Les yeux (poèmes)

jeudi 4 juin 2009.
 

Les caresses des yeux

* Auguste ANGELLIER (1848-1911)

Les caresses des yeux sont les plus adorables ;

Elles apportent l’âme aux limites de l’être,

Et livrent des secrets autrement ineffables,

Dans lesquels seul le fond du coeur peut apparaître.

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Les baisers les plus purs sont grossiers auprès d’elles ;

Leur langage est plus fort que toutes les paroles ;

Rien n’exprime que lui les choses immortelles

Qui passent par instants dans nos êtres frivoles.

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Lorsque l’âge a vieilli la bouche et le sourire

Dont le pli lentement s’est comblé de tristesses,

Elles gardent encor leur limpide tendresse ;

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Faites pour consoler, enivrer et séduire,

Elles ont les douceurs, les ardeurs et les charmes !

Et quelle autre caresse a traversé des larmes ?

LES YEUX D’ELSA

Louis Aragon 1897-1982

Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire

J’ai vu tous les soleils y venir s’y mirer

S’y jeter à mourir tous les désespérés,

Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire.

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Les vents chassent en vain les chagrins de l’azur

Tes yeux plus clairs que lui lorsqu’une larme y luit

Tes yeux rendent jaloux le ciel après la pluie

Le verre n’est jamais si bleu qu’à sa brisure.

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Une bouche suffit au mois de Mai, des mots

Pour toutes les chansons et pour tous les " hélas ! "

Trop peu d’un firmament pour des millions d’astres

Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux.

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Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où

Des insectes défont leurs amours violentes

Je suis pris au filet des étoiles filantes

Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d’août.

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J’ai retiré ce radium de la pechblende

Et j’ai brûlé mes doigts à ce feu défendu

O paradis cent fois retrouvé, reperdu,

Tes yeux sont mon Pérou, ma Colconde, mes Indes

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Il advint qu’un beau soir l’univers se brisa

Sur des récifs que des naufrageurs enflammèrent,

Moi, je voyais briller au-dessus de la mer

Les yeux d’Elsa... les yeux d’Elsa... les yeux d’Elsa ...

(Elsa, de Louis Aragon)

Les yeux lointains

Jules Supervielle 1884-1960

Chers yeux si beaux qui cherchez un visage,

Vous si lointains, cachés par d’autres âges,

Apparaissant et puis disparaissant

Dans la brise et le soleil naissant,

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Et d’un léger battement de paupières,


Sous le tonnerre et les célestes pierres


Ah ! protégés de vos cils seulement


Chers yeux livrés aux tristes éléments.

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Que voulez-vous de moi, de quelle sorte

Puis-je montrer, derrière mille portes,

Que je suis prêt à vous porter secours,

Moi, qui ne vous regarde qu’avec l’amour.

(Le Forçat innocent)

LES YEUX FERTILES

Paul Eluard 1895-1952

--------- On ne peut me connaître


Mieux que tu me connais

Tes yeux dans lesquels nous dormons


Tous les deux,

Ont fait à mes lumières d’homme

Un sort meilleur qu’aux nuits du monde.

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Tes yeux dans lesquels je voyage

Ont donné aux gestes des routes

Un sens détaché de la terre.

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Dans tes yeux ceux qui nous révèlent

Notre solitude infinie

Ne sont plus ce qu’ils croyaient être.

On ne peut te connaître, mieux que je te connais.

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Elle est debout sur mes paupières

Et ses cheveux sont dans les miens

Elle a la forme de mes mains

Elle a la couleur de mes yeux,

Elle s’engloutit dans mon ombre

Comme une pierre sur le ciel.

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Elle a toujours les yeux ouverts

Et ne me laisse pas dormir,

Ses rêves en pleine lumière

Font s’évaporer les soleils...

(Mourir de ne pas mourir)


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