Nous savons que le droit à vivre humainement, dans un pays riche comme la France, est loin d’être une réalité dès la naissance du fait des inégalités territoriales, sociales et hommes-femmes. Les conditions de la mort connaissent autant d’inégalités. Bien plus, le droit à mourir, la liberté d’un individu face à une maladie incurable, des souffrances insupportables, l’épuisement de ses capacités à préserver ce qu’il estime être "vivre", ce droit et cette liberté n’existent pas, sont passibles de poursuites et de condamnations. Alors que s’ouvrent les États généraux de la bioéthique 2018, les législateurs resteront-ils en retard sur la demande de la société ?
Anne Bert, 59 ans, atteinte de la maladie de Charcot, avait interpellé la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, sur le droit à mourir. Celle-ci, sur France-Inter, a renvoyé à la loi Claes-Leonetti, qui permet une sédation profonde et prolongée pour les patients en fin de vie, mettant en avant que « cette loi n’est pas encore complètement déployée partout » et qu’elle souhaitait « d’abord faire une évaluation de la façon dont cette loi était mise en œuvre dans notre pays ». Alors « Les débats sur la loi de bioéthique pourront éventuellement rouvrir ce sujet. » Enfin, elle considérait la position d’Anne Bert comme un « choix individuel » mais qu’ « Aujourd’hui notre société n’a pas fait ce choix-là ». Anne Bert a dû s’exiler pour mourir. Elle a été euthanasiée en Belgique, à sa demande, dans un cadre législatif rigoureux.
Ce que révèle les propos de la ministre, c’est d’une part l’incapacité des gouvernements qui se succèdent à mettre en place en temps voulu et dans toute leur ampleur les mesures et structures votées par le législateur : moyens en soins palliatifs, formation des personnels médicaux et soignants, EHPAD, etc. Ce qu’attestent les rapports des missions officielles successives, les sondages et enquêtes.
D’autre part les "arguments" de Mme Buzyn, pour ne pas dire les prétextes, ne visent qu’à reporter à plus tard, "éventuellement", une loi qui réellement réponde à la demande croissante de la société.
Car, enfin, la ministre fait fi de l’évolution anthropologique de la société qui, elle, est prête plus que majoritairement à la légalisation de l’euthanasie et de l’assistance au suicide, libre à chaque personne d’en demander ou non l’acte pour elle-même (Voir tableau plus loin). Est-ce d’ailleurs la crainte de voir s’exprimer la société dans le cadre des États généraux de la bio-éthique qui explique la réduction de la représentation citoyenne à côté des experts et personnalités1.
Il a fallu des cas extrêmes, les interpellations de présidents de la République successifs par des malades, l’action d’associations, dont l’ADMD, les positions publiques de certains médecins, des documentaires courageux pour que, dans la société, le déni du "mal mourir", les tabous de la mort cèdent peu à peu la place à une réflexion profonde sur la vie et sa fin, sur une médecine non plus exclusivement curative mais aussi accompagnatrice, sur le respect de l’autonomie de la personne à décider de sa vie et de sa fin.
Aujourd’hui, comme la ministre, les membres de la commission des affaires sociales se sont opposés à la proposition de loi présentée au nom du groupe parlementaire de La France Insoumise par Caroline Fiat le 24 janvier 20182. Celle-ci, dans son rapport introductif (ci-dessous), avait de fait donné les arguments qui désamorcent les objections que lui feraient ensuite les intervenants dans le débat. Hypocrisie ou déni chez ces "représentants de la nation" ?
Michèle Kiintz
(Bulletin cerise n° 342 http://www.cerisesenligne.fr/file/a...)
Je suis heureuse de vous présenter ce matin la proposition de loi que j’ai déposée en décembre dernier avec les membres du groupe La France Insoumise qui vise à légaliser sous conditions l’euthanasie et le suicide assisté. J’espère que nous allons pouvoir débattre sereinement de l’évolution du cadre législatif encadrant la fin de vie dans notre pays, évolution qui est plébiscitée et attendue par nos concitoyens et au-delà même de nos frontières. Un sondage de l’IFOP pour le journal La Croix, publié au début du mois, a en effet montré que 89 % des Français et Françaises sondés étaient favorables à ce que l’on aille plus loin que la législation actuelle sur la fin de vie. C’est dire si, au-delà des convictions politiques, religieuses ou philosophiques, nos concitoyens sont aujourd’hui convaincus dans leur immense majorité de la nécessité de faire évoluer la législation. Je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas d’un mouvement d’humeur, car d’un sondage à l’autre, quelle que soit la méthodologie retenue, la solution majoritaire souhaitée en cas de situation de fin de vie insupportable est d’abord la possibilité de demander à ce que le médecin vous fasse mourir, comme l’a noté en 2012 le Professeur Didier Sicard3. Chez les médecins aussi les mentalités ont évolué, une enquête réalisée en 2013 par IPSOS pour le Conseil national de l’Ordre des médecins fait apparaitre que 60 % des médecins sondés étaient favorables à l’euthanasie4.
