Voter Bayrou pour faire exploser le Parti Socialiste et ainsi laisser le champ libre à une gauche antilibérale ? une idée folle (par J Serieys le 2 mars 2007)

mardi 2 mars 2021.
 

Respublica est un journal électronique lu par plus de 30000 militants de gauche et laïques. Or, depuis plusieurs numéros s’y expriment des personnes du comité de rédaction qui appellent à voter Bayrou. Quitte à me faire des ennemis, je ne peux pas laisser passer une telle orientation sans crier clair, haut et fort.

Des responsables politiques qui appellent à voter Bayrou ne peuvent être ni laïques, ni républicains, ni de gauche. Pour nous, toute alliance avec un tronçon de la droite est une trahison des intérêts des milieux populaires et une trahison des idées de gauche. En conséquence, soit les gens de gauche dans Respublica rompent avec des zigotos fricotant avec Bayrou et Dupont-Aignan soit un site comme le nôtre supprimera tous ses liens vers des articles de Respublica. Par principe et par volonté, à notre petit niveau, de ne pas voir la gauche française connaître la débandade italienne.

Le pire dans cette affaire, c’est que l’argumentation pour voter Bayrou est développée avec des arguments antilibéraux.

PRS a pour objectifs d’une part la victoire de la gauche lors de cette élection présidentielle sans alliance avec Bayrou, d’autre part la refondation unitaire de la gauche antilibérale en particulier sur la base d’un refus de toute alliance avec la droite. Notre désaccord est donc total avec les argumentations développées par plusieurs rédacteurs de Respublica.

Note en 2012 : le courant droitier de Respublica, qui appelait à voter Bayrou, a effectivement rejoint la droite depuis 2007.

Plan :

A) Que se passe-t-il à Respublica ?

B) Nos désaccords avec ces positions exprimées dans Respublica

A) Que se passe-t-il à Respublica ?

Dans Respublica numéro 515, Alexis Secondat nous explique

" ... Pour l’instant je vote Bayrou... C’est un vote stratégique...

Aujourd’hui, Bayrou est le seul capable de battre Sarkozy au second tour, et moi, tu sais que je ne veux pas que ce type soit le prochain président... C’est un vote révolutionnaire, je te dis que c’est stratégique... Si Bayrou passait, il fera tout pour prendre un premier ministre social libéral et cela ouvrira la porte à une clarification à gauche, et permettra enfin de marquer le clivage entre gauche sociale libérale et gauche anti-libérale. C’est ça la stratégie".

Respublica numéro 516 : Joseph SEMET se prétendant "militant laïque, républicain, altermondialiste et anticapitaliste" explique longuement pourquoi "Bien sûr qu’il n’y a rien de mieux à faire que de voter Bayrou".

Numéro 517 : Le rédacteur en chef et éditorialiste de Respublica (Evariste) précise "Certains d’entre nous penchent pour le vote Ségolène Royal dès le premier tour, pour éviter que la gauche ne soit absente au second, comme en 2002. D’autres sont sensibles aux arguments développés par Joseph Semet (Respublica 516) ou Alexis Secondat, pour le " vote révolutionnaire " Bayrou, seule arme, d’après eux, pour battre Sarkozy (et, ajoutent-ils, provoquer une recomposition de la gauche républicaine après une sévère défaite du PS). D’autres encore ne veulent pas aller voter, ne se reconnaissant dans aucun candidat. Certaines positions de Dupont-Aignan ou de Corinne Lepage sont jugées sympathiques par un des nôtres...

Ce qui nous unit est la défense de la République sociale, de la laïcité, et la nécessité du combat social contre les injustices du système"

Dans Respublica n° 518 ( du 9 mars 2007) : Yves Guyet en remet cependant une couche sous le titre " Socialistes de gauche, votons Bayrou" :

" Faisons donc échec à S. Royal en votant F. Bayrou dès le 1er tour, car lui seul peut battre N. Sarkozy au second.

Seul l’échec de S. Royal fera imploser le P.S. et contraindra les socialistes à choisir entre la gauche anti-libérale et le social-libéralisme.

Elire F. Bayrou, c’est faire pièce à la logique bipolaire de la Ve République qui pervertit le débat politique.

