Une 6ème République pour mettre en œuvre une démocratie continue.

samedi 28 septembre 2019.
 

La démocratie continue est un véritable défi démocratique.

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La remise en cause de la démocratie représentative dont nous avons analysé les causes dans l’article Sixième République pour l’intérêt général défini et contrôlé par les citoyens. ( 1 ) conduit à imaginer d’autres institutions permettant une démocratie mettant en action d’une manière quasi permanente les citoyens. : on avance alors les idées de démocratie participative, de démocratie délibérative, de démocratie continue.

L’exercice de la démocratie par les citoyens ne saurait se réduire au seul vote pour élire des représentants dans les assemblées locales et nationales ou élire un président de la république.

David Van Reybrouck se prononce même contre les élections si la démocratie ne se réduit qu’à cela. Il propose entre les élections une démocratie citoyenne dont il explique le fonctionnement. Cliquez ici pour voir la vidéo (2 ) Sur le site (anarchiste) Réfractions, Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, explique comment la démocratie continue se déployant dans un espace public, situé entre l’espace civil et l’espace politique, dont il définit le contour, constituerait une rupture radicale avec la conception traditionnelle de la démocratie représentative. Cliquez ici pour accéder à ce très intéressant article (3)

J’ai pris ces deux exemples qui sont assez représentatifs de cette remise en cause de la démocratie élective traditionnelle et qui proposent d’autres alternatives.

Mais une question n’est pas suffisamment abordée : proclamer de nouveaux principes et de nouvelles pratiques démocratiques, c’est bien, mais comment matériellement les citoyens peuvent-ils les mettre en œuvre ? Quels sont les obstacles matériels et culturels ?

La démocratie réelle est un véritable défi : c’est le défi démocratique. Et c’est précisément le titre d’un livre écrit en 1973 par Georges Marchais, secrétaire général du PCF de décembre 1972 à 1994 (4)

Georges Marchais avait déjà affirmé la nécessité d’une démocratie qu’il qualifie de permanente et qui ne saurait se résoudre au simple vote. Il était parfaitement conscient des difficultés matérielles qu’il fallait surmonter. Voici l’extrait

Source : Le défi démocratique de Georges Marchais. P. 122 à 124 (Éditions Grasset. 1973)

Le droit de vote ne suffit pas.

"Comme on le voit, nous réservons dans notre conception de la démocratie une place de premier plan au droit de vote, à l’élection d’assemblées démocratiques. Cela ne signifie nullement que nous limitions l’intervention du peuple dans les affaires publiques à l’acte électoral.

Notre conception de la démocratie est autrement riche. Par le suffrage universel, le peuple délègue à ses représentants élus aux différents niveaux les pouvoirs d’accomplir un certain nombre de tâches.

Nous entendons qu’il ait aussi le droit permanent d’intervenir dans tous les domaines de la vie politique, économique, sociale, culturelle du pays, de contrôler la manière dont ses élus accomplissent la tâche dont ils ont été chargés.

Et ce droit, il ne suffit pas de le proclamer ; il faut réaliser les conditions matérielles et politiques de son exercice. Cela suppose l’existence et l’activité des partis politiques, des organisations syndicales représentatives de la classe ouvrière, des cadres et techniciens, de la paysannerie laborieuse, des couches moyennes, des associations culturelles ou sociales les plus diverses.

Cela suppose le respect en toutes circonstances du droit d’avancer son opinion et de la manifester par tous les moyens pacifiques, ce qui exclut tout procès d’opinion. Cela suppose encore un droit à l’information impartiale et complète, étendue à tous les domaines, y compris la politique gouvernementale et l’économie nationale, du sommet à 1a base, ce qui exige notamment la démocratisation de l’O.R.T.F.

Cela implique enfin que l’on commence vraiment à changer la vie de la masse des citoyens. Je veux m’arrêter sur ce point, car il conditionne en fin de compte l’exercice de la démocratie par les masses et avec elles.

Donner à chacun les moyens d’être un cîtoyen.

Il ne suffirait pas, en effet, de proclamer les principes généraux de la démocratisation de la vie politique et économique du pays à tous les niveaux, ni même de légiférer en la matière, si en môme temps n’étaient pas prises les mesures pratiques pour assurer aux travailleurs et à leurs familles les moyens matériels et le temps nécessaire pour leur permettre de participer effectivement à l’étude et au débat des problèmes de la cité.

