Syndicalisme. Sans concession avec le FN (Thibault CGT, Mailly FO, Groison FSU, Coupé SUD, Bérille UNSA...)

mardi 22 mars 2011.
 

L’opération d’instrumentalisation des syndicats est d’envergure. Elle se révèle au grand jour quand le Front national présente aux élections cantonales des candidats qui se réclament ouvertement de leur appartenance syndicale.

C’est le cas avec le secrétaire du syndicat CGT des employés territoriaux de Nilvange, en Moselle, et une responsable régionale FO du Nord. Dans les deux cas, les organisations syndicales réagissent. FO suspend les mandats syndicaux de sa déléguée. La CGT engage une procédure d’exclusion à l’égard de son adhérent et du syndicat qui, localement, le soutient. Bernard Thibault va plus loin en s’adressant de façon solennelle à tous les secrétaires généraux des syndicats, unions territoriales et fédérations professionnelles de la CGT, les appelant à «  faire preuve d’une grande vigilance et d’une réactivité collective déterminée  ». Alors que le parti lepéniste annonce sa volonté de «  créer des syndicats  », ce qu’il avait déjà tenté de faire il y a quinze ans, les syndicalistes prennent l’affaire au sérieux. L’intersyndicale a adopté lundi une déclaration qu’elle rendra publique jeudi. L’Humanité a demandé aux premiers responsables des 8 organisations syndicales de répondre chacun aux deux mêmes questions. Ils ont tous accepté à l’exception du secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, qui souhaite s’en tenir à la déclaration intersyndicale. Nous publions ici leurs réponses.

Le Front national vient de lancer une attaque directe contre les organisations syndicales. Comment réagissez-vous  ?

Bernard Thibault. La CGT prend très au sérieux cette offensive du Front national qui vise à instrumentaliser le combat syndical pour promouvoir ses thèses. Il faut dénoncer la duperie du FN qui tente de s’emparer de la colère sociale pour la dévoyer vers des solutions fondées sur l’exclusion et le rejet de l’autre plutôt que de s’attaquer aux racines de la crise provoquée par le système capitaliste.
J’ai adressé pour ma part un courrier aux secrétaires généraux de toutes les organisations de la CGT afin qu’ils veillent au respect des valeurs fondamentales et des statuts de la CGT dans leur organisation. Ce qui est en cause, ce n’est pas uniquement le respect de l’indépendance syndicale. Il n’est pas envisageable qu’au nom de la liberté d’opinion dans la CGT, celle-ci puisse être représentée, à quelque niveau que ce soit, par des militants revendiquant par ailleurs publiquement leur adhésion au concept de «  préférence nationale  » qui est le socle du FN.

Bernadette Groison. Le FN a toujours combattu le syndicalisme, son rôle et les valeurs qu’il porte, d’autant qu’économiquement et socialement le FN s’est toujours placé du côté du patronat. Toutes les organisations syndicales doivent combattre les théories xénophobes, d’exclusion… alerter les personnels et les citoyens sur les dangers qui menacent la démocratie et les libertés. Le gouvernement, en reprenant les thèmes chers à l’extrême droite (voir le débat sur l’islam), porte une responsabilité importante dans la banalisation de ces thèses.
Mais les débats sur les valeurs ne sauraient suffire, il faut également et surtout être à l’offensive pour mobiliser et proposer des alternatives car c’est en apportant des réponses concrètes aux questions auxquelles sont confrontés les salariés, les jeunes, les chômeurs et l’ensemble des citoyens  : emploi, pouvoir d’achat, protection sociale, éducation, santé, justice… que nous serons les plus efficaces contre le populisme et les idées de l’extrême droite. Les services publics et la fonction publique ont un rôle important à jouer.

Jean-Claude Mailly. Nous réagissons comme nous avons toujours réagi. Cela s’appelle le respect de la liberté et de l’indépendance syndicales. Un adhérent sans mandat qui se présente à une élection politique ne peut pas faire référence à son appartenance syndicale. Un militant mandaté doit abandonner ses mandats. Je rappelle par ailleurs que les membres du bureau confédéral et de la commission exécutive doivent démissionner s’ils veulent se présenter à une élection politique ou appartenir à l’organe dirigeant d’un parti.
S’agissant du Front national, il appartient aux responsables politiques qui gouvernent de prendre conscience que le capitalisme libéral, le développement des inégalités, le chômage, le poids des marchés sur les politiques et la démocratie génèrent toujours dans l’histoire la résurgence des concepts de race, corps, terre, nation.

