Cantonales : pas de lutte contre le Fn possible sans implication citoyenne

mercredi 30 mars 2011.
 

Pour analyser utilement les résultats de dimanche dernier, il convient de garder la tête froide et d’abord de revenir sur les chiffres et les faits, car ils sont têtus. Je veux pour commencer évacuer les faux débats. Le Front national obtient des scores inquiétants, préoccupants et même révoltants. Ils font peser un énorme danger sur la démocratie, c’est une évidence. Mais, il faut comprendre exactement ce qu’il se passe, pour être utile et efficace dans cette lutte contre l’extrême droite. Sans quoi on pousse des grands cris, on lève les bras au ciel, on s’affole, on répète "Vite, il faut...,il faut..." et l’on ne sert à rien.

D’abord donc, ce qui fait peser le principal danger sur la démocratie : c’est l’abstention. C’est cela qui est le plus préoccupant. Toute société est malade quand les citoyens ne se mêlent plus du débat public, quand ils le considèrent inutile pour régler leur problème. Nous y sommes presque. Plus de 55 % d’abstention, soit 12 millions d’électeurs abstentionnistes sur un total de 20 millions, c’est l’expression d’une crise grave que personne ne doit nier. Elle est au cœur de la crise qui secoue le pays. Nos concitoyens se sont courageusement battus pour défendre la retraite à 60 ans, ils luttent, ils résistent, il sont debout, mais ils ne croient plus au système. Il leur apparait comme impuissant à régler leurs difficultés. comment s’en étonner ? Depuis 25 ans au moins, des gouvernements se sont succédés sans apporter des réponses qui modifiaient réellement le quotidien. En écrivant cela, je ne renvoie pas dos à dos droite et gauche, mais j’observe que par rapport aux profondes aspirations de changement, les quelques bonnes mesures prises par les gouvernements de gauche (et elles ne l’étaient pas toutes, loin de là) sont apparues comme bien légères comparées à la dureté du quotidien. C’est d’abord et avant tout à la question sociale qu’il faut s’atteler.

Quand on est une conscience de gauche, toute son énergie doit être utilisée pour combattre l’injustice sociale, pour organiser une autre répartition des richesses, pour augmenter les salaires et le pouvoir d’achat des plus modestes, pour défendre les acquis sociaux si durement arrachés. Une minorité de nantis s’est enrichie de façon indécente ces dernières années, elle constitue une nouvelle oligarchie, pendant que la grande majorité a vu ses conditions de vie se détériorer. C’est inacceptable. L’impuissance de la gauche à prendre à bras le corps ces tâches, et en premier lieu la direction passée et actuelle du PS, a désorienté des millions de nos concitoyens qui pour beaucoup ont baissé la tête et ne croient plus que "la politique" puisse changer la vie. On leur répète inlassablement depuis plusieurs décennies que les problèmes sont "complexes", qu’il faut "se méfier des réponses simplistes", et puis on banalise et on justifie les désordres du monde, sans expliquer qu’ils sont essentiellement des constructions politiques organisées et voulues par des gouvernements dirigés par des gens identifiables. Les terribles inégalités de la planète ne sont pas des catastrophes naturelles qu’il faut regarder les bras ballants comme des fatalités. La main invisible du marché est en réalité celle de gens qui se cachent.

Pire, ces dernières années, lorsque nos concitoyens se sont mobilisés à plus de 70 % lors de grands débats pour se faire entendre, notamment lors du référendum sur le TCE, leur vote a été ridiculisé puis piétiné. On mesure enfin les conséquences du style de ce Président Nicolas Sarkozy, ultra libéral menteur et cynique, dont la parole ne semble plus avoir désormais aucune valeur. Tous ces éléments accumulés années après années ont convaincus des millions d’entre nous que "voter cela ne sert à rien". C’est cela qui fait entrer notre pays dans la zone de tous les dangers. La République a besoin de citoyens mobilisés. Elle ne peut vivre sur le mode de la Ve République gaulliste en répétant : "restez chez vous, on s’occupe de tout". Non, c’est l’inverse. Il n’y a pas de République sans républicains, sans citoyens motivés et éclairés.

