Domination masculine : réflexions à partir d’un film ( Par Monique Vézinet, UFAL)

mercredi 25 novembre 2009.
 

A la fin de l’éditorial du n° 94 de ce FLASH, évoquant la disparition de Lévi-Strauss, je concluais sur le caractère historiquement dépassé d’un thème classique de l’anthropologie : les femmes constituent une monnaie d’échange (matrimonial) pour les hommes. Ce qui n’a en rien signé la fin de la domination masculine.

Il se trouve qu’un film documentaire du réalisateur belge Patric Jean, titré La Domination masculine, sort en salle le 25 novembre et que l’UFAL souhaite le promouvoir après l’avoir pré-visionné. Il devrait notamment être abondamment utilisé pour débattre avec les publics adolescents (les enseignants trouveront un dossier pédagogique très riche sur le site www.ladominationmasculine.net).

Il se trouve aussi que ce film s’inspire ouvertement d’idées dues à une autre anthropologue, Françoise Héritier, qui n’hésite pas à dire que Claude Lévi-Strauss auquel elle a succédé au Collège de France, prisonnier des idées de son temps en tant qu’homme, n’a pas su aller au bout de l’analyse pour démasquer les racines de l’infériorisation de la femme dans la pensée humaine, depuis les origines de la vie en société. Elle démontre au passage que l’aggravation de la situation féminine sous l’effet des diverses religions n’est qu’un phénomène secondaire, dans le cours de l’histoire, ce qui ne peut que donner du tonus à nos analyses sur la liaison du combat féministe et du combat laïque ! Les processus logiques d’interprétation du réel (et en particulier des processus de reproduction) que décrit Françoise Héritier se retrouvent aussi bien dans les sociétés « exotiques » que dans la pensée occidentale découlant d’Aristote et de la théorie des humeurs. Mais il n’y a qu’un siècle que la part féminine et la part masculine sont prouvées dans la création de l’embryon, et un demi siècle que les femmes peuvent assurer en droit la maîtrise de leur corps. C’est dire que la plupart d’entre nous (les hommes qui en « profitent », les femmes qui l’« intériorisent ») sont lourdement – même si inconsciemment - marqués par cette pensée archaïque de la différence.

Un film qui révèle l’implicite de la domination

Tandis que le débat politique tend à poser la problématique de l’égalité des sexes dans des termes institutionnels (parité, compensation...) qui ne s’attaquent pas aux idées reçues et aux comportements traditionnels, le film La Domination masculine nous confronte de façon brutale à des réalités ordinaires, en France, en Belgique et au Québec. Dans un patchwork qui ne cherche pas à démontrer une thèse mais désoriente souvent, le réalisateur a sélectionné une quinzaine de situations dans ces pays. Pour les Français, le plus étonnant sera sans doute la découverte du mouvement « masculiniste » québécois, dont les représentants les plus « hard » n’hésitent pas à se poser en victimes du féminisme (la Belle Province a connu en 1989 une tuerie « sexuellement orientée » sur un campus, qui a fait 14 victimes féminines). Faisant l’objet de menaces, le réalisateur rencontre aujourd’hui des difficultés à présenter son film à Montréal...

On retrouvera dans le film la palette des stéréotypes partagés en Occident (classique répartition des tâches dans les domaines domestique et professionnel, érotisation du corps féminin, et de lui seul) mais aussi des comportements extrêmes (violence masculine considérée comme naturelle, demandes d’élargissement du pénis auprès de chirurgiens...)

Ce que présente ce film n’est pourtant pas ce que les féministes occidentales dénoncent comme le plus grave aujourd’hui en matière de condition féminine : il n’y est pas question du supplément d’oppression dû aux religions (en réalité le réalisateur reconnaît n’avoir pas pu tourner comme il le souhaitait, de façon équilibrée, avec les représentants des principales confessions). Il n’est pas question non plus de la prostitution et des réseaux mafieux, non... rien que d’hommes et de femmes issus de milieux a priori éduqués et « normaux ». Pas de lapidations non, mais des coups mortels après dispute, oui.

