Pourquoi Macron a-t-il tenté de récupérer la défaite des Bleus ?

lundi 26 décembre 2022.
 

Après la défaite des Bleus face à l’Argentine, le président de la République a fait irruption sur la pelouse pour réconforter un Kylian Mbappé inconsolable. Une récupération politique jugée indécente sur les réseaux sociaux. Le sociologue Manuel Schotté, auteur de « La Valeur du footballeur », explique les raisons et les ressorts de cette prévenance élyséenne envers le football.

Au terme d’une finale au scénario invraisemblable, Kylian Mbappé s’isole de ses coéquipiers pour endurer un chagrin solitaire. Sonné par une défaite que ses trois buts auront tenté jusqu’au bout d’empêcher, l’attaquant français s’effondre au sol. La tête entre les genoux, il n’a à peine le temps de verser une larme que quelqu’un vient déjà le réconforter.

Son père, Wilfrid Mbappé, toujours présent en tribunes pour supporter son fils ? Non. Un adversaire compatissant ? Pas vraiment du genre des joueurs argentins. Son entraîneur, Didier Deschamps ? Aucun de ceux-là. C’est Emmanuel Macron, accourant de la tribune présidentielle, qui a fait intrusion sur la pelouse pour se jeter dans les bras de Kylian Mbappé.

L’attitude du président de la République a été largement dénoncée, sur les réseaux sociaux notamment. Nombre d’internautes ont vu dans la prévenance élyséenne une indécente récupération politique. Mbappé n’a en tout cas pas semblé réceptif aux petits soins du président. En zone presse, Emmanuel Macron a ensuite salué la prestation « extraordinaire » du prodige de Bondy. « Il n’a que 24 ans et je le dis franchement, je ne suis pas le mieux placé pour essayer de raisonner ce soir les gens parce que j’étais au moins aussi triste que lui », a-t-il ajouté.

Mediapart : Comment interprétez-vous les gestes de réconfort qu’Emmanuel Macron a adressés hier aux joueurs de l’équipe de France devant les caméras du monde entier ?

Manuel Schotté : Difficile de trancher entre récupération politique et marque sincère de sympathie. Ce qui est certain en revanche, c’est que le président a une appétence personnelle pour le football qu’il met en scène depuis son élection en 2017, où il s’affichait déjà avec un maillot de l’Olympique de Marseille, son club favori. C’est une manière pour lui de casser son image parisienne de technocrate. Afficher sa passion, son soutien à l’équipe de France, c’est une manière de dire « je suis comme vous, j’ai les mêmes émotions que vous » et de montrer du même coup qu’il n’est pas déconnecté de ce qui fait vibrer les Français.

Quels bénéfices politiques Emmanuel Macron comptait-il ou compte-t-il encore tirer de l’épopée des Bleus en Coupe du monde ?

Aujourd’hui, c’est tellement commun de voir le président assister à un grand évènement sportif qu’on pourrait presque lui reprocher de ne pas le faire. Et il le fait d’autant plus facilement qu’il n’y prend aucun risque. Le football est un objet consensuel en France. Même cette Coupe du monde qui était très controversée au départ n’a plus reçu beaucoup de critiques une fois lancée. Les réactions oscillent finalement entre soutien à l’équipe de France et indifférence.

Le ballon rond est, depuis les années 1970-1980, le sport numéro un en France, ce qui explique qu’il soit aussi consensuel. Mais pas seulement. Quand on regarde la structure des pratiquants et des amateurs de foot, on s’aperçoit que ce sport touche une large fraction du monde social, là où des sports sont cantonnés aux élites ou aux classes populaires. Le football touche tout le monde, et c’est pourquoi il est aussi profitable pour le président d’investir ce terrain-là.

Il y a peu de spectacles capables de rassembler autant de monde devant une télévision – 24 millions de téléspectateurs devant TF1 hier, un « record d’audience absolu ». Et au-delà de la politique nationale, il y a aussi un enjeu sur le plan international. Pour les spectateurs du monde entier, qui ont assisté à la finale, Kylian Mbappé est probablement plus connu qu’Emmanuel Macron. S’afficher aux côtés du numéro 10 français devient une manière pour le locataire de l’Élysée d’exister sur la scène internationale.

Et puis, il a annoncé dans la foulée de la défaite son intention de recevoir les joueurs en janvier. Difficile de ne pas faire le lien avec la réforme des retraites, qu’il a aussi décalée au 10 janvier…

Emmanuel Macron a-t-il réussi son coup ?

