Lettre ouverte à François Hollande  : un peuple sans poésie serait un peuple sans rêves

jeudi 10 janvier 2013.
 

De divers côtés nous parviennent des informations préoccupantes concernant la vie culturelle et singulièrement la place faite à la poésie aujourd’hui en France. La dernière en date, et l’une des plus préoccupantes, concerne le Printemps des poètes dont chacun sait le rôle essentiel, depuis de nombreuses années, pour que la poésie vive, s’exprime et se diffuse dans l’ensemble du pays. Le ministère de l’Éducation, qui contribue depuis toujours au fonctionnement de cette association, vient en effet de réduire de 60 000 euros la subvention qu’il lui verse. Ce qui met le Printemps des poètes dans une extrême difficulté.

On invoquera sans doute la rigueur des temps et la nécessité de faire des économies… Mais cette rigueur semble pour l’instant inégalement répartie. Serait-ce qu’au sein du gouvernement (et singulièrement au ministère qui a pour mission l’éducation de la jeunesse) la poésie est considérée comme un luxe, un supplément d’âme dont la plupart de nos concitoyens pourraient se passer sans dommage majeur  ?

Si tel était le cas, ce serait une erreur grave.

La poésie n’est pas qu’un jeu gratuit sur les mots. Même si cette dimension ludique fait partie de ses possibilités. Ou si c’est un jeu, il est vital, comme est vital le jeu dans le développement de l’enfant et dans sa capacité à grandir. La poésie est la manifestation de la capacité des êtres humains à «  habiter le monde  », à le faire leur, à s’ouvrir aux autres, à ressentir plus vivement le réel en même temps qu’à le rêver, à le transformer par le recours à l’imagination. Elle est, au meilleur d’elle, une lucidité sensible, une des formes les plus hautes de la conscience.

Un peuple sans poésie serait un peuple sans rêves.

Déjà, dans un texte de 1948 intitulé la fonction poétique, Pierre Reverdy écrivait  : «  Non, la poésie n’est pas cette chose inutile et gratuite dont on pourrait si facilement se passer – elle est au commencement de l’homme, elle a ses racines dans son destin. (…) Elle est l’acte magique de transmutation du réel extérieur en réel intérieur sans lequel l’homme n’aurait jamais pu surmonter l’obstacle inconcevable que la nature dressait devant lui.  »

Porter atteinte à cette fonction poétique, qui a tant à voir avec l’essence même de la liberté humaine (qui est de ne pas se résigner au réel tel qu’il est), ce serait aller dans le sens de la pente, qui existe dans notre société, à considérer les hommes et les femmes comme des consommateurs et non comme des producteurs, des clients d’un imaginaire sans imagination et non pas les auteurs de leur vie et de leur futur. Cette pente, c’est celle qui tend à faire d’un peuple acteur de son destin une simple population passive et manipulable.

Réduire la culture, ici et aujourd’hui comme hier et ailleurs, c’est toujours ouvrir la voie à l’abêtissement et au fascisme.

Ce caractère nécessaire de la fonction poétique me paraît d’ailleurs particulièrement évident dans les périodes de crise, telle celle que nous vivons actuellement. Quand bien des aspects de la vie sociale poussent à la résignation, le recours au poème apparaît pour ce qu’il est aux yeux de beaucoup  : une salve contre l’habitude, une insurrection contre la vie morne et une action, apparemment modeste mais précieuse, pour imaginer le monde. Or n’est-ce pas ce qui manque le plus aujourd’hui  : la capacité à rêver le futur et la transformation du monde  ? Le vieux mot d’ordre de Rimbaud, «  Changer la vie  », est toujours le programme des poètes du monde entier. À mes yeux, il n’y a guère de poésie possible sans utopie. C’est d’ailleurs à mon sens l’une des raisons du succès que connaissent aujourd’hui bien des manifestations poétiques, tels la campagne d’affichage des poèmes dans le métro, dont je me suis occupé avec Gérard Cartier pendant quinze ans, le Printemps des poètes et les divers marchés et festivals qui participent du regain contemporain de la vie poétique en France.

J’ajouterai, pour être régulièrement invité dans des festivals à l’étranger, que j’ai parfois le sentiment que la poésie française d’aujourd’hui est mieux reconnue en dehors de nos frontières qu’ici même. L’absence de la poésie dans les grands médias, sa marginalisation dans l’industrie et le commerce du livre et maintenant les réductions budgétaires dont elle est la cible l’indiquent.

Une politique de gauche digne de ce nom devrait plutôt s’attacher à cultiver la passion de la culture, de la connaissance et de l’art, à encourager l’esprit critique, le goût du réel et la capacité à rêver le monde pour le transformer.

Voilà, pourquoi, Monsieur le président, je vous demande d’étudier avec votre gouvernement la possibilité de rétablir la subvention du Printemps des poètes et de favoriser partout la multiplication des initiatives en faveur de la poésie.

Francis Combes

http://www.humanite.fr/culture/lett...


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