Parti socialiste : Bad or good Godesberg ?

mardi 25 mai 2010.
 

J’emprunte ici une formule à Henri Emmanuelli, aujourd’hui mentor de Benoit Hamon, lu dans le Nouvel Observateur. Je dois avouer qu’elle m’a soufflée. En visant à faire de l’humour, la phrase m’a plutôt désolé, voire affligée. Selon lui, le document programmatique, nommé « Nouveau modèle économique, écologique et social », adopté à l’unanimité par le Conseil National du PS le 27 avril, et à propos duquel vont voter les militants socialistes jeudi soir, serait un « good Godesberg » pour le PS. Bigre ! Déjà, la formule peut paraître opaque pour certains. Il me faut la traduire. Le congrès de Bad Godesberg en 1959 avait été celui de la rupture avec le marxisme, et clairement d’un virage à droite, ou dit plus pudiquement du « tournant social-libéral du SPD » (le Parti socialiste allemand). Cette fois-ci en France, selon Henri c’est l’inverse, le texte voté à l’unanimité pour toutes les composantes du PS serait à contrario celui d’un tournant à gauche.

La nouvelle, si elle est vraie, mérite que l’on s’y arrête. Alors que la gauche rassemblée du PS n’avait réalisé que 17% lors du dernier congrès de Reims (score historiquement très bas), ce serait à présent elle qui dicte la ligne majoritaire. Triomphante, cette aile gauche du PS s’enthousiasme et crie victoire. Il y a quelques jours, lors du meeting unitaire sur les retraites, Razzy Hammadi, secrétaire national du PS, a voulu me convaincre que nous avions tort de ne pas juger qu’il y avait là, un évènement de grande importance. Pour lui, c’est un texte « sur une ligne de gauche ». Ici ou là, des élus parisiens animateurs de la gauche du PS, comme Pascal Cherki, ou dans mon 12e Laurent Touzet (par ailleurs d’une grande rectitude), insistent en notre direction et veulent persuader leurs militants que c’est la démonstration éclatante que d’anciens socialistes comme Jean-Luc Mélenchon, ou plus modestement moi, ont eu tort de quitter le PS.

Mouais… Regardons cela de plus près, et avec méthode. Concernant les débats sur les textes au PS, voilà bien longtemps que l’on m’a appris (et d’abord des gens comme Jean-Luc) qu’il ne faut pas seulement en rester à l’apparence des choses, aux parfums qui s’en dégagent, aux seules tonalités générales et aux impressions qu’elles donnent. Elles sont souvent trompeuses. La bonne approche est d’entrer dans les détails, et surtout les mettre en perspectives avec les textes votés lors des précédents congrès. Car l’absence de mémoire est depuis longtemps le principal défaut chez les socialistes. On en comprend le ressort psychologique, et aussi l’intérêt manœuvrier. Le meilleur moyen de ne pas constater que l’on recule est de supprimer tous points de repaires. Si je ne sais plus d’où je pars, il devient évident que je n’ai plus aucun élément pour mesurer où je suis arrivé.

Entrons dans le texte... Les remarques qui suivent empruntent largement au travail de mon camarade Laurent Maffeis, responsables aux études du PG. Intelligence vive et homme rigoureux, Laurent, lui, a de la mémoire, et, sans remonter au temps anciens et glorieux du socialisme de Jean Jaurès ou du congrès d’Epinay, il a simplement comparé le document soumis aux votes des militants socialistes avec celui adopté... le 1er juillet 2006. Il se nommait alors Le Projet socialiste pour la France « pour les dix ans à venir » (interdit de rire).

D’abord, constatons que le texte de 2010 ne s’inscrit dans aucune continuité historique. Petit détail, exit le mot « socialisme » qui n’apparaît qu’une seule fois dans le texte. Cette fois-ci on y retrouve le concept beaucoup plus flou, et franchement inquiétant, de « progressistes ». Certains lecteurs réguliers de ce blog savent que c’est avec un vocabulaire identique qu’au Chili par exemple, cette année le PS s’est proprement liquidé, derrière la Démocratie-Chrétienne, au profit de la droite. Idem en Italie ou dans bien d’autres pays. Disons le tout de go, être progressiste ce n’est pas être socialiste.