C’est de cette nourriture nauséabonde que se nourrit le FN. Pour dire les choses simplement, il progresse en pourcentage car il est moins touché que les autres forces politiques par l’abstention. Cette force occupe une place centrale de tous les débats depuis quelques jours alors qu’elle ne mobilise que 6,70 % des électeurs inscrits. "L’inertie des peuples est la meilleure forteresse des tyrans" écrivait un autre Nicolas qui se nommait...Machiavel. Pas de percée fulgurante donc (en voix, en pourcentage c’est autre chose hélas). Si l’on compare son score avec celui de 2004, le FN perd d’ailleurs 110 382 voix. Il obtenait 1 490 315 voix en 2004 contre 1 379 933 en 2011. Et je rappelle pour mémoire, qu’en 1998, le FN avait rassemblé 1 542 045 voix et fait élire 3 Conseillers généraux. Donc cette fois-ci, même si l’on tient compte du fait que le FN présentait environ 400 candidats de moins qu’en 2004, il perd quand même quelques voix. Globalement, je dirais qu’il garde son électorat conquis 6 ans auparavant, mais pas partout. Dans le canton d’un candidat dit "implanté", comme celui de Steeve Briois le nouveau secrétaire général du FN à Hénin Beaumont dans le Pas de Calais (62), la ville où Marine Le Pen était tête de liste aux municipales de 2008, on constate cette réalité électorale. Le FN recule légèrement passant de 2086 voix en 2004 à 2033 voix en 2011. Mais, en pourcentage, il explose. Il passe de 25,86 % en 2004 à 35,88 % cette fois. Peut être sera-t-il élu dimanche prochain, alors qu’il n’a rassemblé que 14,43 % des inscrits sur les listes électorales. Ce qui fait la force du FN dans ce canton, c’est que la participation est passée de 60,67 % en 2004 à 41,14 % en 2011. Là-bas l’UMP est devenu quasi inexistant en obtenant 154 voix soit 2,72 %. Le PS (qui dirige la mairie) s’effondre en passant de 44,15 % des suffrages (3599 voix) à 31,20 % (1768 voix).

Je prends un autre exemple que je connais bien. C’est celui du canton Béziers 4 dans l’Hérault (34). J’y suis né et c’est là que j’ai grandi. Ce canton est sans doute un des quelques uns, où dimanche prochain, un Conseiller général FN sera élu. Il a obtenu 35,17 % des votes (3585 voix) mais en 2004, le FN avait obtenu 23,80 % (3623 voix). S’il progresse c’est parce que l’abstention bondit, passant de 31 % en 2004 à 59 % cette fois ci. Parallèlement, l’UMP s’effondre passant de 30,89 % (3684 voix) à 11,58 % (1180 voix) dimanche dernier. L’UMP dirige pourtant la Mairie et le député de la circonscription en est aussi un des cadres départementaux. Le candidat socialiste, Conseiller général sortant, passe de 24,17 % à 27,06 % mais perd près de 900 voix. Dans ce canton, que s’est il passé ces dernières années ? Réponse simple. Les idées racistes ont progressé tranquillement sans que jamais personne ne s’y oppose. Un exemple ? L’été dernier, un sordide fait divers avait défrayé la chronique. Un retraité avait tiré à bout portant, de dos, sur deux jeunes filles désarmées qui étaient en train de le cambrioler. L’homme avait justifié son geste devant la police en exprimant clairement sa haine des étrangers et des arabes et des roms en particulier. Il s’était dit excédé par les nombreux cambriolages qu’il avait subit mais, après vérification, il n’avait jamais été cambriolé et le nombre de larcin dans le village étaient particulièrement bas. Dans la presse locale, aucun élu ne s’est indigné de cette sordide auto défense meurtrière. Un jeune Conseiller municipal a même justifié son geste, et le Maire de Béziers M. Raymond Couderc a minimisé le soutien de son colistier en expliquant ses propos par sa jeunesse (voir un billet publié cet été où je racontais dans le détail cette histoire). Des manifestations de soutien au papy flingueur ont été organisées devant le Palais de justice par des voisins et l’extrême droite du Bloc Identitaire. Les élus UMP, et même Xavier Bertrand, ont demandé la libération du retraité. Le FN lui, n’a fait quasiment aucune déclaration, n’a posé aucun acte public. Son candidat est un inconnu sur la ville. Il n’a aucune implantation réelle et ce n’était pas le même qui s’était présenté en 2004. Durant toute cette histoire, le Conseiller général socialiste ne s’est jamais exprimé publiquement. On voit aujourd’hui le résultat. C’est bien une triste leçon qu’il faudra retenir, en politique, l’absence de courage n’est jamais payante. Je ne dis pas que ce fait divers est la seule explication du vote de dimanche. Si la gauche, je parle ici du PS, ne profite pas de la crise de la droite et du rejet de Sarkozy c’est, je l’ai dit plus haut, qu’elle est trop silencieuse dans le combat social,voire même elle justifie parfois certaines régressions. La gauche, une vraie gauche, doit savoir aussi s’exprimer sur le plan moral, pour défendre des valeurs et faire preuve de pédagogie. La politique a horreur du vide. Si l’on ne s’exprime pas dans des moments pareils, les forces xénophobes et autoritaires apportent des réponses et mobilisent son électorat. Les victoires politiques sont toujours précédés de victoire idéologique. L’inverse est impossible.

