour des chars soviétiques », justifie un proche du candidat.

C’est que, là encore à l’image de Jean-Luc Mélenchon désireux de séduire les « fâchés pas fachos » lors de sa précédente campagne, Fabien Roussel ne cache pas qu’il est prêt à tout, ou presque, pour rallier à sa cause un « peuple » qui, aspirant à la sécurité et à un certain ordre, pourrait s’égarer dans le vote d’extrême droite.

Ils les connaît bien lui, l’élu du Nord, ces gens qui « votent Le Pen à la présidentielle et pour [lui] aux législatives » : « Je leur parle de ce qu’ils vivent, je leur dis qu’augmenter le prix de l’essence est une connerie, et que le nucléaire leur permet de baisser le coût de l’électricité. Je leur dis aussi qu’il n’y a pas besoin d’être communiste pour voter Roussel », plaide-t-il.

Mais tout le monde au PCF ne l’entend pas de cette oreille : « Les écolos parlent d’écologie, les féministes de féminisme, et nous, jamais de communisme », regrette le philosophe Bernard Vasseur, ancien membre des cabinets de Georges Marchais puis de Robert Hue, qui déplore que l’entourage de Roussel compte « plus de communicants que d’intellectuels ». « Faire “populo” n’a jamais fait une doctrine, ajoute-t-il. Le communisme, ce n’est pas dire aux gens ce qu’ils veulent entendre, mais, comme disait Marx, faire passer “la société humaine de la préhistoire à son histoire”. »

Vaste chantier auquel le candidat ne s’est pas encore totalement attelé. En attendant, il a pris soin de mettre en avant quelques totems. À commencer par un nouveau venu dans son équipe de campagne : son copain de trente ans, Olivier Marchais, qui ressemble à s’y méprendre à son père, Georges Marchais.

Certains trouvent d’ailleurs à Fabien Roussel quelques traits communs avec son illustre prédécesseur : sa faconde, son amour (immodéré) de la « punchline », sa vivacité et sa bonhomie populaire… Sa façon aussi de flirter avec les lignes rouges, même si on n’a pas entendu le candidat de 2022 expliquer, comme Marchais en 1981, que « l’immigration [était] utilisée par la bourgeoisie pour servir le capitalisme et casser les traditions ouvrières ».

Reste que, dans cette société de la communication où les signes sont rois, le risque est grande d’y sacrifier son âme... et son électorat. « Dans son esprit, Roussel réactive l’imaginaire du PCF des années 1970-80 du temps de sa grandeur, analyse ainsi l’historien Roger Martelli. Mais cette idée de revenir à une identité perdue est un fantasme. Et l’histoire a montré qu’à s’être trop fixé sur une identité vieillie, le parti a contribué à accélérer son propre déclin. »

Une nostalgie dont Fabien Roussel se défend, quand bien même il veut « revenir à la source, au parti de Thorez et du Front populaire ».

L’avenir dira s’il s’est, ou non, trompé de chemin.

Pauline Graulle


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