Une exigence d’égalité
les esprits sont donc aujourd’hui mûrs pour un changement qui est commandé par une exigence d’égalité. Nos concitoyens sont en effet loin d’être égaux face aux conditions dans lesquelles ils meurent. En 2012 la commission de réflexion sur la fin de vie en France pointait déjà les inégalités sociaux-économiques du mourir dans notre pays. Alors que la Belgique et les Pays-Bas offrent à leurs ressortissants un accès universel aux soins palliatifs, l’Avis citoyen sur la fin de vie publié en 2013, a établi qu’en France, seules 20 % des personnes qui devraient bénéficier des soins palliatifs y ont accès avec en outre de lourdes inégalités territoriales qui existent en ce qui concerne les structures de soins palliatifs comme le nombre de lits dédiés en milieux hospitalier5. Ces inégalités sont si grandes qu’en 2014, le Comité consultatif national d’éthique a dénoncé le scandale que constitue depuis 15 ans la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens.6 Notre proposition de loi prend en compte ces inégalités concernant l’accès aux soins palliatifs, en faisant de cet accès une exigence préalable à toute procédure d’euthanasie ou d’assistance au suicide.
Exil ou "mal mourir" ?
Nous nous trouvons aujourd’hui au regard de l’euthanasie et de l’assistance au suicide dans une situation assez comparable à celle qu’ils ont pu connaître jusqu’en 1975 au regard de l’interruption volontaire de grossesse. Soit ils ont les moyens de trouver refuge chez nos voisins européens pour pouvoir y mourir dignement, que ce soit aux Pays-Bas ou au Luxembourg qui ont légalisé l’euthanasie et l’assistance au suicide respectivement depuis 2001 et 2009, en Belgique qui a légalisé l’euthanasie en 2002, ou encore en Suisse où le suicide assisté est toléré dès lors qu’il n’est pas motivé par un mobile égoïste. Soit ils n’ont pas les moyens de traverser nos frontières, dans ce cas ils subissent sur notre territoires ce que le Professeur Didier Sicard a appelé "le mal mourir", ou ils trouvent d’autres moyens d’y mettre fin. Je rappelle à cet égard qu’un rapport publié en 2014 par l’Observatoire national du suicide classe la France parmi les pays d’Europe enregistrant le taux de suicides le plus élevé, un tiers de ces suicides concernant les personnes âgées de plus de 60 ans et la majorité des suicides étaient violents, 53 % par pendaison7.
Quand elles ne mettent pas fin à leurs jours, les personnes en fin de vie sont parfois euthanasiées contre leur gré, en catimini dans nos hôpitaux. Une étude publiée en 2012 par l’Institut national d’études démographiques, l’INED, a en effet relevé que les décisions médicales avec intention de mettre fin à la vie des patients représentaient 3,1 % des décès enregistrés dans notre pays en décembre 2009, et que seul un cinquième de ces décisions était pris à la demande des patients8.
Sortir de l’hypocrisie
Il est donc grand temps d’encadrer les quelque 4 000 euthanasies clandestines qui seraient ainsi pratiquées chaque année dans notre pays. En effet, à mes yeux, il est révoltant que celles et ceux de nos concitoyens qui souhaitent mourir plus vite soient contraints de fuir à l’étranger pour y trouver les conditions d’une mort digne. Mais il est tout aussi scandaleux que celles et ceux de nos concitoyens qui souhaitent mourir plus tard puissent aujourd’hui se retrouver euthanasiés contre leur volonté sur notre territoire.
Parce qu’il est urgent de sortir de l’hypocrisie et d’apaiser la colère qui monte chez nos concitoyens qui peuvent à juste titre se sentir méprisés par une législation insuffisamment respectueuses de leur dignité, le groupe La France insoumise soumet aujourd’hui à la représentation nationale une proposition de loi qui, animée par une exigence de liberté et de respect de toutes les consciences, vise à légaliser sous conditions l’euthanasie et l’assistance au suicide. C’est en effet l’objet de l’article 1er de la proposition de loi. Plutôt que de recourir à la formule d’ "assistance médicalisée active à mourir" ou à d’autres circonvolutions, cet article n’hésite pas à employer les termes d’euthanasie et d’assistance au suicide. Car, comme l’ont montré les enquêtes d’opinion précédemment citées, ce sont des notions qui sont parfaitement claires pour nos concitoyens et qui ne leur font plus peur aujourd’hui.