Luc Bérille. Ce n’est pas la première fois que le Front national tente de prendre pied dans le mouvement syndical. Il avait déjà essayé il y a une quinzaine d’années, de créer des mouvements politico-syndicaux, liés au FN dans quelques secteurs. Sans doute le regain d’intérêt qu’il vient de manifester doit-il être compris dans le cadre de la nouvelle stratégie lancée par Marine Le Pen. La «  respectabilité  » qu’elle cherche à faire acquérir à son parti passe par l’intégration dans les cadres ordinaires de la vie sociale dont les syndicats font partie. Et l’annonce d’éventuels recours en justice sur des cas de syndiqués frontistes exclus ou démis signale que le FN pourrait faire de ce sujet une opération organisée d’agitation médiatique. L’Unsa prend très au sérieux cette tentative d’instrumentalisation. Pour nous, elle n’est pas le problème de telle ou telle organisation mais elle concerne le syndicalisme en général qui doit donc répondre solidairement. De ce point de vue, la réaction de l’intersyndicale est très positive.

Bernard Van Craeynest (CGC). Le Front national ne cesse de faire de l’entrisme ou de créer ses propres structures, y compris dans le monde du travail, pour propager ses idées. Celles-ci n’ont rien à voir avec les fondamentaux du syndicalisme qui sont d’apporter aide, conseil, assistance, service aux salariés, quelles que soient leurs origines, confession ou nationalité. Parmi les critères de représentativité réaffirmés par la loi du 20 août 2008, il y a l’indépendance des syndicats entre autres vis-à-vis de tout mouvement politique. On ne peut se servir d’un syndicat et certainement pas de la CFE-CGC comme vecteur politique, quel que soit le parti. Cela figure dans nos statuts  : la CFE-CGC est apolitique.

Annick Coupé. La montée du chômage, de la pauvreté s’accompagne du sentiment qu’il n’y a plus d’avenir ni pour soi, ni pour ses enfants. Le développement des politiques sécuritaires et xénophobes par le gouvernement vise à détourner la colère sociale vers «  l’autre  », l’étranger ou celui qui est supposé l’être en raison de sa couleur de peau, de son nom ou de son lieu d’habitation. Nicolas Sarkozy avait fait campagne en 2007 sur la rupture, la réhabilitation de la valeur travail, la transparence… Il prétendait même en 2008 «  moraliser le capitalisme  »  ! La réalité est aujourd’hui tout autre  : aucun gouvernement n’a à ce point mené une politique au service d’une minorité de privilégiés. Le mépris et l’arrogance des classes dirigeantes, les affaires financières confortent le sentiment du «  deux poids, deux mesures  ».
Face à cela, force est de constater l’absence d’alternative politique sérieuse privilégiant un autre partage des richesses, l’amélioration des services publics, la prise en compte des besoins sociaux et environnementaux, une véritable égalité dans tous les domaines… Dans ce contexte, le FN tente de récupérer à son profit la désespérance et la colère des salariés, en particulier de celles et ceux qui subissent de plein fouet les conséquences de la crise. Il le fait en relookant son vieux fonds de commerce du racisme, de la sécurité, de la préférence nationale, de la fermeture des frontières…

Jacques Voisin (CFTC). Si vous voulez parler des déclarations de Mme Le Pen contre les dirigeants syndicaux qui seraient coupés de la base, je ne peux évidemment pas y souscrire. Le président de la CFTC est élu par le congrès des syndicats d’entreprise pour un mandat de trois ans. Les orientations qu’il met en œuvre avec l’aide de son équipe sont celles qui ont été définies et adoptées par la base.
Si vous voulez parler d’une éventuelle stratégie d’entrisme du Front national dans les syndicats, je ne la vois pas. Et quand bien même cela se produirait, comme ce fut le cas de façon marginale dans le passé, nos statuts sont clairs  : l’action syndicale de la CFTC est indépendante de l’État, des gouvernements, des partis et des Églises. L’engagement dans les organes dirigeants d’un parti politique est incompatible avec l’exercice d’un mandat syndical.
Enfin, si vous voulez parler des attaques – habituelles de la part de partis totalitaires de droite comme de gauche – contre l’existence même des syndicats, il faut les traiter par le mépris et leur opposer les avancées sociales obtenues grâce aux syndicats.

Pensez-vous que les valeurs du syndicalisme sont compatibles avec les thèses du Front national  ?

Bernard Thibault. Selon ses statuts, la CGT « agit pour une société démocratique, libérée de l’exploitation capitaliste et des autres formes d’exploitation et de domination, contre les discriminations de toutes sortes, le racisme, la xénophobie et toutes les exclusions ». Les thèses du FN sont totalement antinomiques avec cela. En ce sens, il ne peut pas être considéré comme un parti comme les autres.
Ces thèses sont plus largement contraires aux principes fondamentaux, tels que la défense de tous les salariés sans distinction d’aucune sorte sur lesquels est fondée l’action syndicale au plan international. Elles sont même condamnables par la loi française et contraires aux normes de l’OIT au plan international. C’est d’ailleurs pour cela que la justice française a régulièrement renvoyé le FN dans les cordes quand il a tenté d’implanter des syndicats dans les années 1990 et qu’il a essayé de présenter des candidats aux élections prud’homales en 2008.

