A) Souvenirs d’enfance
J’ai connu dans mon enfance des militants de trois générations successives qui considéraient avoir été défaits dans leur engagement pour une république sociale, pour le socialisme, pour une société plus juste, plus douce, plus pacifique, plus démocratique :
des républicains d’avant-garde et socialistes des années 1880 à 1914
des communistes et socialistes d’avant-garde de la génération 1917 à 1939
des Résistants antifascistes et de la Libération
Leur histoire relevait de l’épopée. Ils avaient sans cesse fait preuve de disponibilité, d’humanité, de courage, d’universalisme. Plus ils avaient été convaincus, plus ils vivaient mal le fait d’avoir été vaincus, d’où nervosité, désespoir, alcoolisme plus ou moins important... Seuls survivaient politiquement, ceux qui s’étaient donné les moyens d’une formation, d’une information, d’une réflexion. Je leur dois beaucoup.
J’ai longtemps cru que nous pourrions réussir là où ils n’avaient pas abouti ; je constate, pour l’instant, que notre bilan est plus négatif que le leur du point de vue politique organisationnel, du point de vue syndical, du point de vue de notre rapport de force idéologique et médiatique...
Je suis membre du Parti de gauche pour essayer de dégager un débouché politique concret. Cela n’empêche pas d’essayer aussi de clarifier les questions théoriques les plus importantes dont celle que j’essaie de traiter ce matin, la force du capitalisme.
B) Comprendre les Etats Unis : un problème central
Pour m’en tenir à la période depuis 1945, quiconque ne part pas d’une analyse des Etats-Unis, du type de capitalisme financier et impérialiste qu’ils développent, ne peut que passer à côté de la réalité.
Globalement, la politique des USA n’a pas changé : une guerre permanente pour promouvoir leur système économique et politique fondé sur la suprématie des grandes entreprises et sociétés financières. Comme l’expliquait William Blum (American University, Washington) :
« Depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les États-Unis ont :
Tenté de renverser plus de 50 gouvernements étrangers, dont la plupart avaient été élus démocratiquement.
Largué des bombes sur les populations de plus de 30 pays.
Tenté d’assassiner plus de 50 dirigeants étrangers.
Tenté de supprimer un mouvement populiste ou nationaliste dans 20 pays.
Grossièrement interféré dans des élections démocratiques dans au moins 30 pays.
Mené le monde par la torture ; non seulement par la torture appliquée directement par des Américains sur des étrangers, mais aussi par la fourniture de matériel de torture, de manuels de torture, de listes de personnes à torturer, et de conseils personnalisés par des formateurs américains, en particulier en Amérique latine. »
C) Les années 1950 à 1963 dans le monde
Dans les années 1950 à 1963, les Etats du monde se partagent entre trois grands pôles :
le prétendu monde "communiste" dont fait partie un quart de l’humanité
le prétendu "monde libre" derrière son chef de file, les Etats-Unis, représentant aussi un quart de l’humanité, mais disposant d’une puissance économique supérieure
les pays dits "non-alignés" (un peu moins de la moitié des humains mais extrêmement divers) : Indonésie, Inde, Iran, Irak, Egypte, Ethiopie, Yougoslavie, Ghana, Afghanistan, Ceylan, Japon, Jordanie, Laos, Nord-Vietnam, Népal, Pakistan, Philippines, Syrie, Liban, Libéria, Lybie, Soudan, Yémen...)
18 au 24 avril 1955 Conférence de Bandung
Le puissant processus de décolonisation pèse lourdement sur le rapport de forces international.
Le mouvement pacifiste, particulièrement contre l’armement nucléaire, progresse.
Le mouvement contestataire jeune commence à se développer.
D) La politique des USA durant les années 1950 à 1963
Au niveau international, le constat avancé plus haut (B) correspond à la réalité durant cette période avec par exemple :
9 avril 1948 L’assassinat de Gaitan déstabilise la Colombie pour plus de 60 ans
19 août 1953 : Quand la CIA réussissait un coup d’état en Iran
Ceci dit, personne ne doit sous-estimer l’importance des médias "pro-occidentaux" qui transforment les pires avanies états-uniennes en défense naturelle du "monde libre". Ainsi, l’interdiction d’élections au Vietnam de 1954 à 1964, contrairement aux accords de Genève parce que Washington était persuadé d’une victoire d’Ho Chi Minh et voulait garder la haute main de ses multinationales sur les ressources naturelles du pays (caoutchouc...) n’a guère eu d’écho public alors que c’était énorme et considérablement meurtrier pour les populations indochinoises.
Ceci dit également, les USA sont capables de finesse tactique si nécessaire. Ainsi, dans les années 1945 à 1963, plus un pays présentait d’importance stratégique pour eux face au "monde communiste", plus il bénéficiait d’aides, de compréhension politique et de moindre agressivité économique. Tel est le cas en particulier de la RFA (république fédérale allemande) et du Japon qui ont pu reconstituer rapidement leur potentiel économique. Tel est le cas aussi des pays du Nord de l’Europe (Suède, Finlande, Norvège, Danemark) où toute politique "social-démocrate", d’intégration du mouvement ouvrier était rendue possible par ces marges de manoeuvre. La France, l’Italie, les Pays Bas, la Belgique ont également bénéficié de ce contexte. Quant à la Grande Bretagne, elle jouissait, comme d’habitude, d’un statut de parent anglo-saxon dont les intérêts de la City ne diffèrent guère de Wall Street.