Il nous faut du temps pour reconstruire la gauche et clarifier le débat. Nous aurons cinq ans pour y parvenir. D’ici 2012, plutôt que de subir N. Sarkozy, donnons sa chance à F. Bayrou et à une grande coalition de salut public. Après tout, les Français, comme le rappelle François Darras (Marianne n� 515, du 3 au 9 mars 2007), ont beaucoup gagné à " une convergence des forces, venant d’horizons différents, autour d’un vrai projet : celui de 1944, qui permit (...) le redressement du pays ; celui de 1954, autour de Pierre Mendès France, grâce à quoi on put mettre fin à la guerre d’Indochine ; celui de 1960-1962, autour de De Gaulle (...) qui favorisa la conclusion de la paix en Algérie...

Et puis, contrairement aux propos des adversaires de F. Bayrou, ce ne serait pas un retour à la IVème République : sous la Vème, nous disposons d’un exécutif fort qui faisait défaut à la IVème.

Donc, pas d’état d’âme : votons F. Bayrou dès le premier tour !"

Le courrier Respublica apporte des informations irremplaçables et des analyses intéressantes sur le thème de la laîcité. Ceci dit, notre petit site, tout aussi laïque, se doit de marquer son désaccord avec l’idée avancée par des rédacteurs de Respublica comme quoi un défenseur de la République sociale, un combattant contre les injustices du système pourrait voter Bayrou.

Prenons l’argumentation de Joseph Semet dans Respublica n° 516.

B) Nos désaccords avec ces positions exprimées dans Respublica

1) Notre premier désaccord porte sur ce que représente François Bayrou. Joseph Semet fait des candidats UMP et PS des représentants du grand capital : " L’un, le Sarko, est l’agent du grand capitalisme américain et nous promet donc un monde néolibéral sans limite dans la destruction de la protection sociale et des services publiques, et par la même la destruction à coup sur du caractère laïque et républicain de notre société. L’autre, la Ségo, est l’agent du grand capitalisme franco-européen du complexe militaro-industriel qui nous prépare également un asservissement aux grands groupes financiers propriétaires de ce complexe". Quant à François Bayrou il serait indépendant pour le moment des intérêts de la classe dominante et du libéralisme européen.

Joseph Semet peut avoir des idées "stratégiques" mais il faut aussi tenir compte des faits. François Bayrou a voté systématiquement depuis 2002 (contrairement aux parlementaires socialistes), tous les grands textes demandés par le MEDEF ( 15 octobre 2002 sur les salaires, le temps de travail et l’emploi ; 3 juillet 2003 sur la Loi Fillon retraites ; 7 avril 2004 sur la formation professionnelle...).

François Bayrou a voté systématiquement depuis 2002 (contrairement aux parlementaires socialistes) tous les textes de transposition des directives européennes de "libéralisation" : par exemple 17 décembre 2002 sur l’énergie et 23 mai 2005 sur l’ouverture des services postaux à la concurrence.

François Bayrou reprend aujourd’hui la principale bataille du MEDEF pour ces présidentielles, à savoir transformer le Code du travail en une simple énumération de "principes".

Le rôle du petit courant "démocrate chrétien" français dans la construction d’une Europe libérale ( et si possible cléricale) n’est pas nouveau. Vieux militant, Joseph Semet sait que le MRP a parfaitement porté les intérêts du grand capital et de l’enseignement catholique durant toute la 4ème République. Jean Lecanuet ("centriste" dont se réclame l’UDF Bayrou), s’est plusieurs fois opposé à De Gaulle ; pourtant, dans les manoeuvres internes à la droite de 1969 à 1974, ne représentait-il pas les intérêts du patronat le plus lié au capitalisme transnational ? Bayrou lui-même n’a-t-il pas voté chaque grande loi libérale du gouvernement Raffarin avant sa comédie ni droite ni gauche de cette campagne ? Non.

2) Pour quelle raison Joseph Semet appelle-t-il à voter Bayrou ? Je vous le donne en mille : pour faire exploser le Parti Socialiste.

" Mais alors quel intérêt à vouloir le succès (de Bayrou) ?

" Et bien, c’est de tout faire pour que le Parti Socialiste éclate à la suite d’un nouveau 21 avril, car c’est le principal obstacle à l’organisation politique d’une lutte anti-capitaliste dans notre pays ; cela a été démontré avec éclat lors de la campagne pour le traité constitutionnel : les hiérarques avec 60% des adhérents étaient pour le oui !!!

