Institutions et les réalités socio-économiques sont interdépendantes.
Les arguments invoqués par Jean-Luc Mélenchon pour changer de constitution et proposer une sixième république sont souvent les suivants :
– le caractère monarchique et archaïque des institutions de la Ve République
– la déresponsabilisation politique et morale des élus pouvant conduire au non-respect des engagements tenus et à la corruption.
– La possibilité d’avoir recours à un référendum dérogatoire cernons tous les élus
– La nécessité d’introduire la règle verte dans la constitution
– faire inscrire dans la constitution des nouveaux droits des personnes
– « un mot d’ordre social », constitutionnalisant « la démocratie dans les entreprises »,
Un certain nombre de journalistes font remarquer, à juste titre, que bon nombre de français considérent comme prioritaires les problèmes d’emploi, de salaire, de logement, de santé, d’éducation et voient mal en quoi une sixième république, notion qui peut paraître abstraite, pourrait les résoudre. Et en effet, le lien pouvant exister entre la nature juridique des institutions et les conditions concrètes de vie des citoyens, n’est pas forcément évident à saisir.
Nous allons donc examiner un exemple concret d’une telle articulation entre cadre institutionnel et conditions de vie réelle des citoyens . Il s’agit des possibilités de licenciement des salariés et notamment de la question des licenciements dits boursiers.
Nous allons voir, à la lumière d’une décision du conseil constitutionnel, en quoi l’interdiction des licenciements boursiers est impossible dans le cadre de la Ve République et même dans le cadre de dispositions datant de la révolution française de 1789.
Venons au fait. Nous nous référons à la loi de modernisation sociale votée sous le gouvernement Jospin le 17 janvier 2002. Vous pouvez accéder à son contenu en cliquant ici :
Cette loi comporte plusieurs volets :
Le titre I traite de la santé, de la solidarité, de la sécurité sociale.Le titre II traite du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle. Le problème du licenciement est abordé dans ce titre II.
Le travail parlementaire concernant ce texte commence en mai 2000. Le Projet de loi de modernisation sociale, n° 2415 (rectifié) est déposé le 24 mai 2000 (urgence déclarée). Après multiples lectures et corrections des deux assemblées, le Projet de loi est adopté par l’Assemblée nationale en lecture définitive le 19 décembre 2001 (T.A. 753). On peut examiner le texte en cliquant ici
Mais l’article 107 concernant la définition des critères de licenciement est contestée par plusieurs dizaines de parlementaires de droite Ainsi a lieu une saisine, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, d’une part, et par plus de soixante députés, d’autre part, le 20 décembre 2001.
D’autres articles ont été contestés mais nous n’examinerons pas l’ensemble des décisions du conseil constitutionnel concernant ces protestations des parlementaires de droite. Nous centrons uniquement notre attention sur celui de l’article 107 concernant les licenciements boursiers.
Cet article 107, qui avait été introduit sous la pression du groupe communiste, modifiait l’article L. 321– 1 du code du travail. Voici le texte de cet article 107.
"L’article L. 321-1 du code du travail est ainsi rédigé : « Art. L. 321-1. - Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification du contrat de travail, consécutives soit à des difficultés économiques sérieuses n’ayant pu être surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l’entreprise, soit à des nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l’activité de l’entreprise. « Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des trois causes énoncées à l’alinéa précédent. »"
Or cet article a été déclaré non conforme à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, juste avant la publication finale du 17 janvier 2002 où ne figure donc plus cet article.
Les arguments invoqués par le conseil constitutionnel sont : une atteinte à la liberté d’entreprendre du fait du " cumul des contraintes" et que cette nouvelle disposition "…va permettre au juge de s’immiscer dans le contrôle des choix stratégiques de l’entreprise qui relèvent, en vertu de la liberté d’entreprendre, du pouvoir de gestion du seul chef d’entreprise ;…".
Le conseil constitutionnel va jusqu’à faire référence à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Remarquons aussi que la constitution de 1946, figurant en préambule de la constitution de 1958 est aussi invoquée.
La lecture du texte complet de cet arrêté est particulièrement instructive car elle montre en quoi les structures institutionnelles d’une république exercent une forte contrainte sur le droit social, notamment sur le droit des salariés.
Nous reproduisons en annexe l’analyse de l’article 107 par le conseil constitutionnel que l’on peut consulter en cliquant ici.. (Lire l’arrêté à partir du numéro 43 SUR LE GRIEF TIRÉ DE L’ATTEINTE PORTÉE A LA LIBERTÉ D’ENTREPRENDRE PAR L’ARTICLE 107 ET PAR LE CHAPITRE 1ER DU TITRE II - En ce qui concerne l’article 107
Mais l’on peut consulter aussi avec profit un commentaire détaillé de cet arrêté qui met bien en lumière le caractère libéral des institutions sur lesquelles repose notre république. Ainsi il est rappelé que la liberté d’entreprendre n’est autre chose que "l’ombre portée du droit de propriété", qui rappelons-le est considéré dans la déclaration de 1789 comme un droit naturel (Article2), inaliénable et sacré (Article 17),
Commentaire de la décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002
Il est donc facile de clamer lors des manifestations : "Halte aux licenciements boursiers ! " Mais il est beaucoup plus difficile de faire passer dans les faits cette légitime revendication car cela impose la mise en œuvre d’une VIème république susceptible de modifier certains principes issus de la révolution française, qui rappelons-le encore, était une révolution libérale. (Voir notre article sur le libéralisme http://www.gauchemip.org/spip.php?a... )
La conception de l’entreprise rappelé par le conseil constitutionnel pourrait être toute autre dans le cadre d’une sixième république où le pouvoir et le droit des travailleurs seraient affirmés avec plus de force.