Par où briser l’enchaînement ?

Première possibilité, par le bas : la loi doit suivre l’état des pratiques sociales pour être applicable. De même qu’on attendra qu’il y ait des couples homosexuels assez nombreux et revendicatifs pour leur accorder des droits équivalents aux couples hétérosexuels, on laissera l’égalité professionnelle hommes-femmes progresser à petits pas, malgré de nombreuses lois successives et sur fond de mauvaise volonté des entreprises.

Pour amuser la galerie et satisfaire les élites, on insistera sur la parité ; on fera confiance à l’expérience des générations de l’après-guerre pour transmettre les progrès acquis à leurs propres enfants... et on se désolera de constater le reflux de l’émancipation chez les jeunes.

Deuxième possibilité, par le haut : l’attitude volontariste, inverse de la précédente, consistera à faire adopter des mesures qui dépassent, à un moment donné, l’état de l’opinion, au risque de résistances et blocages. On songe à l’IVG et la contraception, au congé de paternité. A noter que ce n’est pas toujours de la gauche que viennent ces avancées et qu’elles passent plus facilement dans le domaine des moeurs que dans celui de l’égalité professionnelle et domestique.

Alors que les chercheurs affirment, et que l’expérience courante confirme, que le coeur de l’inégalité réside dans le partage des tâches domestiques et du soin des enfants, l’idée d’accélérer le cours des choses par l’imposition de règles identiques aux pères et aux mères se heurte à d’énormes difficultés.

L’exemple du congé parental

Sur le modèle suédois, il peut être envisagé de rendre en tout (ou en partie) identique pour les hommes et les femmes la durée d’un congé parental spécifique : c’est-à-dire que le parent qui renonce à en bénéficier ne peut le reporter sur l’autre parent. On peut en outre assortir la prise de ce congé d’avantages proportionnels en matière de retraite. On imagine bien en quoi des hommes et des employeurs peuvent renâcler devant une telle hypothèse – malgré la libération du désir de paternité masculin pour beaucoup ; on se représente moins bien les réticences que le réalisme peut inspirer dans l’intérêt des femmes, ici et maintenant.

L’exemple actuel de la révision des modalités de la majoration de la durée d’assurance (MDA) dans le calcul des retraites est significatif. Compte tenu d’une entrée plus tardive sur le marché du travail, des interruptions de carrière, du temps partiel, etc. les femmes voient bien ce qu’elles auraient à perdre d’un bénéfice à égalité entre hommes et femmes du congé parental toutes choses étant égales par ailleurs ! Et pourtant, il est certain que là est bien le levier du rééquilibrage. C’est-à-dire qu’il ne faut pas renoncer au partage du congé parental mais qu’il faut trouver les moyens de le rendre aussi acceptable et désiré par les un(e)s que par les autres... Mais pour l’UFAL, qui se situe clairement dans le volet « volontariste » évoqué ci-dessus, le partage du congé parental est un objectif qui ne peut être atteint à partir d’une position idéaliste, d’un quelconque diktat féministe. Sa mise en oeuvre devra nécessairement prendre en compte les inégalités structurelles de départ et donc comporter des mesures redistributives complémentaires. Nous appelons les mouvements qui rejoignent ces positions de départ à venir travailler les scénarios avec nous. Et à participer à tout le travail d’éducation populaire qui en découle. Car faire évoluer ensemble les représentations, les réalités et le droit, voilà le leitmotiv d’une lutte féministe et sociale.

Et puis, allez, ne nous arrêtons pas en chemin, que ne pourrions-nous pas encore rêver ensemble pour avancer sur la transformation matérielle des rapports entre les sexes ? La suppression du quotient conjugal ? Quoi, pardon ? On me fait signe d’arrêter : « je n’ai pas consulté les instances du mouvement » ? Oups... nous en reparlerons un autre jour. Allez toujours voir le film La Domination masculine.

par Monique Vézinet


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