La crise grecque s’estompe au profit d’une crise monétaire et financière d’une grande ampleur. L’endettement de l’Etat grec n’était pas la question principale. Pourtant, la crise de « confiance » des marchés financiers envers les dettes souveraines – celles des Etats – était inscrite dans les modalités de résolution de la première crise financière, d’août 2007, qui avait vu l’intervention des banques centrales pour éviter les faillites bancaires puis, après la faillite gigantesque de Lehman Brothers le 15 septembre 2008, celle des Etats. Les sommes étaient colossales. 1000 milliards de dollars aux Etats-Unis, soit aux alentours de 20% du PIB, 360 milliards d’euros en France, soit la même proportion du PIB, c’est-à-dire de la création de richesses… L’objectif étant de sauver le système financier national et international.
Le scénario de la crise
En fait de sauvetage, ce fut plutôt un colmatage, sans réformes de fond permettant d’éviter le retour de la crise financière. Les gouvernements et les banques centrales ont cru – ou fait semblant de croire – que la crise était finie, que la reprise était là. Sauf pour les « voyous », ceux qui avaient triché, comme le gouvernement grec. Ceux-là devaient être sanctionnés !
Les banques centrales comme les gouvernements ont répondu à un seul risque, celui de l’absence de liquidités pour une banque pouvant entraîner ipso facto sa faillite. La faillite est définie par la cessation de paiement. Une banque, comme n’importe quelle entreprise ou ménage, a besoin de liquidités pour faire face à ses engagements à court terme. En cas de doute sur la capacité d’une banque à résister à la crise, le crédit se gèle. Les banques refusent de se prêter les unes aux autres. Or le système bancaire fonctionne au jour le jour par un système de compensation : les banques qui ont trop de liquidités prêtent à celles qui en ont besoin. En août 2007, l’effondrement des bourses, les constructions osées de la part des banques de structuration des produits financiers pour parer les risques – ceux des subprimes en particulier – ont réussi un tour de force : non seulement diffuser les risques, mais placer les banques en première ligne. La déréglementation financière des années 1980 trouvait là sa limite. Les faillites bancaires sur une grande échelle s’avéraient possibles.
Dans un premier temps – jusqu’au 15 septembre 2008 -, les banques centrales sont intervenues. Seules. Pour prendre la place du système bancaire de compensation défaillant. Elles ont inondé les banques de crédit bon marché, pour leur donner les moyens de résister en disposant des liquidités nécessaires pour continuer à exister. Dès ce moment, il était clair que cette solution de court terme ne pouvait s’attaquer aux causes de la crise. Les Etats auraient dû réglementer les marchés financiers, supprimer les agences de notation – une proposition de Sarkozy lors de son discours à l’ONU du 22 septembre 2008 – et se pencher sur la crise de solvabilité, bien plus profonde et importante que la crise de liquidité. Pour le dire autrement, la crise de liquidité était micro économique : chaque banque pouvait faire faillite alors que les liquidités existaient globalement, le problème étant que les banques qui en possédaient ne voulaient plus prêter aux autres. La crise de solvabilité est, elle, macro économique, elle touchait aux fondements mêmes du système mis en place dans les années 1980. Les ménages, les entreprises, les banques ne pouvaient payer le service de leur dette, faute d’augmentation du taux de profit général.
Après le choc de la faillite de Lehman Brothers, les Etats ont pris le relais des banques centrales. Selon la même optique micro économique : empêcher les banques de faire faillite, plus exactement chacune des banques. Ils ont donc financé les banques afin de leur donner les liquidités nécessaires. Et ce en s’endettant davantage sur les marchés financiers. Cet endettement ne pouvait que se traduire par une nouvelle dimension de la crise financière, touchant les Etats, et via les Etats les monnaies. L’euro étant la monnaie la plus faible, parce que privée d’Etat, sa crise signifie le deuxième round de la crise financière.
Tous ces plans d’aide aux banques et aux assureurs – et non pas au système financier – n’ont pas permis de mettre en œuvre une politique de relance. Ils ont seulement permis de gagner du temps. En approfondissant les contradictions, en laissant intactes les causes de la crise.