Un encadrement strict
Assumant la revendication d’un droit de mourir que Chantal Sébire et Vincent Humbert ont jadis réclamé en vain, à la Justice française et aux Président de la République successifs9, l’article 1er subordonne la légalité des actes d’euthanasie et d’assistance au suicide à plusieurs conditions inspirées des lois belges et luxembourgeoises :
Premièrement la demande doit émaner d’une personne capable au sens civil du terme, l’hypothèse où la personne serait hors d’état d’exprimer sa volonté étant envisagée.
Deuxièmement cette personne doit être atteinte d’une affection grave ou incurable, quelle qu’en soit la cause, qui soit lui inflige une souffrance physique ou psychique qu’elle juge insupportable et qui ne peut être apaisée, soit la place dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité.
Enfin l’acte létal ne peut être accompli que par un médecin ou en présence et sous la responsabilité d’un médecin, étant précisé que l’article 4 garantit aux professionnels de santé la possibilité d’invoquer leur clause de conscience pour refuser d’accompagner un patient dans ses démarches, à condition cependant de l’orienter immédiatement vers un praticien susceptible de l’accepter.
Ce n’est qu’aux conditions précédemment énoncées que les personnes prêtant leur concours à un acte d’euthanasie ou d’assistance au suicide pourront bénéficier de l’exonération de poursuites et de sanctions pénales traitées par l’article 5. Cette disposition tend en effet à modifier le code pénal afin que l’acte d’euthanasie ou d’assistance au suicide régulièrement pratiqué ne soit considéré ni comme meurtre, ni comme un empoisonnement. Je vous proposerai par ailleurs un amendement afin de garantir que cet acte ne soit pas non plus assimilé à un assassinat.
Liberté, réflexion, information
Cette absence d’incrimination ne vaut toutefois que pour autant qu’aura également été respectée la procédure collégiale et extrêmement précise qui est détaillée à l’article 3. S’inspirant là encore des droits belge et luxembourgeois, cet article encadre de façon très stricte le traitement des demandes d’euthanasie et d’assistance au suicide devant résulter de directives anticipées ou être formulées devant au moins deux témoins lorsqu’elles le sont par oral.
Ces demandes devront être examinées par le médecin traitant et au moins un autre médecin indépendant. Ces médecins seront tenus de consulter l’équipe médicale assistant les patients au quotidien, sauf opposition de ce dernier, et d’établir un rapport sur la base duquel sera organisé un entretien avec le patient. Lorsque ce dernier n’est pas conscient et capable ou si l’expression de sa volonté ne revêt pas un caractère libre, éclairé, réfléchi et explicite, l’entretien a lieu avec la personne de confiance, étant précisé que l’article 2 de la proposition de loi permet la désignation de plusieurs personnes de confiance appelées à se succéder selon un ordre de préférence en cas de refus, d’empêchement, d’incapacité ou de désir de l’une d’entre elles. Le déroulement de cet entretien est très précisément décrit, le médecin doit notamment informer le patient ou sa personne de confiance de son état de santé, de son espérance de vie, des possibilités thérapeutiques éventuellement encore envisageables, de l’état de la recherche en la matière, des possibilités offertes par les soins palliatifs, de leurs conséquences, des modalités d’accompagnement de fin de vie ainsi que des conséquences de son choix.
Si à l’issue de cet entretien, la demande d’euthanasie ou de suicide assisté exprimée par le patient ou par sa personne de confiance persiste, elle sera actée dans un écrit daté et signé en présence de deux témoins n’ayant aucun intérêt matériel ou moral au décès. Une fois cette demande réitérée par écrit, l’acte létal sera accompli dans un délai maximal de quatre jours à compter de l’établissement de cet écrit, et le médecin qui y aura apporté son concours sera tenu d’adresser un rapport à une commission régionale de contrôle dans un délai de 4 jours ouvrables à compter du décès.
