Certaines journées marquent pour longtemps un pays ou même un continent. Pour la Colombie et l’Amérique latine, tel est le cas du 9 avril 1948 :
où Jorge Eliécer Gaitán est assassiné par la CIA ou ses alliés de l’oligarchie
où le peuple se soulève exaspéré par ce terrorisme alors que les candidats de Gaitan avaient remporté les dernières élections législatives.
ce bogotazo marquera toute la gauche latino-américaine, ne serait-ce que par la présence sur place du jeune Fidel Castro
Né en 1898, Gaitàn se différencie très tôt dans la vie politique colombienne marquée par le bipartisme entre une droite ("parti conservateur") et une gauche ("parti libéral", membre de l’Internationale socialiste). Ainsi, il termine ses études de droit en 1924 avec une thèse sur Les idées socialistes en Colombie.
Il choisit de devenir un des leaders de la gauche du Parti libéral. Cela lui donne effectivement un écho public important lors du massacre des bananeraies par l’armée au service de l’ignoble société américaine United Fruit.
L’United Fruit Company emploie vers 1925 1928, environ 25 000 travailleurs dans les bananeraies de la zone de Santa Marta, dont 5 000 directement et 20 000 par l’intermédiaire de sociétés sous-traitantes. Ces salariés sont payés par United Fruit et sont obligés de faire leurs achats dans les magasins d’United Fruit, ce qui les place en dépendance totale de la multinationale basée aux USA. Le 12 novembre 1928 une grève éclate pour une augmentation salariale, l’amélioration des conditions de travail, la reconnaissance des droits syndicaux, la fin de l’obligation d’acheter dans les commerces d’United Fruit. Dès le lendemain, 1500 militaires sous les ordres du général Carlos Cortés Vargas sont chargés de réprimer la grève et en particulier les milliers de salariés et leurs familles groupés devant la gare de Ciénaga. Dans la nuit du 5 au 6 décembre, il fit mitrailler la foule massée en cet endroit. Le nombre de morts atteint sans aucun doute le millier, trois mille d’après l’écrivain Gabriel García Márquez.
Jorge Eliécer Gaitán se fait mandater par son parti pour réaliser une enquête sur cette tuerie préméditée. Sa popularité devient telle qu’en 1931, il devient président de la Chambre des représentants de Colombie. L’article de Wikipedia résume ses idées en écrivant " Gaitán fut l’un des premiers en Colombie à parler de politique sociale, mélangeant des idées socialistes, anarchistes et parfois révolutionnaires (toujours dans un cadre légal)". Cette caractérisation paraît assez juste.
En 1933, il scissionne du parti libéral avec la gauche de celui-ci et crée l’Unión Izquierdista Revolucionaria (UNIR - Union de gauche révolutionnaire). En 1936, la possibilité de prendre la municipalité de Bogota le fait revenir au Parti libéral ; cela lui permet effectivement d’être élu maire, de réaliser des réformes sociales importantes et d’améliorer les services publics. Ministre de l’éducation en 1940, il prouve à nouveau sa capacité à améliorer le sort des couches populaires.
En 1947, il paraît aux portes du pouvoir vu sa victoire aux législatives et la popularité dont il jouit dans tout le pays.
C’est alors qu’il est assassiné le 9 avril 1948.
Le peuple ne se trompe pas sur les commanditaires de ce meurtre en désignant, prenant et saccageant le Capitolio où se tient la conférence de l’Organisation des États américains, organe yankee pour maîtriser le continent à son profit.
Les insurgés occupent ensuite une station de radio d’où ils appellent le président à démissionner. L’armée intervient pour les écraser ; cela ne fait que généraliser le mouvement dans les autres grandes villes de Colombie : Medellín, Ibague et Barranquilla.
Bogota prend l’aspect d’une ville en guerre mettant aux prises les milieux de gauche et milieux populaires contre les milices du parti conservateur et contre l’armée. Face à la répression militaire, l’exaspération des partisans de Gaitàn les pousse à incendier de nombreux bâtiments (136 précise l’enquête) dont le palais historique de San Carlos, le palais de justice et le Couvent dominicain.
Finalement l’armée impose son ordre. 3000 Colombiens ont payé de leur vie ce Bogotazo pourtant justifié face à une classe dominante n’hésitant jamais à tuer quand elle estime ses intérêts en jeu.
Depuis, les milieux conservateurs aisés de Colombie :
ont sans cesse développé un libéralisme particulièrement sauvage aux dépens des milieux populaires,
ont sans cesse couvert une guerre particulièrement sale (environ 120000 morts) contre les individus pouvant faire renaître un espoir parmi ses milieux populaires. Une telle guerre ne pouvait que placer l’armée et les paramilitaires d’extrême droite au coeur des institutions d’où un conflit militaire de 52 ans.
La guérilla des FARC (Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes) naît dans ce contexte.
Un article récent du Nouvel Observateur résume cela correctement « La Violencia commence par l’assassinat, le 9 avril 1948, du leader de gauche Jorge Eliécer Gaitan, alors extrêmement populaire chez les pauvres, notamment les paysans qui souffrent depuis les années 30 de la concentration des richesses et de la terre au profit de quelques grands propriétaires. Les FARC se veulent les héritiers de cette gauche égalitaire. Mais ce n’est qu’au moment de la prise de pouvoir de l’armée, acceptée par la droite et par la partie libérale de la gauche mais refusée par l’extrême-gauche, que des groupes armés, ancêtres des FARC, apparaissent. Des mouvements de gauche et d’extrême-gauche (y compris des communistes, dont le parti est alors interdit) s’organisent en effet pour prendre le contrôle de zones isolées »
(http://tempsreel.nouvelobs.com/mond...)
En 1984, les Farc :
participent à des négociations qui engagent un processus pré-électoral.
fondent un parti, l’Union Patriotique (UP), allié au Parti Communiste Colombien, pour se présenter
Malheureusement, de nombreux membres et sympathisants de l’Union Patriotique (dont des candidats à l’élection présidentielle) décèdent sous les balles des forces de l’ordre, des paramilitaires et narcotrafiquants. Les FARC reprennent la lutte armée, y ajoutant des assassinats ciblés répondant à ceux qu’ils subissent.
La droite colombienne au pouvoir veut en finir avec les FARC grâce aux forces paramilitaires d’extrême droite nommées AUC (Autodéfenses Unies de Colombie). Celles-ci choisissent une tactique particulièrement meurtrière : noyer dans le sang les populations des régions où la guérilla est forte.
Après les huit années (2002 à 2010) au pouvoir d’Alvaro Uribe , libéral pro-américain fascisant typique, des contacts entre les FARC et l’Etat ont été renouées par la Norvège et surtout Cuba.
Ce 24 août 2016, un accord de paix vient d’être signé entre la guerrilla des FARC et le gouvernement.
Il doit être ratifié d’une part au sein des FARC, d’autre part par référendum.
Jacques Serieys
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