Hôtesses : le tour de France du sexisme

mercredi 7 août 2019.
 

La polémique inouïe autour des hôtesses podium du Tour de France aura au moins un mérite, celui d’interroger les fondements sexistes de la profession en général et ses dérives : harcèlement, discriminations et précarité.

Une pétition pour « la fin des hôtesses podium » sur le tour de France, il n’en fallait pas plus pour déclencher une fureur insensée au pays de l’amour courtois. Sur les réseaux sociaux, les attaques contre les féministes déferlent. Coupables de pudibonderie, quand elles ne sont pas soupçonnées de vouloir mettre toutes les hôtesses du pays au chômage. Voilà ce que coûte le fait de remettre en cause le caractère foncièrement sexiste des hôtesses podium. Un enseignement en soi. Mais au-delà de cette vague de haine misogyne, certaines questions doivent être posées. Celle de la condition des hôtesses, celle du sexisme intrinsèque de cette profession et celles des nombreuses dérives existantes : discriminations, paupérisation, harcèlement...

Être hôtesse n’est pas une sinécure. Être hôtesse implique d’être traitée différemment. Avec un savant mélange de mépris de classe mâtiné de sexisme. C’est être draguée comme si vous étiez là pour ça, comme si vous deviez vous en réjouir. C’est souffrir péniblement les palabres d’hommes, les « compliments » dont on se passerait bien volontiers. Cette drague n’est pas commune, c’est une prise de pouvoir brutale qui pourrait aisément se traduire par : « Tu es une femme, tu es jeune et tu es précaire ». Être environné d’hôtesses est un privilège de classe. Ces hommes ne se permettraient pas de tels comportements dans d’autres contextes. Je parle ici de « drague lourde » mais cela peut évidemment aller plus loin, jusqu’aux violences sexuelles. Vous n’imaginez pas à quel point les hommes peuvent être tactiles avec les hôtesses.

La sous-traitance, premier facteur de vulnérabilité

Effectuant des missions d’hôtesse depuis 2011, j’ai un regard particulier sur ce métier. Une expérience et des anecdotes désagréables qui ne font pas loi, certes, mais qui permettent de comprendre assez nettement comment le fonctionnement de cette profession permet les dérives précitées.

Commençons par l’organisation du métier. Lorsqu’une entreprise a besoin d’une ou de plusieurs hôtesses, elle fait généralement appel à une société de prestataires : les agences d’hôtesses. Ces agences emploient deux grandes catégories de personnels : les hôtesses en entreprise et celles en événementiel. Les hôtesses du tour de France se placent donc dans la seconde catégorie. Une catégorie qui peut être plus sélective selon l’importance de l’évènement et les exigences du client. Et comme le veut l’adage, « le client est roi ». Les agences d’hôtesses dont on parle ont commencé à éclore dans les années 1970. Aujourd’hui, on en compte plus de 400 en France. Une des plus grosses agences parisiennes affiche un chiffre d’affaire de près de 118 millions d’euros pour l’année 2017. Autant dire que le marché est juteux et férocement concurrentiel. Est-il seulement nécessaire de préciser que le grand ruissellement n’inonde pas les hôtesses, ici comme ailleurs ?

Si les risques de condamnations ont poussé les agences d’hôtesses à cesser de mentionner des critères discriminatoires dans leurs annonces, dans les faits, les discriminations n’ont pas disparu. Par exemple, un client ne souhaite pas avoir d’hôtesses racisées, grosses ou âgées. L’agence, qui souhaite décrocher ce marché, prendra-t-elle le risque de dénoncer le client en laissant filer un contrat ? On vous laisse deviner. Il ne faut pas non plus négliger le fait que les agences puissent, d’elles-mêmes, anticiper ces « exigences ».

Les discriminations ne s’arrêtent pas là, certaines sont plus pernicieuses. Contrairement à une idée reçue, « il ne suffit pas d’avoir un physique agréable et de savoir sourire pour travailler dans l’évènementiel ! », comme l’écrit avec légèreté le site Booking hôtesse. Il faut aussi avoir les codes, des diplômes si possible et la maîtrise d’une langue étrangère a minima. La sociologue Gabrielle Schütz, qui a publié Jeunes, jolies et sous-traitées : les hôtesses d’accueil (éd. La Dispute, 2018) explique ainsi qu’une chargée de recrutement lui a confié qu’elle « tâchait autant que possible de ne retenir que des jeunes femmes “de type BCBG 16ème arrondissement ”, et d’éviter en revanche à tout prix “l’accent banlieue” ». La sociologue précise que cette dernière affirmation est récurrente chez les recruteurs rencontrés. Précisons aussi que la ponctualité est une des premières exigences de ces agences, les candidates résidant de l’autre côté du périphérique partent avec un autre désavantage. Une discrimination de classe supplémentaire est donc en oeuvre.