Un nouveau plan d’aide de 750 milliards de l’UE et du FMI
Pour lutter contre la spéculation – et non pas la crise financière et sa dimension monétaire -, les pays de l’U.E., et d’abord ceux de la zone euro, ont décidé d’un plan d’aide à la Grèce de 750 milliards d’euros. Un montant exceptionnel. Pour sauver la Grèce ? Surtout pour aider les banques à éviter la faillite. Le même scénario que lors du premier round s’est réédité. Les banques françaises et allemandes sont très engagées dans les prêts à la Grèce, autant par des emprunts publics que privés. Des banques américaines sont aussi impliquées.
Une augmentation du taux d’intérêt d’un côté provoque mécaniquement la baisse des cours des obligations précédentes, de l’autre obère les capacités des entreprises privées à rembourser leurs emprunts, plus exactement à faire face au service de leur dette. Du coup, les banques, dans la semaine précédant le 9 mai 2010, ont gelé la compensation, refusant de se prêter les unes aux autres. La conséquence est connue : des faillites bancaires. La démonstration est ainsi faite que l’intervention des banques centrales comme celle des Etats lors du premier round n’a rien résolu et ne s’est pas attaqué aux causes de cette crise. Il fallait de nouveau aider les banques à rester des banques, sans se poser la question d’une autre structuration du système bancaire et financier. Ainsi s’explique le plan, avec la volte face de Merkel, le coup de téléphone – porté à la connaissance du public – de Obama… pour sauver les banques américaines, françaises et allemandes. Il fallait aussi, dans le même mouvement, desserrer l’étau des taux d’intérêt trop élevés en Grèce, comme au Portugal ou en Espagne, pour redonner de l’oxygène au système bancaire et financier.
La grande innovation de ce plan, c’est de permettre à la Commission Européenne en tant que telle d’emprunter sur les marchés financiers avec la caution des Etats, lui donnant ainsi un rôle de proto Etat sans la légitimité d’un Etat. Une autre crise est en germe dans cette décision : une crise renforcée de la construction européenne. D’autant qu’il est question de donner des pouvoirs renforcés à la Commission sur les budgets des Etats, qui devraient lui être d’abord soumis, lui permettant de juger des « efforts » – ils sont très scolaires ! – d’un Etat pour lutter contre ses déficits. Une manière d’imposer les critères du Pacte de stabilité et du traité de Lisbonne au moment où la crise systémique les remet fondamentalement en cause. Une procédure scandaleusement anti-démocratique !
La BCE s’est aussi décidée à intervenir, ce qui a suscité des remous en Allemagne de la part de président de la Bundesbank, zélateur de l’idéologie libérale (et au demeurant très bien payé pour ce faire), contestant la décision de Trichet de racheter, sur le marché secondaire, des obligations d’Etat de la Grèce. Reste que cette décision s’explique et fait partie du plan pour sauver les banques. Racheter les obligations déjà émises – et non pas lorsqu’elles sont émises sur le marché primaire – permet de payer le service de la dette aux banques qui ont prêté, et donc de fournir des liquidités à ces mêmes banques. Autrement dit, la BCE crée de la monnaie pour alimenter les banques. En contradiction, il est vrai, avec son objectif de stabilité des prix et de l’interdiction d’aider un pays. Trichet, le gouverneur de la BCE, se défend en arguant qu’il n’aide pas la Grèce puisqu’il n’achète que des titres déjà émis. Il a la logique pour lui. En fait, cette polémique n’a aucun sens, mais les deux protagonistes ne peuvent pas dire ce qu’ils font.
Cette intervention est dans la lignée de celle effectuée lors du premier round : créer de la monnaie pour que les banques aient les liquidités dont elles ont besoin au moment où elles en ont besoin. Pourtant le système financier dans son ensemble ne manque pas de liquidités. C’est le contraire ! Que faire de ces liquidités en « surnombre » ? Les prêter aux agents économiques – entreprises, ménages – pour favoriser la relance ? Que nenni ! Les entreprises connaissent toujours le marasme. La « prime à la casse » a fait illusion dans un premier temps. L’industrie automobile connaît désormais la baisse. Là encore les interventions gouvernementales ont seulement permis de gagner du temps. Conclusion : les banques rechignent à prêter aux entreprises, quant aux ménages qui connaissent le chômage, la baisse du pouvoir d’achat, la remise en cause des acquis sociaux, il n’est pas question de leur prêter massivement, le risque serait trop grand. Donc les banques ne peuvent que chercher de nouvelles sources de bénéfice : sur les marchés financiers… en spéculant sur les monnaies.
