Renzo Ulivieri : « Le foot professionnel n’a pas de valeurs morales »

mardi 19 janvier 2016.
 

Homme de gauche, Renzo Ulivieri n’a jamais renié ses idées. Après deux décennies de berlusconisme, l’entraîneur et formateur italien passe en revue ce qu’est devenu ce sport tout en prônant un football social.

En charge durant sa carrière d’une vingtaine d’équipes (Naples, Parme, Turin ou la Sampdoria), Renzo Ulivieri est aujourd’hui responsable de la formation des entraîneurs à la Fédération italienne. Également président de l’Association italienne des entraîneurs de football, il entraîne depuis deux ans l’équipe féminine de Pontedera.

Vouloir une société plus juste se résume à être de gauche. Mais elle a capitulé.

À 74 ans, qu’est-ce qui vous motive encore alors que vous pourriez profiter d’une retraite paisible  ?

Renzo Ulivieri. L’amour pour le rectangle vert et la volonté d’être avec les autres. J’ai envie de transmettre ce que j’ai appris et je prends plaisir à le mettre en pratique au quotidien avec les jeunes.

En cinquante ans de carrière, quel est l’épisode qui vous a le plus marqué  ?

Renzo Ulivieri. Les rapports humains, ils sont plus importants que les victoires. Un entraîneur qui n’aime pas ses joueurs ne peut pas faire ce métier. Il faut savoir s’adapter. C’est trop facile de donner dix règles et de fonder la vie de l’équipe sur cette base.

Malgré les excès du football professionnel, ce sport reste-t-il une école  ?

Renzo Ulivieri. On se trompe lorsque l’on attend des valeurs morales du football professionnel. Qui est professionnel, produit un spectacle, des ressources économiques et des résultats sportifs. Ce sont ses objectifs. Le football n’a pas de valeur en soi, comme n’importe quel autre sport. Il aura des valeurs si nous les mettons.

À l’image de la société, le football est malade. Comment le jugez-vous  ?

Enzo Ulivieri. En Italie, malheureusement, nous avons vécu une période d’une vingtaine d’années où la règle était de ne pas respecter les règles, chercher à échapper ou à contourner les lois, faire sa route sans se préoccuper des autres… L’individualisme poussé à son paroxysme, sans avoir le sens du bien commun. Lorsque tu perds ces valeurs, la société les perd également, tout comme le monde du football.

Comment sortir du scandale de la Fifa  ?

Renzo Ulivieri. Je crois qu’avec ce scandale nous avons touché le fond car les épisodes sont trop nombreux. Nous devons retrouver des dirigeants d’une certaine stature, d’une grande probité morale. Si nous réduisons ce sport uniquement à ses aspects économiques et que nous oublions le rêve, progressivement nous le ferons disparaître. Nous sommes arrivés à ce niveau quasiment en Italie, où les dirigeants ont vendu le football aux télévisions privées et où les stades se vident.

Le football italien vit un lent déclin. Comment peut-il retrouver son niveau  ?

Renzo Ulivieri. En 2006, quand nous avons gagné la Coupe du monde, nous pensions être les meilleurs et, durant dix ans, on s’est arrêté. Aujourd’hui, nos entraîneurs sont à l’avant-garde. Ils se débrouillent avec peu de ressources et le spectacle s’est amélioré. Le championnat italien, d’un point de vue tactique, est un grand championnat. Nous sommes passés d’un jeu fermé à des équipes qui privilégient le spectacle.

Vous n’avez jamais caché vos opinions politiques. Votre engagement a-t-il eu un effet sur votre carrière  ?

Renzo Ulivieri. Non, car je crois que j’ai donné beaucoup au football. Il y a des personnes qui, le soir, aiment aller au cinéma, au théâtre, moi j’aimais aller aux réunions de mon parti, d’abord le Parti communiste, puis les Démocrates de gauche. La politique est une passion chez moi, mais je crois que c’est aussi un devoir. Il faut s’engager.

Que signifie être de gauche en 2015, dans une Italie qui sort à grand-peine de deux décennies de berlusconisme  ?

Renzo Ulivieri. La situation actuelle reflète les erreurs grossières de la gauche. Car à un certain point, elle a capitulé. Vouloir une société plus juste, cela se résume à être de gauche. Une société égalitaire avec des citoyens aux droits égaux. Nous voulons changer ce monde pour qu’il soit meilleur.

Existe-t-il un football de gauche  ?

Renzo Ulivieri. J’ai toujours dit que mes équipes étaient des coopératives. Le talent qu’il y a dans le football doit être au service de la communauté. Le football est de gauche, si l’on y met des idéaux de gauche. Pour ma part, je l’ai toujours fait dans la gestion de mes équipes. Cela a fonctionné parfois mais cela a également échoué.

Comment se fait-il que le football féminin soit si peu développé en Italie  ?

Renzo Ulivieri. Nous avons pris la mauvaise route. Il a été mis entre les mains de dirigeants, qui n’ont jamais compris qu’il fallait s’en occuper dès l’enfance dans les écoles mais aussi en impliquant la télévision.

Vous soutenez également des projets au Mozambique ou au Liban, aux camps de Sabra et Chatila…

Renzo Ulivieri. L’association des entraîneurs italiens, que je préside, ne peut pas s’occuper uniquement de questions techniques ou corporatistes, elle a aussi le devoir de s’impliquer dans les questions sociales. Nous avons donc, par exemple, des activités avec des handicapés en Italie. À l’étranger, nous sommes allés au Mozambique mais aussi à Sabra et à Chatila pour former des entraîneurs car la question palestinienne nous tient à cœur.

Qu’avez-vous retenu de ces différents voyages à Sabra et à Chatila  ?

Renzo Ulivieri. La souffrance de ce peuple, le désespoir, l’abandon, le fait de ne pas réussir à avoir leur patrie et de vivre d’aides internationales. L’humiliation de vivre comme cela aussi, de nombreux Syriens sont d’ailleurs dans cette situation désormais. Vivre et survivre dans les camps surpeuplés est très difficile. Il faut voir ce type de situation, comprendre qui est la victime. On te dit qu’il ne faut pas prendre parti, mais comment ne pas prendre parti  ? Je suis engagé et je le reste  !

Entretien réalisé par Sébastien Louis


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