Coupe du Monde 2022 de football au Qatar : à quel prix ?

vendredi 31 janvier 2020.
 

C’est un événement que les passionnés de football attendent avec impatience. La Coupe du Monde 2022 est prévue au Qatar dans un peu moins de trois ans, du 21 novembre au 18 décembre 2022. L’événement a déjà fait couler beaucoup d’encre, bien au-delà des rubriques sportives. En effet, l’organisation d’une telle compétition dans l’émirat pétrolier, dénué de tradition footballistique, soulève de nombreuses interrogations quant à ses conséquences environnementales, sociales et quant aux logiques qui ont conduit à cette attribution.

Le choix du Qatar est d’abord révélateur de l’absence totale de prise en compte des conséquences climatiques de l’événement. Il est en effet le pays qui rejette le plus de C02 par habitant : 45,4 tonnes par habitant en 2014, soit dix fois la moyenne mondiale ! Et pour cause : les températures extrêmement hautes que connaît le pays impliquent un usage permanent de la climatisation. En conséquence et de manière inédite, la prochaine Coupe du Monde se jouera en hiver. Un choix critiqué dans le monde du football pour le bouleversement du calendrier sportif qu’il induit. Il implique tout de même la climatisation des stades, afin que les matchs se tiennent dans des conditions thermiques décentes. Cela nécessitera évidemment l’utilisation de sources d’énergie polluantes, à moins que le Qatar couvre un dixième de son territoire de panneaux solaires dans l’unique but de climatiser les stades, selon l’étude de chercheurs britanniques. Une performance évidemment impossible.

En dehors des stades, l’hébergement du million de spectateurs attendus donnera lieu à un spectacle exubérant : la compagnie MSC prévoit ainsi d’affréter deux bateaux de croisière de 4000 cabines afin d’y loger les supporters. Des bateaux extrêmement polluants et qui causent 60 000 décès prématurés par an en Europe de par la pollution qu’ils émettent. Pour les autres supporters, des villages et hôtels géants doivent encore être construits dans le désert.

Si de nombreux dégâts environnementaux sont à craindre, les victimes de la Coupe du Monde au Qatar sont d’ores déjà bien nombreuses. 2700 ouvriers ont trouvé la mort sur les chantiers des stades, selon les dernières informations du quotidien britannique The Guardian. A ce rythme, le chiffre pourrait dépasser 4000 d’ici à 2022. Selon un reportage du Monde, les ouvriers des chantiers travaillent onze heures par jour, six jours par semaine, sous des températures qui atteignent parfois les cinquante degrés. Il s’agit d’une des conséquences dramatiques de l’absence totale de droit du travail dans le pays. De nombreux travailleurs migrants y sont réduits en esclavage, la création de syndicats y est interdite. La situation de ces travailleurs a été mise en lumière en Europe par la campagne « Carton rouge pour la FIFA (ndlr :Fédération internationale de football association, qui gère le développement du football à échelle mondiale) », campagne dans laquelle l’ancienne candidate aux élections européennes de La France insoumise Marina Mesure était partie prenante.

Des annonces ont été obtenues sous la pression des ONG et syndicats. Une réforme du code du travail est prévue, le gouvernement a évoqué la possibilité d’un salaire minimum de 750 riyals (185 euros) mensuels. En 2018, l’obligation pour les travailleurs migrants d’obtenir l’autorisation de leurs patrons pour quitter le pays avait été supprimée pour la majorité des travailleurs.

Des avancées bien maigres, mais qui suffisent à trois responsables de La République en Marche - Bertrand Sorre (député), Julien Borowczyk (député) et Grégory Galbadon (ex-député) pour publier une tribune de propagande pro-Qatar dans Le Point le 8 octobre dernier, sobrement intitulée « Les Mondiaux d’athlétisme, fin septembre à Doha, sont loin d’avoir été un fiasco. Cessons les débats stériles et laissons une chance au Qatar ». Une tribune publiée en réponse à l’appel au boycott de la Coupe du Monde par l’équipe de France lancée par Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse et Régis Juanico, député Génération-s. « Loin d’avoir été un fiasco » selon ces députés LREM, ces mondiaux avaient cependant été marqués par des tribunes vides et de multiples abandons d’athlètes dus aux températures infernales.

Ce soutien de la part de membres du parti au pouvoir à l’égard du Qatar n’est guère étonnant quand on sait la mansuétude avec laquelle les élites qataries sont traitées par le pouvoir français. En effet, la convention fiscale entre la France et l’émirat est extrêmement avantageuse pour ses riches depuis 2008. Comme le dénonçait en 2017 Jean-Luc Mélenchon dans une question écrite au gouvernement, « le Qatar et ses entités sont exonérés en France de plus-values immobilières, d’ISF pendant 5 ans sur les biens situés hors du territoire français, d’impôt sur les dividendes, d’impôt sur les redevances et d’impôt sur les revenus des créances ». Un coût de plusieurs centaines de millions d’euros pour les finances publiques.

Il n’est pas impossible qu’une partie de ces fonds aient finalement servis à corrompre les instances de la FIFA. En effet, des virements particulièrement étonnants ont été mis en lumière en 2017 par le rapport Garcia, du nom de l’ex-procureur américain Michael Garcia, qui a étudié les douteuses conditions d’attributions des mondiaux 2018 et 2022. On y lit que deux millions de dollars ont été versés sur le compte bancaire de la fille d’un membre de la direction de la FIFA, chargé de l’attribution des mondiaux, au moment même de cette attribution. Le rapport raconte également qu’un ancien membre de la direction de la FIFA a remercié par mail la fédération qatarie de football pour un virement de plusieurs centaines de milliers d’euros. Sans honte, le président de la FIFA de l’époque, Sepp Blatter, avait alors qualifié de « racistes » les accusations à l’égard du Qatar.

En France, un juge d’instruction a été nommé le mois dernier pour enquêter sur des faits de corruption active et passive, de recel et de blanchiment. Michel Platini, ancienne gloire du football français et vice-président de la Fifa à l’époque du vote pour le Qatar avait déjà été placé en garde à vue et entendu il y a plus de six mois, de même que Sophie Dion, ancienne conseillère sport de Nicolas Sarkozy, alors président de la République en exercice.

Car cette corruption aurait touché le cœur même de l’État français : Nicolas Sarkozy aurait négocié le ralliement de la France lors d’une réunion à l’Élysée le 23 novembre 2010, quelques jours avant le vote, en échange du rachat du Paris Saint-Germain et de la création du bouquet télévisuel BeIn Sports, selon des informations de France Football. Autour de la table, Tamim ben Hamad al-Thani, prince héritier du Qatar, désormais émir et Michel Platini, qui avait par la suite voté pour le Qatar au nom de la France. Ce dernier a ensuite démenti toute pression, justifiant son choix ainsi : « le Golfe est un bel endroit pour faire la Coupe du monde et cela favorisait le développement du football ».

Cette Coupe du Monde se présente donc sous de mauvais augures, loin du football populaire et amateur qui réunit en France plus de deux millions de passionnés chaque week-end.

Côme Delanery


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