Angela Merkel a vu le danger. Ou fait semblant. Dans un discours au Parlement, après la défaite des partis de droite de sa coalition aux élections de Rhénanie-Wesphalie du nord, elle a proposé une taxe sur les transactions financières qui ressemble furieusement à une « taxe Tobin », et va dans le sens d’une réglementation financière. Il n’est que temps ! Elle a dit, pour restreindre cette demande, qu’elle allait plaider cette cause lors de la future réunion du G20. Elle rejoindra les propositions de loi du président américain qui veut aussi réglementer ces marchés…
Dans le même temps, le régulateur allemand a décidé d’interdire, jusqu’à fin mars 2011, les ventes à découvert à nu (naked short selling), c’est-à-dire les ventes de titres qu’on ne détient pas. Le BaFin a proscrit cette pratique sur les actions de dix banques allemandes, et surtout sur les CDS, les credit default swaps, relatifs à des emprunts d’Etat de la zone euro.1 Décision unilatérale prise sans aucune concertation au moins avec les régulateurs des autres pays de la zone euro. La construction européenne est en train de voler en éclats… Et la monnaie unique de baisser face au dollar, et désormais face au yen.
Pourquoi l’austérité ?
Comme à l’accoutumée, ces plans d’aide aux banques se traduisent par l’exigence de plans d’austérité drastique. Pour la Grèce d’abord, mais aussi pour tous les autres pays d’Europe, Allemagne comprise. Il faut baisser la dépense publique. Fillon, le Premier Ministre français, a utilisé, lors de sa conférence de presse, le singulier au lieu du pluriel. Il ne faut plus diminuer les dépenses publiques, mais sabrer dans la dépense publique. Ce glissement est lourd de sens. Il faut diminuer tous les budgets, et donc déstructurer les services publics pour ouvrir la porte à la privatisation résumée dans le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, et plus si affinité.2 La réforme territoriale en cours donnera plus de pouvoirs aux Préfets et limitera celui des collectivités territoriales élues, pour aller vers un renforcement des Partenariats Public Privé (PPP), une forme de privatisation de l’action publique.
Cette politique d’austérité ne trouve aucune justification dans la crise systémique actuelle, qui est aussi, et visiblement, une crise de surproduction. Baisser les dépenses publiques, les salaires, le montant des retraites aura mécaniquement comme conséquence d’approfondir la récession, alors que les pays capitalistes développés ne sont pas sortis de la première, celle qui fur ouverte après la faillite de Lehman Brothers. Beaucoup de voix se font entendre – et c’est une grande première depuis les années 1980 -, dont celle de Stiglitz (dans Le Monde daté des 23/24 mai 2010), qui affirme : « L’austérité mène au désastre ». On ne peut mieux dire. Patrick Artus et Marie-Paule Virard, dans Pourquoi il faut partager les revenus,3 après une série de constats portant notamment sur l’impossibilité de tirer la croissance par la conquête de marchés extérieurs – ceux de la Chine en particulier –, en déduisent qu’il faut compter, comme le disait le président Mao, sur ses propres forces, c’est-à-dire le marché intérieur. Ils proposent donc d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés, des retraités et les dépenses publiques. Autant dire que le débat qui s’ouvre nous intéresse. La politique de relance – si elle se situe dans le cadre de la lutte contre la crise écologique, dans la perspective d’un autre développement qui renoue avec les solidarités collectives -, oblige à s’interroger sur des sorties de la crise qui soient des sorties de la logique du capital et de sa valorisation.
Ainsi, pour lutter contre la crise financière, il serait bon de construire un pôle financier public, par la nationalisation des grandes institutions financières, afin de faire fonctionner le système financier comme un service public au service de l’intérêt collectif, de l’aménagement du territoire, de la création d’emplois… Tout cela supposant une planification démocratique pour organiser l’avenir et définir l’intérêt collectif !
Nicolas BENIES
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