Il a certes réussi à attirer la lumière sur lui, mais il lui a sûrement échappé que le football est une arme symbolique qu’il faut savoir manier avec précaution. L’instrumentalisation est ici tellement visible qu’elle annule les bienfaits d’une stratégie qui ne peut être rentable que si elle est jugée sincère. Chirac avait de ce point de vue beaucoup mieux mis en scène sa proximité avec les joueurs français. Il n’avait pas commis l’erreur de s’approprier un moment – la déception suivant le coup de sifflet final – qui ne peut appartenir qu’aux joueurs.

Hier, le geste de Macron était tellement outrancier que n’apparaissaient plus que le calcul et la récupération politique. Et comme Mbappé n’esquisse pas le moindre sourire, la stratégie de réconfort échoue complètement.

Comment Macron s’est-il progressivement investi dans cette compétition à mesure que la France progressait dans la compétition pour tenter de le récupérer ?

Le président s’est rendu au Qatar à partir des demi-finales, lorsque les enjeux sportifs prennent le dessus sur le reste. Ne pas y aller avant, au moment où les critiques sur les droits humains étaient encore prégnantes, est une manière d’esquiver ces polémiques et de ne pas avoir à prendre position. Le président a fait deux fois l’aller-retour en moins d’une semaine. À l’échelle d’un agenda présidentiel, c’est dire l’importance que Macron accorde à cet évènement sportif.

Des représentants de l’État avaient fait le déplacement avant Macron : Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, lors de la cérémonie d’ouverture, et la ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra, pendant le quart de finale face à l’Angleterre, qui avait montré un soutien très discret aux personnes LGBTQI+ en arborant un pull avec des manches arc-en-ciel. Et Macron est entré en scène après.

On remarque également que la première ministre n’est venue assister à aucun match, ce qui indique que le président a voulu attirer toute la lumière sur lui.

Emmanuel Macron n’est d’ailleurs pas le seul président à faire du foot un objet de récupération politique. Avant lui, Jacques Chirac avait gagné près de 15 points de popularité après la victoire de l’Équipe de France au Mondial 1998. Mais ce regain de sympathie des Français n’avait pas survécu à la fin de l’été. Il existe donc un fort investissement symbolique des présidents dans les succès footballistiques français, mais la portée en reste assez limitée.

De la part d’un président qui déclarait « il ne faut pas politiser le sport », n’est-ce pas surprenant de le voir tenter de tirer parti d’une défaite ?

Effectivement, il a fait hier l’usage politique le plus éhonté de cet évènement en se mettant en scène aux côtés des joueurs. Et son attitude peut paraître contradictoire avec son refus de politiser le sport. En réalité, du point de vue des acteurs politiques, ne pas politiser le sport signifie ne pas en faire un objet militant de lutte partisane. Pour eux, le football doit rester quelque chose de consensuel et de rassembleur.

Cette dépolitisation du sport est même la condition de sa rentabilité politique. Macron ne peut profiter de la visibilité de certains joueurs qu’à condition où le match ne porte que des enjeux sportifs. Et hier, face à la défaite, ne pouvant exulter, le président a essayé de jouer le réconfort.

Pourquoi les footballeurs sont-ils autant prisés des hommes et des femmes politiques ?

Une stratégie de légitimation croisée est ici à l’œuvre : c’est parce que le football est important, que c’est rentable symboliquement pour une personnalité politique d’afficher sa proximité avec des joueurs. Et inversement, la présence de chefs d’État lors de ces évènements contribue à les rendre importants.

En revanche, il y a quelque chose d’assez inédit dans le fait que Macron concentre ses efforts sur un joueur, Kylian Mbappé, plutôt que sur l’équipe. C’est effectivement le plus connu, mais il y a probablement autre chose.

Le joueur du Paris Saint-Germain revendique son origine modeste et son enfance dans un quartier populaire de Bondy. Et à travers Mbappé, Macron essaye d’afficher sa proximité avec une certaine jeunesse, populaire et qui réussit. Pour un homme politique qui défend les vertus de la méritocratie, l’attaquant parisien est la parfaite illustration d’un système qui mène tout en haut de l’échelle sociale un jeune issu d’un milieu populaire. Le parcours de Mbappé est assez « Macron-compatible » de ce point de vue là.

Yunnes Abzouz


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