Bien sûr, dans certains cantons le FN a aussi gagné quelques voix. Mais, ils ne sont pas si signicatifs que cela. Cela dépend des régions et des situations locales. C’est le cas par exemple à Perpignan, où Louis Alliot, Vice président du FN et très proche de Marine Le Pen, progresse en pourcentage et en nombre de suffrages passant de 20,52 % (891 voix) à 34,61 % (1083 voix) en 2011. On retrouve cette double progression dans plusieurs cantons de Perpignan, mais là encore on observe un effondrement très net de l’UMP dans une ville où le Maire a eu des démêlés avec la justice puisqu’il est établi qu’il a triché lors des élections de 2008 (la célèbre histoire des bulletins dans les chaussettes). La gauche n’a pas su en profiter. A Marseille, il est clair aussi que le Fn progresse en pourcentage et en nombre de voix. Mais là-bas se conjuguent un effondrement de la droite et à gauche les conséquences détestables du "système Guérini" sur le vote socialiste. Frappant de constater que seul canton où le candidat PS ne baisse pas est celui où il a pris ses distances avec les pratiques guérinistes (celui de Michel Pezet, un opposant aux frères Guérini).

La réalité est là. C’est dans ce dégoût de l’action publique que réside la force du FN. Dimanche, il a retrouvé des scores déjà atteint en 2004 ou dans les années 90. Mais, l’élément nouveau est que cette fois la droite se volatilise, détruite par le sarkozysme. C’est parce que des principes majeurs de la République perdent de leur signification concrète que les lepenistes progressent politiquement et idéologiquement. Joseph Goebbels, un des théoriciens du nazisme, écrivait dans les années 30 : "Le jour où les mots n’auront plus de sens, nous aurons gagné". Nous y sommes. Dans la France de 2011, après quatre ans de Sarkozy, les mots de République, d’écologie, de socialisme, de laïcité , d’Europe sont en train d’être dénaturés de leurs sens par nos adversaires.

Ne perdons pas de vue aussi ce qu’est le sarkozysme, comme idéologie, et comment cet homme s’était illustré dans les années 90 lorsque le débat sur les alliances avec le FN était apparu au sein de la droite. Son mentor de l’époque se nommait Edouard Balladur, et alors que certains discutaient de la "Préférence nationale" proposée par le FN, ce dernier ne s’était pas opposé à cette idée. Il avait même déclaré au grand Jury RTL / Le Monde (25 juin 1998) : "Est-il normal ou anormal, légitime ou contraire aux principes républicains traditionnels de réserver certaines prestations aux nationaux et de les refuser (...) aux résidents étrangers". Pour réfléchir à cela, il proposait la mise en place d’une commission avec des gens venus "de tous les horizons" (dont le FN). Tout en suffisance, dans son style onctueux, il avançait ainsi pour que l’on réfléchisse à la façon de mettre en place une forme de "préférence nationale". Dans ce contexte, Nicolas Sarkozy, en plein mondial de football avait aussi déclaré sur Europe 1 : "Quoi de plus naturel que la préférence nationale ? Les millions de français qui soutiennent leur équipe n’en font-ils pas ? Les mots de préférence nationale n’ont aucune raison d’être présentés comme des tabous." Petit malin qui joue avec les allumettes. Et il a continué ainsi à utiliser les mots du FN, prétendument pour lutter contre l’extrême droite, avec les conséquences actuelles. Ne perdons pas de vue aussi que pendant la campagne électorale de 2007, il avait fait sien le slogan frontiste "la France aimez là ou quittez là". Le désastre actuel n’est pas circonstancié, il vient de loin.

Pour lutter contre l’extrême droite, il faut donc une gauche qui s’assume idéologiquement. Une gauche qui parle clair. Une gauche qui s’adresse au milieu populaire, qui l’écoute, qui lui redonne confiance. Une gauche qui redonne du sens et qui redonne envie de se battre pour elle. Pour lutter contre le feu de l’extrême droite il ne sert à rien d’appeler à voter pour les pyromanes de l’UMP. Le FN hélas a déjà des élus : 3 députés européens et 118 Conseillers régionaux. Il en a eu beaucoup plus par le passé. La stratégie anti FN ne peut se résumer à des soutiens électoraux dans quelques cantons à des candidats UMP qui soutiennent la folle politique actuelle du gouvernement, pour empêcher que le FN ait des élus. Sur cette élection là, c’est totalement inefficace. C’est dans le combat, qui ne se règlera pas en un jour, pour remobiliser l’électorat populaire que l’on sera réellement efficace. C’est pour cela que s’est constitué le Front de Gauche. Face à la vague abstentionniste, il a bien résisté. La tâche qu’il nous reste à réaliser est encore d’importance. Cela s’appelle faire de la politique, cela concerne tous les citoyens. Sans eux, pas de démocratie possible.


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