Bernadette Groison. Les valeurs du syndicalisme sont celles de justice, d’égalité, de liberté et de solidarité. Le Front national cherche des boucs émissaires, il se sert de l’immigration pour la rendre responsable de tous les problèmes et en dédouane ainsi les vrais responsables, il divise au lieu de rassembler… L’heure est à la vigilance et à l’action avec toutes les forces progressistes, et la FSU continuera de proposer et de s’associer aux mouvements et aux manifestations qui permettront de mettre en échec dans l’opinion et dans les faits, les idées véhiculées par l’extrême droite.

Jean-Claude Mailly. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y a des contradictions. C’est le cas quand le Front national prône au niveau des branches professionnelles le corporatisme, c’est-à-dire la collaboration employeurs/salariés contre la négociation et la confrontation des intérêts. C’était par exemple déjà le cas avec la charte du travail. Je rappelle également que Force ouvrière défend l’internationalisme ouvrier et combat toutes les discriminations. Je rappelle encore que ce parti dans les années 1990 avait voulu créer ses syndicats et qu’il tente de réactiver un cercle national de défense des syndiqués qui est un ersatz du syndicat. Je rappelle enfin que la France est signataire de la convention 97 de l’OIT qui l’oblige «  à prendre toutes les mesures appropriées contre la propagande trompeuse concernant l’émigration et l’immigration  ».

Luc Bérille. Pour l’Unsa, il y a clairement incompatibilité entre les thèses du FN et les valeurs du syndicalisme. L’amélioration des conditions de vie et de travail des salariés ne peut se faire en attisant les divisions et les haines entre les salariés ou entre les citoyens. La préférence nationale, la xénophobie et toutes les formes de discrimination qui imprègnent les thèses du FN n’ont donc pas leur place à l’Unsa car les valeurs de solidarité, d’égalité et de fraternité sont notre référence. C’est pourquoi nous ne pensons pas que l’opération menée par le Front National puisse être ramenée à un simple problème de respect de l’indépendance des partis vis-à-vis du syndicalisme. Ce principe est évidemment essentiel, mais le FN, parce qu’il érige la discrimination en programme politique, n’est pas un parti comme les autres dans l’arc démocratique républicain. C’est ce que nous pensions en défilant le 1er mai 2002 pour faire barrage à Jean-Marie Le Pen. Nous n’avons pas changé d’avis.

Bernard Van Craeynest. Parmi les valeurs du syndicalisme, il y a la lutte contre toutes les discriminations. La CFE-CGC se bat tous les jours à tous les niveaux pour le respect de la personne humaine, la qualité de vie au travail, l’insertion de tout public dans l’emploi stable, les perspectives d’évolutions professionnelles et de meilleures rémunérations et protections sociales pour tous, une réelle égalité professionnelle entre les femmes et les hommes à tous les niveaux de décision de l’entreprise, y compris dans les instances dirigeantes et les conseils d’administration. Bref, nous agissons pour une société juste et équilibrée, où la cohésion sociale doit être un pilier de notre République. Cela n’a par conséquent rien à voir avec le Front national, qui surfe sur le populisme et exacerbe les tensions en stigmatisant tel ou tel sans rien proposer de concret et de positif pour répondre aux défis de notre société.

Annick Coupé. Pour Solidaires, le syndicalisme repose sur la défense et l’amélioration des droits individuels et collectifs des travailleurs/travailleuses, dans une perspective de transformation sociale, d’émancipation face au capitalisme. Cette perspective suppose la solidarité entre tous les salariés et le refus de toutes les formes de racisme qui, historiquement, ont toujours servi les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir économique. Aucune concession ne peut être faite vis-à-vis du FN, ni sur ses positions, ni sur sa place dans le syndicalisme. Au contraire, il est de la responsabilité du mouvement syndical de combattre unitairement ses projets, de montrer en quoi ils sont contraires aux combats et aux revendications du monde du travail, porteurs de régression sociale généralisée, d’impasse économique et de graves dangers pour la démocratie.

Jacques Voisin. L’appartenance à la CFTC est incompatible avec l’adhésion et le soutien à des formations politiques favorables à des systèmes qui bafouent la dignité de la personne humaine, valeur fondatrice du syndicalisme d’inspiration chrétienne. C’est pour cette raison que la CFTC s’oppose à tous les programmes politiques qui prônent l’exclusion d’une des composantes de la société française et la discrimination à son égard  : qu’elle soit ethnique, sexuelle, liée au handicap… C’est aussi pour cette raison que, dans ses moyens d’action, la CFTC s’oppose à tout recours à la violence vis-à-vis des personnes ou des matériels, et prône le dialogue social, seul à même de faire progresser la cause des travailleurs.

Propos recueillis par Olivier Mayer


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