25 octobre 1922 La prise de Vladivostok marque la fin de la Transbaïkalie blanche et de la guerre civile russe.

mardi 12 mars 2024.
 

" Ecrasant les armées blanches

Et chassant les Atamans

Ils finirent leur campagne

Sur les bords de l’Océan"

Des dizaines de millions de militants, de manifestants, ont repris en choeur ce Chant (Les Partisans) qui célèbre la prise de cette ville située sur la côte du Pacifique. Il est vrai que pour arriver jusqu’à Vladivostok, les soldats de l’armée rouge avaient dû chasser les armées blanches.

Il est vrai que pour arriver jusqu’à Vladivostok, les soldats de l’armée rouge avaient dû chasser les Atamans, c’est à dire les chefs politiques et militaires de bandes de cavaliers, souvent sans foi ni loi qui combattaient aux côtés des armées blanches.

LE CHANT DES PARTISANS (paroles et interprétation par Catherine Ribeiro)

A) L’extrême-Orient sibérien au coeur des convoitises des grandes puissances

En 1917 1918, celles et ceux qui viennent de réussir la Révolution d’Octobre se voient attaqués de l’Ouest, du Sud, du Nord et de l’Est par des interventions étrangères et des armées blanches qui occupent au moins les trois quarts du pays.

Tel est le cas par exemple d’Alexandre Krasnoshchyokov, chargé par le gouvernement soviétique de constituer une République d’Extrême-Orient avec Verkhne-Udinsk comme capitale et qui se retrouve confronté d’une part aux ambitions de tous les grands pays capitalistes, d’autre part aux cavaliers sibériens de Semyonov.

Une ville attire alors tous les regards : Vladivostok, son port sur l’Océan pacifique et sa gare, point terminal du transsibérien. Située à environ 9300 kilomètres de Moscou par le chemin de fer, elle se situe près de Tokyo et de Pékin où se retrouvent dès l’automne 1917 des dignitaires de l’ancien régime. Elle devient rapidement un point d’appui décisif pour les forces antibolcheviques.

Le 8 mars 1918, se constitue à Pékin, un gouvernement russe de l’Extrême-Orient, avec (d’après Jean-Jacques Marie) pour président le Prince Lvov, ancien président du gouvernement provisoire russe ( 23 mars au 7 juillet 1917), libéral et franc-maçon.

Début avril 1918, des forces armées japonaises importantes débarquent sur les côtes sibériennes. Le 6 avril elles occupent Vladivostok.

De mai à août 1918, arrivent à Vladivostok un grand nombre de soldats : 7500 japonais, 5000 américains, 800 canadiens, 829 anglais, 10076 français, 1400 italiens.

Que viennent faire tous ces militaires à Vladivostok ?

* au moment où en Picardie et Champagne, le front des Français, Anglais, Canadiens, Américains... menace d’être emporté par les attaques allemandes (chemin des Dames Craonne le 27 mai 1918, seconde bataille de la Marne du 15 au 20 juillet 1918...)

* au moment où en Italie le front menace aussi d’être emporté par l’offensive des armées austro-hongroises

Je crois que deux réponses peuvent être apportées.

Premièrement, des Etats comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et même la France considèrent la Russie soviétique comme leur adversaire principal.

Deuxièmement, l’objectif de battre les armées rouges et de dépeçer la Russie au profit des grandes entreprises capitalistes fait baver d’envie les patronats du monde entier. Même une revue comme L’illustration en fait état.

B) L’intervention militaire japonaise à Vladivostok et en Sibérie

En juillet 1918, le Président américain Thomas Woodrow Wilson demande au gouvernement japonais de fournir des troupes plus nombreuses pour contribuer à une coalition internationale soutenant la force expéditionnaire américaine de Sibérie.

Sous le commandement du général Yui Mitsue, cette intervention japonaise va s’avérer rapide et très forte. Il faut dire que le gouvernement japonais d’une part est violemment anticommuniste, d’autre part vise l’extension en Sibérie du territoire national japonais ou au moins la création d’un Etat fantoche sous leur domination.

Durant l’été 1918 la 5ème division japonaise, le détachement mandchou Japonais et les bandes de Grigory Semyonov prennent le contrôle de laTransbaikalie. Dès novembre 1918, plus de 70.000 soldats japonais occupent tous les ports et villes principales des provinces maritimes et orientales de Sibérie.

Les troupes japonaises vont perdre 5000 morts durant la Guerre civile en Sibérie orientale et dépenser prés d’un million de yens, somme considérable à l’époque.

C) L’intervention américaine à Vladivostok dans la Guerre civile russe

Pourquoi les Etats-Unis interviennent-ils militairement en force en Sibérie à partir de Vladivostok ?

voir les pages web des archives américaines sur le sujet :

http://www.archives.gov/publication...