L’exemple précédent montre que la question d’une sixième république n’est pas hors-sol mais peut avoir une incidence importante sur le droit du travail contenu dans le code du travail.
Rappelons que le droit de grève est un droit constitutionnel affirmé dans l’article 7 du préambule de la constitution de 1946, préambule rappelé en préambule dans la constitution de 1958.
On peut aussi se référer à un cas plus récent : celui de la loi Duflot sur le logement et l’encadrement des loyers . Le 24 février 2014 des sénateurs et députés UMP avaient saisi (toujours vigilants pour défendre les intérêts des chefs d’entreprise et des propriétaires) le Conseil constitutionnel pour contester plusieurs points-clés de ce texte adopté par le Parlement le 20 février. L’essentiel des mesures ont été avalisées par le conseil constitutionnel mais certaines ont été remaniées créant ainsi un certain mécontentement de l’association Droit au logement. Cliquez icipour en savoir plus
Dans le cadre d’une VIème république, moins favorable aux propriétaires, le texte aurait très bien pu ne pas être remanié.
On constate donc, à la lumière de ces exemples, que l’exigence d’une VIème République, plus démocratique et plus sociale que la Vème, pourrait avoir des effets très concrets sur la vie réelle des gens tels des questions vitales comme l’emploi et le logement.
Annexe 1 : décision du conseil constitutionnel
43. Considérant que l’article 107 de la loi déférée modifie l’article L 321-1 du code du travail en remplaçant la définition du licenciement économique issue de la loi no 89-549 du 2 août 1989 par une nouvelle définition ainsi rédigée : « Constitue unlicenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pourun ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification du contrat de travail, consécutives soit à des difficultés économiques sérieuses n’ayant pu être surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l’entreprise, soit à des nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l’activité de l’entreprise » ; qu’il résulte des termes mêmes de ces dispositions qu’elles s’appliquent non seulement dans l’hypothèse d’une suppression ou transformation d’emploi mais également en cas de refus par un salarié d’une modification de son contrat de travail ; qu’en vertu de l’article L 122-14-4 du même code, la méconnaissance de ces dispositions ouvre droit, en l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, à une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois ;
44. Considérant que les requérants soutiennent que cette nouvelle définition porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre ; qu’en limitant, par la suppression de l’adverbe « notamment », la liste des situations économiques permettant de licencier, « le législateur écarte des solutions imposées par le bon sens comme la cessation d’activité » ; que la notion de « difficultés sérieuses n’ayant pu être surmontées par tout autre moyen » va permettre au juge de s’immiscer dans le contrôle des choix stratégiques de l’entreprise qui relèvent, en vertu de la liberté d’entreprendre,du pouvoir de gestion du seul chef d’entreprise ; que les notions de « mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l’entreprise » ou de « nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l’activité de l’entreprise » constituent des « formules vagues » dont la méconnaissance sera néanmoins sanctionnée par les indemnités dues en l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ;
45. Considérant que le Préambule de la Constitution réaffirme les principes posés tant pas la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que par le Préambule de la Constitution de 1946 ; qu’au nombre de ceux-ci, il y a lieu de ranger la liberté d’entreprendre qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789 ainsi que les principes économiques et sociaux énumérés par le texte du Préambule de 1946, parmi lesquels figurent, selon son cinquième aliéna, le droit de chacun d’obtenir un emploi et, en vertu de son huitième alinéa, le droit pour tout travailleur de participer, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ;
46. Considérant qu’il incombe au législateur, dans le cadre de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, d’assurer la mise en oeuvre des principes économiques et sociaux du Préambule de la Constitution de 1946, tout en les conciliant avec les libertés constitutionnellement garanties ; que, pour poser des règles propres à assurer au mieux, conformément au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le droit pour chacun d’obtenir un emploi, il peut apporter à la liberté d’entreprendre des limitations liées à cette exigence constitutionnelle, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ;
47. Considérant, en premier lieu, que la nouvelle définition du licenciement économique résultant de l’article 107 de la loi déférée limite aux trois cas qu’elle énonce les possibilités de licenciement pour motif économique à l’exclusion de toute autre hypothèse comme, par exemple, la cessation d’activité de l’entreprise ;
48. Considérant, en deuxième lieu, qu’en ne permettant des licenciements économiques pour réorganisation de l’entreprise que si cette réorganisation est « indispensable à la sauvegarde de l’activité de l’entreprise » et non plus, comme c’est le cas sous l’empire de l’actuelle législation, si elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, cette définition interdit à l’entreprise d’anticiper des diffi cultés économiques à venir en prenant des mesures de nature à éviter des licenciements ultérieurs plus importants ;