Discriminations, harcèlement et précarité : les joies du métier d’hôtesse

Outre le fait qu’il est très difficile de lutter contre la discrimination à l’embauche, compte tenu du rapport de force entre les agences et les clients, la sous-traitance fragilise les hôtesses sur un plan pécuniaire, et en cas de harcèlement. Une observation valable pour toutes les professions qui sont confrontées à ce modèle, comme les femmes de ménage ou les agents de sécurité. Les marges réalisées par les agences d’hôtesses pour se rendre plus compétitives auprès des clients affectent en premier lieu les salaires des hôtesses. Sauf quelques exceptions, le salaire de base d’une hôtesse d’accueil ne dépasse pas le Smic. Les missions en événementiel, elles, peuvent atteindre 14 euros brut de l’heure en moyenne. Byzance, vous avez dit ?

Mais l’idylle ne s’arrête pas là, le trio « client – agence – hôtesse » recèle encore quelques angles morts, comme le harcèlement. Certaines agences peuvent certes avoir de bons réflexes dans ce genre de situation mais compter sur la bienveillance de quelques uns n’a jamais suffi. Lorsque c’est « parole contre parole », que l’agence a donc un choix à faire entre une hôtesse - dans un milieu où il y a un énorme turnover - et un contrat, que se passe-t-il ? Il est souvent plus simple de reclasser l’hôtesse chez un autre client.

Par ailleurs, les hôtesses anticipent très bien ce genre de situation, mesurent les rapports de force et dans la plupart des cas n’en référent pas à leur hiérarchie. « La première chose qu’on m’ait dite quand on m’a formée en tant qu’hôtesse : “Vous êtes en robe, les hommes vous feront des réflexions : c’est normal” », témoigne une jeune femme sur Twitter. Aucune prévention, aucun discours n’est délivré à ces jeunes femmes exerçant une profession surexposée aux violences sexistes et sexuelles.

Dans une publication sur Cairn.info, Gabrielle Schütz explique que les hôtesses « doivent offrir une image rassurante de la féminité ». Si vous êtes dans une entreprise où il y a des hôtesses d’accueil, demandez-leur leur cahier de consignes et vous comprendrez. Des phrases infantilisantes et riches d’enseignements s’y succèdent. Il s’agit globalement d’être discrète et souriante, de se tenir droite, de ne jamais s’énerver y compris face à lourdeur de certains. Il s’agit d’être docile, en somme. Cette attitude, s’accompagne d’une tenue vestimentaire fournie par l’agence (le client peut choisir dans quelle tenue s’habillera l’hôtesse) et de talons, formidables instruments de torture. Pour les hôtesses en événementiel, qui peuvent être amenées à rester debout pendant des heures, le port des talons est un véritable enfer.

« La colère des hommes en dit beaucoup plus sur la bonne santé du patriarcat que sur le débat en lui-même »

Le débat autour des hôtesses podium du Tour de France, décrites encore cette année comme un « atout charme », a au moins le mérite d’ouvrir la question de la sexualisation des hôtesses. Les images de jeunes femmes, qui dans la scénographie se confondent avec la récompense, choquent et interpellent. Ces jeunes femmes n’ont pas de réelles missions en termes de logistique, leur fonction décorative, qui fait partie intégrante de la mission d’hôtesse, n’apparaît que trop visible à ce moment-là. Contrairement à l’intox répétée à l’envi, personne ne veut interdire le métier d’hôtesses. Il s’agit, encore une fois, d’interroger les fondements sexistes de la profession et ses dérives. Comment peut-on encore admettre qu’une hôtesse soit dans l’obligation de chausser des talons quand sa mission est d’accueillir des invités ?

La pétition lancée par des militantes féministes allemandes et soutenue, entre autres, par Fatima Benomar a déclenché des attaques enragées, invraisemblables. Fatima Benomar, qui a l’outrecuidance d’être racisée en plus d’être féministe, a fait face à une violence effarante mais pas si surprenante. Gabrielle Schütz explique que la fonction d’hôtesse permet la « réassurance des identités sexuées », elle est un prolongement, dans l’entreprise, « du travail féminin dans la sphère domestique ». Toucher à cette profession, remettre en cause ses fondements, suppose de bouleverser un ordre établi. En cela, la colère des hommes en dit beaucoup plus sur la bonne santé du patriarcat que sur le débat en lui-même. Ces défenseurs des droits des hôtesses autoproclamés sont beaucoup plus discrets lorsqu’il s’agit d’égalité salariale ou de revalorisation des professions féminisées. Mais essayons de ne pas perdre trop d’énergie avec eux et écoutons, enfin, les premières concernées : les hôtesses d’accueil.


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