* officiellement pour "promouvoir la démocratie" (the promotion of democracy) et pour tendre la main aux hommes de la Légion tchèque

25 et 26 mai 1918, la Légion tchèque se soulève et sépare la Sibérie du pouvoir bolchevik

* pour éviter que les grandes quantités d’approvisionnement et de matériels envoyés par les Etats Unis à la Russie (pour environ un billion de dollars) dans le cadre de la Première guerre mondiale ne tombent aux mains des communistes

* pour prendre une option sur les ressources naturelles importantes de la Sibérie orientale

* pour aider les Russes blancs à organiser leur nouveau gouvernement dirigé par l’amiral Koltchak ( To help the Russians organize their new government).

Les premières troupes américaines, très bien armées, débarquent à Vladivostok entre le 15 et le 25 août 1918. Sous les ordres du général Tombes, l’effectif de la Force expéditionnaire américaine va s’élever à 7950 hommes : 27ème et 31ème régiments d’infanterie, volontaires des 12ème, 13ème, 72ème régiments d’infanterie. Ils prennent sous leur responsabilité immédiate le chemin de fer de Vladivostok à Ussuriysk (centre industriel et agro-alimentaire important).

D) La Transbaïkalie blanche de Semyonov

Officier de l’armée tsariste, Grigory Mikhaylovich Semyonov est nommé en juillet 1917 Commissaire du Gouvernement provisoire dans la région du Baikal. En octobre, il prend la tête d’un soulèvement antibolchevique. De décembre 1917 à novembre 1920, il porte le titre de lieutenant général et ataman de Cosaques du Baikal.

Battu par une troupe sibérienne favorable à la révolution, il s’enfuit en Mandchourie puis revient après le soulèvement réussi de la Légion tchèque.

Désigné commandant du Gouvernement provisoire sibérien siégeant à Tchita, il se taille un pays vaste, lié aux Japonais qui le soutiennent et l’utilisent. Sa Transbaïkalie va s’étendre en gros du lac Baikal à l’Ouest, à Stretensk, le Fleuve Shilka, le fleuve Amour au Sud, le Pacifique à l’Est.

Le régime politique de Semenov peut être caractérisé comme à mi-chemin entre un fascisme militaire et une colonie (japonaise).

Ses soldats pillent, volent et violent en permanence, tout droit et toute institution judiciaire ayant disparu dans la Transbaïkalie blanche. Son antisémitisme mériterait une étude.

Battu par les troupes de la 5ème armée rouge, il passera au Japon puis aux Etats-Unis, enfin en Chine avec l’Armée japonaise où il reprendra ses méfaits.

E) Vladivostok, toujours au coeur des tractations antibolcheviques entre les grandes puissances capitalistes

C’est à Vladivostok que le ministère de la guerre britannique débarque l’amiral Koltchak pour constituer une armée blanche qui comprendra jusqu’à 400 000 hommes.

Nous venons d’écrire quelques lignes sur les corps expéditionnaires américains et japonais.

La Force expéditionnaire sibérienne canadienne arrive à Vladivostok dès août 1918 et se compose rapidement de 4.192 soldats. Cette intervention canadienne s’explique surtout par le fait que le gouvernement, sachant pertinemment la détermination des pays "Alliés" et les énormes forces militaires prévues pour reprendre Moscou, croit la révolution russe condamnée. En conséquence, le Canada doit bien se placer et préparer immédiatement ses intérêts économiques futurs. Ainsi, le gouvernement canadien crée une Commission économique sibérienne canadienne. Ainsi, la Banque royale du Canada transporte par bateau de Vancouver à Vladivostok « un édifice bancaire préfabriqué de 57 tonnes".

Les 1500 soldats du corps expéditionnaire britannique sont ceux qui vont soutenir au plus près l’armée blanche de Koltchak.

Les Français, Serbes et Italiens (environ 5000 soldats) vont rester sur les arrières, essentiellement à Vladivostok et en Sibérie orientale.

E) La reprise de l’extrême-Orient sibérien et de Vladivostok par l’Armée rouge

Dans notre article sur les armées blanches de Koltchak, nous avons vu pourquoi et comment l’Armée rouge reprend la Sibérie.

24 décembre 1918 L’armée blanche sibérienne de Koltchak prend Perm et marche vers Moscou

En 1920, toutes les troupes britanniques, américaines, françaises, canadiennes, tchèques... quittent la Sibérie. Seuls restent présents les dizaines de milliers de soldats japonais. Ainsi, sont concurrents pour le pouvoir pendant quelques mois d’une part le soviet de coalition (bolcheviks, socialistes révolutionnaires, mencheviks), d’autre part l’état-major japonais.

Les 4 et 5 avril 1920, les troupes japonaises tentent de chasser les "Rouges" de Vladivostok pour conserver seuls le pouvoir en Sibérie orientale. Au bout de deux jours de combat, ils sont battus et s’embarquent pour leur pays.

La prise de la ville de Vladivostok par l’Armée rouge de Ieronim Ouborevitch le 25 octobre 1922 marque la fin de la Guerre civile russe.

Les Rouges ont battu les Blancs militairement malgré les puissantes interventions étrangères mais le pays est complètement saigné humainement et économiquement. Surtout, l’élan social et démocratique de la Révolution russe s’est perdu au fil d’une guerre civile absolument inhumaine.

Jacques Serieys


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