49. Considérant, en troisième lieu, qu’en subordonnant les licenciements économiques à « des difficultés économiques sérieuses n’ayant pu être surmontées par tout autre moyen », la loi conduit le juge non seulement à contrôler, comme c’est le cas sous l’empire de l’actuelle législation, la cause économique des licenciements décidés par le chef d’entreprise à l’issue des procédures prévues par le livre IV et le livre III du code du travail, mais encore à substituer son appréciation à celle du chef d’entreprise quant aux choix entre les différentes solutions possibles ;
50. Considérant que le cumul des contraintes que cette définition fait ainsi peser sur la gestion de l’entreprise a pour effet de ne permettre à l’entreprise de licencier que si sa pérennité est en cause ; qu’en édictant ces dispositions, le législateur a porté à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l’objectif poursuivi du maintien de l’emploi ; que, dès lors, les dispositions de l’article 107 doivent être déclarées non conformes à la Constitution ;
–En ce qui concerne l’ensemble du chapitre 1er du titre II
51. Considérant que l’article 99 de la loi déférée modifie l’article L 321-3 du code du travail pour préciser que la procédure de consultation du comité d’entreprise prévuepar le chapitre premier du titre II du livre III ne peut être engagée qu’après l’achèvement de la procédure de consultation prévue par les premier et deuxième chapitres du titre III du livre IV du code du travail ; que l’article 101 remplace le deuxième alinéa de l’article L 432-1 du même code par six alinéas qui disposent que la consultation du comité d’entreprise au titre du livre IV comporte deux réunions et que le comité d’entreprise peut recourir à l’assistance d’un expert-comptable ; que l’article 106 insère dans le même code un article L 432-1-1 qui prévoit qu’en cas de projet de cessation totale ou partielle d’activité d’un établissement ou d’une entité économique autonome ayant pour conséquence la suppression d’au moins cent emplois, les parties peuvent faire appel, en cas de divergence importante, à un médiateur ; qu’enfin, l’article 116 modifie les deux derniers alinéas de l’article L 321-7 du même code pour prévoir qu’à l’issue de la procédure de consultation au titre du livre III, le plan de sauvegarde de l’emploi définitivement arrêté est transmis par l’employeur à l’autorité administrative compétente qui peut en constater la carence éventuelle ; que, dans cette hypothèse, l’employeur est tenu d’organiser une réunion supplémentaire du comité d’entreprise en vue d’un nouvel examen du plan de sauvegarde de l’emploi ;
52. Considérant que les requérants soutiennent que ces dispositions conduiraient à un allongement excessif des procédures de licenciement collectif pour motif économique, qui constituerait une atteinte manifeste à la liberté d’entreprendre ;
53. Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, il incombe au législateur, dans le cadre de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, d’assurer la mise en oeuvre des principes économiques et sociaux du Préambule de la Constitution de 1946, tout en les conciliant avec les libertés constitutionnellement garanties ; que, pour définir les conditions et garanties de mise en oeuvre du droit pour tout travailleur de participer, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises, il peut apporter à la liberté d’entreprendre des limitations liées à cette exigence constitutionnelle à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi
54. Considérant que le législateur a encadré de façon précise les différentes phases de la procédure de licenciement collectif pour motif économique dans laquelle on ne saurait inclure, comme le soutiennent les requérants, la durée du congé de reclassement prévu à l’article L 321-4-3 du code du travail dans sa rédaction résultant de l’article 119 de la loi déférée ; qu’ainsi, les deux réunions du comité d’entreprise prévues par l’article L 432-1 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l’article 101 de la loi déférée, sont séparées par un délai d’au moins quinze jours et d’au plus vingt et un jours lorsque le comité d’entreprise a désigné un expert-comptable ; que, de même, dans l’hypothèse résultant de l’article 106 de la loi déférée, le médiateur doit être saisi au plus tard dans les huit jours suivant l’issue de la procédure d’information et de consultation prévue au livre IV du code du travail ; que la durée de sa mission ne peut, à défaut d’accord entre les parties, excéder un mois ; que les parties disposent d’un délai de cinq jours pour lui faire connaître par écrit leur acceptation ou leur refus de sa recommandation ; qu’en vertu de l’article L 321-7, dans sa rédaction résultant de l’article 116 de la loi déférée, l’autorité administrative compétente dispose d’un délai de huit jours pour constater la carence éventuelle du plan de sauvegarde de l’emploi ; que, dans cette hypothèse, le comité d’entreprise disposed’un délai de deux jours ouvrables suivant la notification du constat de carence pour demander une réunion supplémentaire ; qu’en aménageant ainsi les délais des procédures de consultation du comité d’entreprise, le législateur n’a pas porté à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l’objectif poursuivi ;
Décide Article premier — l’article 107 est déclaré contraire à la Constitution Source Internet : http://www.conseil-constitutionnel....
Annexe 2 : deux textes cités en référence
Préambule de la constitution de 1946
Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
Hervé Debonrivage
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