Ce dispositif de contrôle permettrait notamment d’établir sur la base de données non confidentielles des réponses statistiques et d’évaluation permettant de détecter et de neutraliser rapidement toute velléité de pratiquer des euthanasies ou des suicides assistés aux seules fins de libérer des lits. En effet qu’on ne brandisse pas cette accusation toute aussi éculée qu’infondée. Les études ont montré que bien que légalisés chez nos voisins européens l’assistance au suicide et l’euthanasie restent à un niveau stable et marginal par rapport au nombre total de décès, moins de 0,2 % au Luxembourg, de 2 % en Belgique et de 3,5 % aux Pays-Bas.
Après x débats et évaluations, ne plus tergiverser
Qu’on ne nous oppose pas non plus l’argument selon lequel il serait nécessaire avant de légiférer d’engager de nouveaux débats ou de nouvelles évaluations ou d’attendre la conclusion des États-généraux de la bioéthique qui se sont ouverts la semaine dernière. Missions parlementaires successives, menées notamment par Monsieur Jean Léonetti, débats organisés par la Commission de réflexion sur la fin de vie en France et par le Comité consultatif national d’éthique : rarement un sujet aura été aussi débattu et évalué au cours des vingt dernières années. Rarement le législateur aura été contraint de remettre aussi souvent l’ouvrage sur le métier, preuve que malgré les évolutions qu’il a connues, le dispositif encadrant la fin de vie n’est toujours pas adapté aux besoins et aux attentes de nos concitoyens.
Une loi du 9 juin 1999 a prétendu garantir l’accès au soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Résultat cet objectif, dont la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté n’a nullement vocation à enrayer la poursuite, est aujourd’hui loin d’être atteint. La loi Kouchner du 4 mars 2002 a permis de désigner une personne de confiance - résultat il a fallu deux nouvelles lois pour renforcer son rôle. La loi du 22 avril 2005, dite Leonetti, a prohibé l’obstination déraisonnable et permis aux majeurs de rédiger des directives anticipées - résultat : une étude publiée en 2012 par l’INED a montré qu’en moyenne seules 2,5 % des personnes décédées ont rédigé des directives anticipées et plusieurs rapports ont montré que l’acharnement thérapeutique persiste à la faveur d’une culture médicale curative nourrie par l’insuffisante formation des personnes de santé aux enjeux liés à la fin de vie, à la prise en charge de la douleur. Quant à la loi Claes Leonetti, du 2 février 2016, qui a renforcé la pratique des sédations profondes et continues, l’écrivaine Anne Bert, qui a dû se rendre en Belgique pour être euthanasiée dans un service de soins palliatifs, l’a qualifiée il y a quelques mois encore de poudre aux yeux pour les malades en fin de vie tant la sédation terminale est inadaptée à un certain nombre d’agonies10. Aucune étude scientifique ne démontre par ailleurs à ce jour l’absence totale de souffrance chez la personne sédatée qui met parfois plusieurs semaines à succomber à un défaut d’hydratation. Si la sédation profonde et continue peut être une solution satisfaisante pour certaines personnes, elle ne l’est donc pas pour toutes. Elle peut faire peur aux malades et à leurs proches tout comme l’acharnement palliatif qui ne convient pas non plus à tous les patients. De mon point de vue, la logique consistant à évaluer les dispositifs législatifs existants de manière régulière ne doit pas porter atteinte à la responsabilité du législateur qui essaie de combler au plus vite les lacunes les plus manifestement béantes de nos politiques publiques.
J’espère donc que la représentation nationale ne tergiversera pas encore durant des mois, voire des années, et qu’elle adoptera la présente proposition de loi qui, dans le respect de la liberté de toutes les consciences, offre enfin à nos concitoyens la possibilité de choisir en consacrant le droit de mourir revendiqué par Vincent Humbert il y a de cela quinze ans.
Caroline Fiat, députée France Insoumise
1. Dans une tribune du Monde du 5 janvier dernier, Jacques Testart s’en inquitète , il écrit : « L’avis citoyen devrait être prépondérant dans la fabrication de la loi de bioéthique ».
2. Video de l’intervention de Caroline Fiat et du débat en ligne ici Le texte de la loi peut-être consulté ici.
3. Le rapport Sicard "Penser solidairement la fin de vie - Commission de réflexion sur la fin de vie en France", publié par La Documentation française est ici.
4. "Enquête auprès des médecins sur la « fin de vie » pour le Conseil National de l’Ordre des Médecins", ici.
5. Conférence de citoyens sur la fin de vie - Avis citoyen, 14 décembre 2013, ici
6. Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie, ici.
7. Dans le 1er rapport ici.
8. Les décisions médicales en fin de vie en France, ici.
9. Voir dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, les interventions de Chantal Sébire (ici).
10. Voir l’entretien avec Anne Bert dans l’émission C dans l’air ici.
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