Continuons. Autres absents, ce texte n’utilise pas les mots « ouvrier » et « employé ». D’un point de vue simplement sociologique, cela représente tout de même 53 % de la population. Difficile d’être majoritaire sans eux. Etonnant, mais logique, puisque ce texte se dégage de toute référence aux classes sociales, ni propose d’analyse de la société et de ses conflits. On découvre l’utilisation répétée des références individualistes. Ainsi, on peut lire que le PS veut un « Etat qui permet aux individus de choisir », ou encore un « Etat qui fasse contribuer tout le monde équitablement et qui apporte des réponses plus individualisées », plus loin encore c’est « l’individualisation de la fiscalité », « l’individualisation des prestations sociales », « l’individualisation des services publics »…Disons le tout net encore, ce vocabulaire est nouveau dans le socialisme français. Il est préoccupant car il laisse entendre que les problèmes de la population ne dépendent pas avant tout des cadres collectifs, mais plutôt d’un manque d’approche individualisé pour chacun. Est-ce là l’inspiration due au concept de « Care » pour lequel j’ai déjà donné mon point de vue ici ? Sans doute. En tout cas, ce fatras idéologique flou tient plus du blairisme que du socialisme républicain.

Mais surtout, en pleine crise financière, ce texte réalise l’exploit de ne pas dire un mot sur la crise Grecque ! Oui, oui. Les socialistes vont voter dans deux jours un texte qui ne dit pas un mot sur cette actualité brûlante qui concentre tous les problèmes de notre temps. Pas d’analyse sérieuse sur la crise de la social-démocratie européenne, qui dans la plupart des pays d’Europe a fait reculer l’âge de la retraite. Rien sur le fait que c’est le Président de l’Internationale Socialiste en personne, M. Papandréou, qui mène une politique de rigueur contre son propre peuple, en Grèce. Pas un mot sur le fait que c’est un adhérent du PS qui est Directeur du FMI. Rien sur les Traités européens et la Traité de Lisbonne… Dans cette logique de l’évitement, à propos de la crise écologique, les USA ne sont pas cités. Manifestement aux yeux des rédacteurs, la politique économique de ce pays ne porte aucune responsabilité dans les grands désordres de la planète. Mais, toujours sur la crise écologique, on prend soin de mentionner que « l’émergence de grand pays accentue le problème ». Ce sont donc eux les responsables ? Sidérant.

Il y aurait encore beaucoup à dire et je renvoie à la lecture du document rédigé par mon camarade Laurent Maffeis, et disponible auprès des militants du Parti de Gauche. Je vais vers ma conclusion pour pointer les principaux reculs par rapport au texte de 2006 et au Projet socialiste pour 2007.

Concernant les salaires, le texte de 2010, ne parle plus que de « la revalorisation du SMIC » comme « levier fort ». Mais, pas un mot sur la proportion et à quelle échéance ? En 2006 et 2007, nous avions obtenu que le texte affirme : « nous porterons le SMIC au moins à 1500 euros bruts le plus tôt possible dans la législature ». Chacun pourra constater que c’était tout de même nettement plus précis il y a trois ans.

Sur les 35 heures, le texte de 2010 propose de « revenir sur les dispositifs ayant dégradé les 35 heures et sur la remise en cause du repos dominical ». Recul encore ! En 2006 et 2007, le Projet socialiste disait : « Nous relancerons la négociation sur le temps de travail, pour étendre le bénéfice des 35 heures, avec créations d’emplois, à tous les salariés. Si la négociation n’aboutit pas, la loi interviendra ». Franchement plus ambitieux.

Le texte de 2010 ne prévoit plus de renationaliser EDF-GDF, ni même de remettre en cause l’ouverture du secteur à la concurrence. En 2006 et 2007, le Projet socialiste proposait : « Nous réintroduirons le contrôle public à 100 % d’EDF et mettrons en place un pôle public de l’énergie entre EDF et GDF – dont nous refusons la privatisation ».

