Les journées d’été d’Europe Écologie qui se sont déroulées la semaine dernière à Nantes ont marqué un tournant important dans la consolidation du mouvement initié il y a deux ans. Dans la situation politique actuelle, la dynamique d’Europe Écologie constitue d’une certaine façon une tentative d’ouvrir une nouvelle voie à gauche, alors que la crise de perspective à gauche n’a cessé de s’accentuer ces dernières années. Europe Écologie a occupé partiellement un vide après l’émiettement de la gauche antilibérale en 2007.
Ce rassemblement est par ailleurs confronté à des contradictions que l’on a retrouvé ou que l’on retrouve dans d’autres démarches de renouvellement de l’offre politique : le décalage entre le poids électoral (entre 13 et 15%) et le nombre de forces organisés (9000 adhérents recensés à Europe Écologie), la contradiction entre la dynamique du rassemblement et l’existence de partis qui ont une histoire plus longue (même si celle des Verts est relativement récente), le poids démesuré de la représentation médiatique avec le lancement –sans aucun choix démocratique des adhérents d’EE, mais avec le concours d’institut de sondage comme Opinion Way – de la candidature d’Eva Joly…
Mais le paradoxe d’Europe Écologie est que ce rassemblement constitue, pour des milliers d’hommes et de femmes qui se sont engagés dans ce cadre, une tentative de répondre à la crise de la gauche, sans se définir de façon forte, dans son identité, comme un mouvement qui s’inscrit pleinement dans l’histoire de la gauche. Europe Écologie joue ainsi également un rôle d’accélérateur et d’approfondissement de la crise à gauche. Les journées de Nantes ont constitué une étape significative en ce sens.
Le débat sur la structuration d’Europe Écologie doit être tranché en novembre 2010 aux journées organisées à Lyon. Ce débat entre mouvement, parti, coopérative, réseaux…etc… n’est pas simplement organisationnel. C’est ce que résument explicitement Patrick Farbiaz et Yves Contassot dans la synthèse d’un rapport réalisé pour les conférences régionales d’Europe Ecologie en mai 2010 : « La question de la double appartenance pose en réalité celle des contours de la famille écologiste à rassembler. Nous devons choisir, si nous estimons que les mouvements écologistes qui sont encore à l’extérieur d’Europe Écologie comme le MEI ou Cap 21 sont susceptibles d’être parties prenantes du rassemblement. Cela se pose aussi pour les mouvements qui font de l’écologie politique une partie de leur projet sans qu’elle en forme la vision d’ensemble : FASE, Association des Communistes Unitaires, Alternatifs… la même option se pose pour d’éventuels départs groupés vers EE de militants du PS ou du Modem. » (Cahier des débats n°1 préparatoire aux assises constituantes de l’Écologie politique) L’intégration de mouvement venu du centre droit, comme Cap 21 de Corinne Lepage qui est déterminé à forcer la porte d’Europe Écologie, n’est pas une question mineure car elle implique la pertinence du clivage gauche – droite dans l’identité du rassemblement. Dans le même document, Farbiaz et Contassot explicitent les enjeux politiques : « Pour certains l’importance de situer et même d’ancrer ce mouvement à gauche dans le respect de l’autonomie des écologistes et d’identifier clairement nos adversaires et nos partenaires est décisif. Pour d’autres, l’écologie ne se situe ni à droite ni à gauche ou à droite et à gauche. » L’épisode « Rama Yade », suscité par la tentative de Cohn Bendit d’inviter aux journées d’Europe Écologie la ministre de Sarkozy, constitue une tentative de pousser encore plus loin l’ouverture à droite. Faut il sur le moyen terme élargir Europe Écologie uniquement aux courants écologistes de droite – comme Corinne Lepage – ou bien à toutes les personnalités qui se situent moins à droite que Sarkozy (comme Rama Yade, Bayrou et autres Villepinistes en déshérence…) ?
Car sur le fond, le socle politique commun d’Europe Écologie a été largement défini dans « Le Manifeste » constitutif du rassemblement. Dans ce document, partis de gauche et de droite sont renvoyés dos à dos : « Quels que soient leurs référentiels idéologiques, les partis politiques dominants bégaient devant les défis du nouveau siècle. » car ils partagent une « matrice commune ». Matrice à laquelle Europe Écologie oppose la nécessité d’une « nouvelle régulation » en se revendiquant des « meilleures traditions humanistes », sans se référer à la gauche ni au mouvement ouvrier. La mise sur orbite de la candidature d’Eva Joly correspond logiquement à la concrétisation de cette orientation qui prône une régulation des excès du capitalisme, un réformisme éthique qui peut attirer à gauche comme à droite.
Avec cette orientation, que le dirigeant des Verts Jean Vincent Placé aura dû mal à repeindre en rouge en lui décernant l’étiquette « d’anticapitaliste », il y a un débat de fond, sérieux et argumenté, à avoir entre forces qui veulent construire une alternative à Sarkozy. C’est ce débat que le Front de Gauche aurait vocation à susciter dans les prochains mois, notamment à travers le développement de sa plate forme partagée.
Comment s’attaquer aux paradis fiscaux et à la spéculation financière sans démanteler l’architecture du système financier actuel ? Comment enrayer les ravages du système actuel sans créer un pôle bancaire public qui suppose l’appropriation public des banques privées ? Comment sortir de la marchandisation des êtres humains qui sont réduits au rôle de variable d’ajustements sans interdire les licenciements dans les entreprises qui font des profits ? Comment défendre les services publics et en créer de nouveaux sans imposer une autre construction européenne que celle du Traité de Lisbonne ? Ce sont toutes ces questions, et bien d’autres…, qu’il y a urgence à discuter entre forces de gauche pour ouvrir la voie à une véritable alternative.
Date | Nom | Message |