* Auguste ANGELLIER (1848-1911)
Les caresses des yeux sont les plus adorables ;
Elles apportent l’âme aux limites de l’être,
Et livrent des secrets autrement ineffables,
Dans lesquels seul le fond du coeur peut apparaître.
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Les baisers les plus purs sont grossiers auprès d’elles ;
Leur langage est plus fort que toutes les paroles ;
Rien n’exprime que lui les choses immortelles
Qui passent par instants dans nos êtres frivoles.
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Lorsque l’âge a vieilli la bouche et le sourire
Dont le pli lentement s’est comblé de tristesses,
Elles gardent encor leur limpide tendresse ;
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Faites pour consoler, enivrer et séduire,
Elles ont les douceurs, les ardeurs et les charmes !
Et quelle autre caresse a traversé des larmes ?
Louis Aragon 1897-1982
Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire
J’ai vu tous les soleils y venir s’y mirer
S’y jeter à mourir tous les désespérés,
Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire.
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Les vents chassent en vain les chagrins de l’azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu’une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel après la pluie
Le verre n’est jamais si bleu qu’à sa brisure.
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Une bouche suffit au mois de Mai, des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les " hélas ! "
Trop peu d’un firmament pour des millions d’astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux.
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Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d’août.
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J’ai retiré ce radium de la pechblende
Et j’ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
O paradis cent fois retrouvé, reperdu,
Tes yeux sont mon Pérou, ma Colconde, mes Indes
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Il advint qu’un beau soir l’univers se brisa
Sur des récifs que des naufrageurs enflammèrent,
Moi, je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d’Elsa... les yeux d’Elsa... les yeux d’Elsa ...
(Elsa, de Louis Aragon)
Jules Supervielle 1884-1960
Chers yeux si beaux qui cherchez un visage,
Vous si lointains, cachés par d’autres âges,
Apparaissant et puis disparaissant
Dans la brise et le soleil naissant,
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Et d’un léger battement de paupières,
Sous le tonnerre et les célestes pierres
Ah ! protégés de vos cils seulement
Chers yeux livrés aux tristes éléments.
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Que voulez-vous de moi, de quelle sorte
Puis-je montrer, derrière mille portes,
Que je suis prêt à vous porter secours,
Moi, qui ne vous regarde qu’avec l’amour.
(Le Forçat innocent)
Paul Eluard 1895-1952
--------- On ne peut me connaître
Mieux que tu me connais
Tes yeux dans lesquels nous dormons
Tous les deux,
Ont fait à mes lumières d’homme
Un sort meilleur qu’aux nuits du monde.
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Tes yeux dans lesquels je voyage
Ont donné aux gestes des routes
Un sens détaché de la terre.
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Dans tes yeux ceux qui nous révèlent
Notre solitude infinie
Ne sont plus ce qu’ils croyaient être.
On ne peut te connaître, mieux que je te connais.
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Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens
Elle a la forme de mes mains
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
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Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir,
Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils...
(Mourir de ne pas mourir)
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