Aujourd’hui, après une longue journée d’un travail harassant, après la fatigue et l’énervement de transports incommodes, avec les difficultés d’existence qui font de chaque problème familial un casse-tête, que reste-t-il de temps et de forces à des dizaines de millions de salariés pour « participer » ? Où peuvent- ils se réunir ? De quels moyens d’information dis posent-ils ? Quelle municipalité, quelle administration les iuvite à discuter de tel ou tel problème de la vie politique et économique ?

Seules les municipalités dirigées par les communistes, dans la mesure de leurs moyens, s’y emploient. Et seul notre parti, depuis maintenant trois ans, débat « en direct » avec la population de notre pays au cours de milliers et de milliers d’assemblées populaires, petites ou grandes, où s’instaure un dialogue approfondi, démocratique, sur toutes les questions qui préoccupent les gens de chez nous.

Mais, naturellement, nous nous heurtons à ces obstacles que je disais : la fatigue et la durée excessive du travail, les heures gaspillées par le transport, l’absence d’information. Et à tout cela s’ajoute l’effort permanent du grand capital pour endormir en l’homme le citoyen, pour le réduire au seul état de producteur-consommateur, pour le convaincre que les affaires publiques ne sont pas de sa compétence, mais du ressort des spécialistes de la politique et des bureaucrates du pouvoir.

Nous voulons, nous, que tous les hommes et les femmes de notre pays soient en mesure de tenir en permanence – et pas seulement lors des élections – leur rôle de citoyen.

Pour cela, il faut avant tout réduire la durée du travail (sans réduction des salaires), et, dans une première étape, l’amener à 40 heures par semaine ; améliorer à tous les égards les conditions d’existence quotidienne des travailleurs ; créer les conditions matérielles qui leur permettront d’avoir le temps et les moyens d’étudier individuellement ou collectivement les problèmes de la vie de l’entreprise, de la localité, du pays, de s’associer à tel ou tel aspect de leur gestion, de participer activement aux affaires publiques."

La position actuelle du PCF sur cette question va dans le même sens. Voici un extrait du texte du dernier congrès (36ème) du PCF.

"La démocratie comme mode de vie.

La démocratie doit être au coeur du vivre ensemble, par la reconnaissance d’une souveraineté populaire pleine et entière comme étant seule légitime. Aucun pouvoir, fut-il éclairé ou savant, ne saurait s’affranchir du peuple et gouverner sans lui.

Nous proposons de démocratiser tous les espaces de la société, en recherchant partout à pousser les feux de l’intervention citoyenne et de la co–élaboration.

Nous voulons une VIe République, où l’exercice de la démocratie ne consistera pas à abdiquer son pouvoir de citoyenne ou de citoyen. La nouvelle constitution devra être élaborée dans un vaste débat et soumise à un référendum. Dans toutes les institutions, et en premier lieu au niveau national, nous voulons rompre avec le présidentialisme, en finir avec le cumul des mandats en nombre et en durée, favoriser la délibération et l’exercice collectif des responsabilités, instaurer la proportionnelle comme mode de scrutin, faire de la parité une règle, ouvrir un droit d’initiative législative populaire et un droit de saisine des institutions.

Nousproposons également pour faire vivre la démocratie et lutter contre la professionnalisation de la politique, la création d’un statut de l’élu-e. […] Pour prendre le pouvoir, il faut comprendre le monde. Notre exigence de démocratie rend nécessaire l’accès de toutes et tous aux savoirs…" On peut lire la totalité du texte en cliquant ici.

Commentaires concernant le texte de Georges Marchais

Il est fait référence dans ce texte à l’ORTF, qui était l’Office de radio télévision française ayant pour charge de gérer les chaînes de télévisions et de radios publiques de 1964 à 1974.(5 )

Il est fait aussi référence à une semaine de travail de 40 heures : la loi de 40 heures a été votée en 1936, celle de 39 heures en 1982 et celle de 35 heures en 1998 .( 6 )

Concernant le problème de la disponibilité en temps libre.