E) La politique des USA de 1963 à 1975
Pour les manuels scolaires, les USA ont développé durant cette période une orientation de "coexistence pacifique" ; pour endormir l’URSS, c’est vrai ; pour le reste, c’est faux.
Washington a bien pris conscience des nouvelles caractéristiques révolutionnaires, de la volonté de Moscou de ne pas s’appuyer dessus mais d’un risque de débouché socialisant à partir des mouvements de masse comme cela s’était produit à Cuba.
Aussi, la stratégie guerrière des USA contre tout risque de processus démocratique et social s’est sans cesse déployée sur tous les continents :
en Amérique du Sud par de nombreux coups d’état militaire, le plus connu étant celui contre les Chili de l’Unité populaire
Les USA voulaient empêcher Allende élu d’entrer en fonctions comme président du Chili (1970)
11 septembre 1973 au Chili : Chronique d’une tragédie organisée au Pentagone
en Amérique centrale avec par exemple le terrible génocide des Indiens au Guatemala
Guatémala : Généraux assassins !!! USA et patronat complices !!!
en Asie avec le génocide de la gauche indonésienne en 1965, avec une infâme répression du peuple vietnamien, avec le soutien à plusieurs juntes militaires :
Indonésie : colonisation, Soekarno, génocide de 1965
La barbarie américaine au Vietnam de 1954 à 1974
en Europe où nous pouvons prendre l’exemple de l’Italie qui montre le rôle de direction internationale du capitalisme par Washington et jusqu’où ce "camp occidental" peut aller pour casser des mouvements démocratiques et progressistes (terrorisme pour mettre en cause l’extrême gauche ; torture ; préparation de coups d’état militaires pour le cas où une gauche progressiste viendrait au gouvernement)
Gladio : la guerre secrète des États-Unis pour subvertir la démocratie italienne
L’Etat italien a utilisé la torture contre la gauche anticapitaliste après 1968
F) De 1975 à 1990, le tournant provisoirement réussi du capitalisme mondial
Oui, les Etats Unis ont assumé une fonction de direction internationale du capitalisme et ont globalement bien assumé ce rôle pour sortir de la période révolutionnaire 1965 1975 et du premier choc pétrolier sans trop de mal. La décision la plus symbolique de cette capacité stratégique me paraît être la fin de la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971. Tout le système monétaire international depuis les Accords de Breton Woods (22 juillet 1944) ratifiés par 44 nations souveraines reposait sur cette convertibilité. Et hop ! suite à la réflexion d’un quelconque think thank payé par des multinationales, la Maison Blanche décide la fin de la convertibilité d’où la possibilité pour les USA de faire tourner sans limite la planche à billets. Reconnaissons-leur un talent évident pour le pilotage financier à court terme.
Bien des têtes d’oeuf se fatiguent à expliquer par des argumentations sans cesse améliorées que les USA ne font pas tourner la planche à billets. La réalité se passe pourtant de commentaires. Lors de la fin de la convertibilité en or (15 août 1971), le total des dollars en circulation dans le monde ne dépasse pas 53 milliards, en1980 il atteint déjà 1900 milliards, en 2000 près de 8000 milliards, en 2008 près de 12500 milliards ; en 2013, on apprend que "la masse monétaire US a triplé en 5 ans sans conséquence sur l’économie réelle".
Dans la foulée de cette contre-révolution monétaire, le capitalisme mondial réussit à s’imposer sur tous les plans :
en s’alliant aux pays fondamentalistes et courants islamistes, en particulier en Afghanistan, les USA et leurs alliés balaient la puissance soviétique qui s’effondre.
derrière Thatcher et Reagan se développe une contre-révolution économique et sociale balayant dans beaucoup de pays les compromis sociaux de la libération, cassant les bastions du mouvement ouvrier
une vaste offensive idéologique complète tout cela. Après les slogans chaleureux des années 68 comme Peace and Love, s’impose « There is no alternative » « Il n’y a pas d’alternative » au capitalisme ; donc que disparaissent les millions d’Afghans laïques et progressistes, que meure Bobby Sands, que souffrent les enfants cubains à cause du blocus économique, que soient dévastés d’innombrables territoires pour les besoins des multinationales ...
Afghanistan 1978 1992 Quand la gauche était au pouvoir
5 mai 1981 : Assassinat de Bobby Sands par Margaret Thatcher et les conservateurs britanniques
les moyens financiers de Washington lui permettent d’intervenir militairement sur tous les continents. Cette suprématie des armements, du renseignement, des forces spéciales ... US aimante les cadres de nombreuses armées du monde, souvent formés dans les écoles de la CIA. Ainsi, la réussite de coups d’Etat militaires et la mise en place d’Etats fascistes dans des pays comme la Bolivie, le Chili, le Brésil, l’Argentine, l’Indonésie, l’Uruguay... brise la gauche anti-capitaliste internationale, bouscule les perspectives réformistes nationales.
l’Union européenne se dote de traités qui ficellent complètement la défense du capitalisme sauvage sur le continent.
Ayant rédigé un rapport dans le cadre du groupe Aveyronnais "Pour la république sociale" en 2006, j’y renvoie le lecteur pour ne pas être trop long.
Libéralisme, nouvel âge du capitalisme = Victoire des milliardaires et des rentiers
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