Les objectifs de réduction de la part du nucléaire sont revus à la baisse. En 2007, on avait avancé la perspective de la réduire de 50 %. A présent, elle est ramenée à 23 %, et le nucléaire est qualifié « d’inévitable ». En matière bancaire, le pôle financier public de 2007 à vocation généraliste ne devient plus en 2010 qu’un pôle public dédié seulement à « l’investissement industriel ».

Enfin, concernant les questions sociales. En 2007, il était dit avec force, que nous voulions « pénaliser les patrons voyous ». Désormais, en 2010, le texte ne prévoit plus que d’ « augmenter le coût des licenciements économiques dans les entreprises florissantes », sans les interdire. Et concernant la précarité, en 2007, le PS affirmait « pour lutter contre la précarité, la primauté du CDI sur tout autre forme de contrat de travail ». Désormais, il est proposé de « majorer les cotisations sociales des entreprises employant un quota trop élevé de travailleurs précaires ». A lire ce texte, il y aurait donc une précarité acceptable ? A partir de combien le "quota" devient-il trop élevé ? Pas de réponse.

Chacun pourra, si il le souhaite, continuer ce travail méticuleux. Après tout, ce texte rédigé essentiellement par Pierre Moscovici, proche de Dominique Strauss-Kahn, est en cohérence avec les positions depuis longtemps défendues par ce dernier. En le présentant à la presse, il l’a dit avec force. Il affirme n’avoir rien cédé aux « gauchistes » (dixit Moscovici), et il a répété « le PS n’est pas le PG, ni le Front de Gauche ». Rassure toi Pierre, au PG, on avait remarqué.

Non, le plus embêtant, est que la gauche du PS ait fait le choix de voter un tel texte sans en proposer un autre alternatif. Son accord avec Martine Aubry, pour rester dans le bloc majoritaire, l’oblige à être silencieuse dans une période de profonde crise économique et sociale. Ainsi, est le prix du choix fait par beaucoup de mes amis. Dommage. Les postes de Porte Parole ou de trésorier du PS valent-ils de se taire sur la responsabilité des gouvernements socialistes qui frappent leur peuple ? Je ne le crois pas. Ouvrons les yeux. Si la direction du PS évolue, si elle n’ose plus les mêmes outrances sociales-libérales qu’auparavant, c’est que les évènements majeurs que nous traversons ont pulvérisé les errances de son orientation passée. Hors du PS, tout bouge, et à vive allure. Le centre, ce Modem hier tant convoité, a été broyé, et une force nouvelle (le Front de Gauche) est apparue sur sa gauche… Pour autant, la majorité du PS désemparée, n’a aucune ligne alternative a proposer à la hauteur des enjeux internationaux. Pire, en traînant des pieds, les députés socialistes votent le scandaleux plan "d’aide" à la Grèce, et s’alignent sur leurs homologues européens. L’exemple Grec le démontre, et le fait que le principal rédacteur de ce texte invite le Directeur du FMI à se porter candidat le confirme. Le reste n’est que littérature pour endormir les adhérents les plus inexpérimentés.

En concluant ce billet, j’interpelle une nouvelle fois mes amis qui animent ce qui se considèrent encore comme la gauche du PS. Mes amis, parlez fort ! Faites vous entendre ! Déployez votre drapeau ! N’en restez pas aux généralités creuses proposées dans ce texte. La grave crise qui est devant nous, exige, pour la gauche, de se faire entendre et comprendre par des millions de gens qui n’en peuvent plus. Les heures brûlantes qui sont devant nous, balayeront les petites solutions tièdes. Et heureusement, que le PG et le Front de Gauche existent. Sans quoi, qui parlerait en totale liberté, clair et fort, tel que le fait pour le PG Jean-Luc Mélenchon dans les médias, dans la période actuelle ? Quasiment personne (à l’exception de mes camarades du PCF), soyons franc.

Alors non, concernant ce texte, pas un « Good Godesberg », mais plutôt « a very bad compromis », qui aura un coût politique (and sorry for my very bad english ).

Damned !


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