Le temps moyen passé devant la télévision en France entre 2010 et 2014 est de l’ordre de 3 h40 . Mais ce chiffre varie selon les âges : entre deux heures et quatre heures par jour. On ne compte pas ici les autres activités de loisirs : sport, cinéma, Internet, etc. Voir INSEE (7 ) Ce chiffre à lui seul suffit à comprendre qu’il ne s’agit pas simplement d’un problème de temps mais surtout de motivation. Et comme le signale Georges Marchais, il est vrai que la fatigue de la journée de travail et de transport à laquelle s’ajoute la disponibilité à apporter aux enfants, sont probablement des facteurs plus déterminants.

Les considérations de Georges Marchais sont parfaitement judicieuses et on peut noter qu’il accorde une certaine importance à l’information et la formation de ses concitoyens.

Mais il fait preuve d’un certain optimisme en pensant qu’il suffit de donner les moyens matériels en espace et en temps aux travailleurs pour que ceux-ci délibèrent de la vie de la cité et de l’entreprise. Malheureusement, ce n’est pas si simple. Il existe aussi des résistances ou obstacles de nature idéologique et culturelle.

[Avant toute analyse, on peut déjà avancer ceci : on ne brise pas plusieurs siècles de servitude, d’aliénation idéologique et de passivité politique (même si ceux-ci sont ponctués de révoltes) rapidement ou facilement, comme en témoignent d’ailleurs tous les pays qui se sont munis récemment d’institutions démocratiques.]

Considérons par exemple la possibilité dans la Fonction publique de pouvoir organiser une réunion d’information à l’initiative d’une organisation syndicale représentative à raison de d’une heure par mois sur le temps de travail, et ce à destination de l’ensemble des travailleurs du service et des services connexes concernés, pas forcément syndiqués, en application de l’article 5 du décret du 28 mai 1982, (repris par la circulaire n° SE1 2014-2 du 3 juillet 2014 relative à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique de l’Etat) (8 )

Ce droit constitue une avancée positive mais les représentants syndicaux savent, outre les obstacles matériels d’organisation à surmonter, que les salariés ne sont pas forcément motivés pour participer à ce genre de réunion qui n’entre pas dans leur routine professionnelle.

Autre exemple : Les associations de parents d’élèves. Les enseignants et les parents constatent souvent une difficulté à recruter des représentants et à avoir une participation massive des parents à ce genre de réunion qui concerne pourtant directement la vie concrète de leurs enfants.

Autres considérations à prendre en compte.

Délibérer nécessite aussi une certaine maîtrise du langage oral et de la conduite des réunions. L’absence d’une telle maîtrise peut rebuter bon nombre de citoyens pour participer à des délibérations notamment chez les ouvriers et les employés dont la formation ou la profession ne développe pas ce genre de maîtrise. D’où la nécessité pour certaines personnes de suivre une formation dans le domaine de l’expression et de la prise de parole devant ou dans un groupe, type de problème bien concret qui n’a pas échappé à Georges Marchais, lui-même d’origine ouvrière.

Entre les années 1850 et 1920, on considérait que la représentation du peuple appartenait à ceux qui savaient lire et écrire puis, jusqu’à maintenant, on considère que la politique appartient à ceux qui savent parler. On se rend donc compte ici que l’obstacle est d’ordre psycho culturel et idéologique

Mais subsistent encore d’autres difficultés, de nature intersubjective et organisationnelle. Un collectif citoyen n’obéit pas à une logique de fonctionnement hiérarchique mais est plutôt à un type de fonctionnement autogestionnaire. Or, Marcel Mermoz a écrit un livre dont le titre est évocateur : "L’autogestion, c’est pas de la tarte !" Pour un petit inventaire des difficultés, on peut se reporter à un article du site libertaire.free intitulé : "L’autogestion ? Un art difficile !" ( 9 )

Mais à l’inverse, il ne faut pas pour autant sombrer dans un pessimisme démoralisateur, car la vie associative en France est tout de même très active. Il y a des facteurs psychologique, socioculturels qui motivent l’engagement citoyen.

En 2010, 45% des plus de 18 ans sont membres d’au moins une association, soit 23 millions de personnes, un nombre stable depuis 10 ans. La multi-adhésion en revanche est plus fréquente (23% des adhérents sont membres de deux associations, 17% de trois). Le secteur sportif est toujours celui qui attire le plus d’adhérents. Bénévoles En 2010, 32% des plus de 18 ans sont bénévoles, soit 16 millions. Le bénévolat est plus faible chez les jeunes et les personnes du quatrième âge, chez les femmes que chez les hommes, chez les moins diplômés. Le bénévolat croît de 4% pas an environ en terme de volume horaire consacré. ( 10 )

Mais encore faudrait-il préciser de quel type d’association on parle. Une étude de l’INSEE de 2008 indique que : 35% de la population adhèrent à une association. Si l’on considère les associations caritatives, de défense des droits, cela correspond à 6,6% et si on ajoute les syndicats et organisations professionnelles (11%), c’est donc environ18% de la population qui adhère à une association citoyenne. (Les associations sportives, de loisirs et de culture réunissent environ 24 %.) La consultation des tableaux de l’INSEE montre que la participation aux associations croît avec le niveau scolaire et de qualification professionnelle, varie avec l’âge et le type d’environnement rural ou urbain. ( 11 )

Il ne m’est pas nécessaire de développer ici les motivations de l’engagement citoyen, il suffit de se reporter à l’étude suivante : Le processus de l’engagement volontaire et citoyen :des valeurs, des individus et des associations de Anne-Marie Dieu ( 12)

Voici, par exemple, un extrait de cette étude : "Les différents types d’organisations attirent également différents types de publics. Ainsi, il a été constaté que les mouvements politiques, moins formalisés, plus localisés et moins hiérarchisés, attiraient plus de cadres et de professions intellectuelles supérieures que les partis politiques. Une des hypothèses explicatives seraient que les modes de recrutement y sont plus basés sur la cooptation qui favorise une homogénéité socioculturelle. Les modes de fonctionnement et d’action de ces mouvements exigeraient également un certain capital culturel.

Par contre, les mouvements politiques sont plus ouverts aux femmes que les partis politiques (les mouvements politiques comptent 41% de femmes alors que les partis politiques n’en comptent que 30%). Les organisations formalisées attirent les hommes de plus de 30 ans. La répartition entre les femmes et les hommes est par contre équilibrée dans les associations locales centrée sur des objectifs concrets d’utilité sociale.…"

Nous avons donc essayé dans cet article de cerner quelques difficultés de différentes natures pouvant faire obstacle à la démocratie dite continue. Ce sont évidemment les mêmes difficultés que rencontrent et rencontreront les acteurs du Mouvements pour la sixième république.( 13). Ce sont aussi les mêmes que rencontrent les militants du FdG lorsqu’ils essaient d’organiser des assemblées citoyennes.

L’utilisation des réseaux sociaux, de techniques de communication interactives par Internet, la création de plates-formes délibératives comme l’a proposé le groupe FdG de la région Île-de-France (14) peuvent être des moyens pour surmonter partiellement ces difficultés

Ceci étant, il faut néanmoins garder une certaine distance permettant de faire de la théorie de la démocratie délibérative un objet de réflexion en lui-même. Pour ce faire, on peut se référer à l’étude de Bernard Reber au Centre de Recherche Sens, Éthique, Société – CNRS-Université Paris Descartes, étude intitulée : "Vertus et limites de la démocratie délibérative. Voici un extrait :

"Les théories politiques de la démocratie délibérative et, plus largement, le rôle important dévolu à la délibération en politique, se sont imposés ces dernières années en philosophie politique contemporaine. Malgré les querelles interprétatives dont elle est l’objet, la théorie peut s’énoncer provisoirement ainsi : « La notion de démocratie délibérative a ses racines dans l’idéal intuitif d’une association démocratique dans laquelle la justification des termes et des conditions d’association procède par l’argumentation et le raisonnement publics entre citoyens égaux.

Dans un tel ordre politique, les citoyens partagent un engagement à résoudre les problèmes de choix collectif par le raisonnement public, et considèrent leurs institutions de base comme légitimes dans la mesure où elles fournissent le cadre d’une délibération publique et libre ». Cette théorie normative s’oppose aux conceptions de la démocratie qui voudraient mettre en avant le marchandage, l’agrégation des préférences ou une participation plus inclusive (démocratie participative).…"

Lire la suite en cliquant ici. ( 15 ). (16 ).

Quoiqu’il en soit, n’oublions pas notre droit de raisonner, cette lumière qui est en nous ! ( 17 )

Hervé Debonrivage


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