" Entre 1965 et 1969, les militants socialistes anticapitalistes ont tout fait pour faire éclater la SFIO avec ses compromissions tout azimut ; elle n’était plus composée en majorité que d’employés municipaux (seuls le Nord-Pas-de-Calais et l’Allier avaient gardé leur base ouvrière) ; cette stratégie permit de faire surgir un nouveau Parti Socialiste qui vit le jour à Epinay en 1971 pour faire une politique d’union de la gauche. Mais sa confiscation par la mafia mitterrandesque fit partir au fil des ans bon nombre de militants à tel point que les "clients" des féodaux mitterrandistes furent rapidement majoritaires, et cela aboutit au désastre du 21 avril 2002 après que l’ineffable Jospin ait promis le démantèlement d’EDF et des retraites à Barcelone et avait déjà effectué celui du Code de la Mutualité (alors qu’il n’y était pas obligé s’il avait institué pour elle un périmètre de prestations obligatoires selon le Droit européen)".

Quel est l’objectif de ce stratège ?

" Il faut donc créer les conditions pour que le maximum de militants de gauche qui restent au PS (10% tout au plus) le quitte ; la création d’un Linkspartei à l’allemande avec ce qui reste de militants réellement communistes au PC est à ce prix.

Et pour cela il nous faut un nouveau séisme politique.

Le 21 avril 2002 n’a pas été déterminant,

Le 29 mai 2005 n’a pas été suffisant,

Eh bien continuons jusqu’à cela marche ; et que le 23 avril 2007, grâce à la défaite de Ségo, réussisse

Alors pas d’hésitation, par stratégie bien comprise, votons et faites voter BAYROU !"

3) Que répondre ?

- agiter l’épouvantail Sarkozy pour mieux blanchir Bayrou n’est pas sérieux. Bayrou a voté toutes les dangereuses lois Sarkozy, par exemple celle sur la sécurité intérieure du 28 janvier 2003 et l’état d’urgence.

- agiter l’épouvantail du oui socialiste au Traité Constitutionnel Européen pour mieux blanchir Bayrou n’est pas sérieux non plus. L’UDF a marché à fond, sans problème sous la bannière de l’Europe libérale.

- la famille historique ( du MRP à l’UDF) dont se réclame François Bayrou a toujours été le bras politique de l’enseignement confessionnel. En 150 ans, un seul ministre a essayé de modifier la loi Falloux en un sens encore plus favorable à l’enseignement privé : c’est Bayrou. N’imposons pas au mouvement laïque de rééditer la grande manifestation de janvier 1994 ; il n’est pas certain que nous en ayons les forces.

- la droite et la gauche ne sont pas seulement deux regroupements politiques. La droite représente bien les intérêts du grand capital et des conservateurs ; la gauche représente ( pas toujours bien) les couches populaires. Une défaite électorale de la gauche crée toujours une situation plus difficile pour l’aboutissement des luttes ouvrières, jeunes et populaires.

- une défaite de Ségolène Royal serait une défaite de toute la gauche, que ce soit au profit de Sarkozy ou de Bayrou. Autant aujourd’hui, une alternative au plan Power 8 d’EADS paraît plausible sur la base de la mobilisation des salariés et d’une possible victoire de la gauche aux présidentielles et législatives, autant après un échec le 22 avril, il ne faut pas y compter. Il en va de même pour tous les projets que le MEDEF a préparé, par exemple pour une refonte du code du travail.

- une défaite de Ségolène Royal serait une défaite de tout le parti socialiste, pas seulement des proches de "Ségo", une défaite de toute la gauche, pas seulement du Parti socialiste. Ce n’est pas Mai 68 qui a maintenu la gauche éloignée du pouvoir de 1958 à 1981, mais l’effondrement de la SFIO comme force politique nationale crédible. Or, le réseau socialiste issu de l’histoire longue d’un pays comme le nôtre ne se remplace pas d’un coup de baguette magique. Et les occasions manquées ont parfois de grandes conséquences. Je suis persuadé par exemple qu’une victoire électorale de la gauche aux législatives de 1973 aurait pu modifier positivement l’évolution du rapport de forces international.

- L’histoire ne repasse pas les plats. Depuis 1973, à aucun moment le rapport de force européen et international n’est redevenu aussi favorable à une réelle expérience politique socialiste. La montée du mouvement social et des victoires récentes comme en Amérique latine permettent de penser que nous sommes moins isolés aujourd’hui qu’en 1981.

- Se dire "ce coup-ci on passe un tour pour mieux préparer l’avenir" ne tient pas debout. Sur le champ politique quand on gagne une bataille y compris une élection, même les citoyens les moins politisés se réjouissent et vont de l’avant ; quand on perd une bataille, même parmi des militants politisés règne un climat d’échec, de pêche à la ligne, de repli.

- Identifier le Parti Socialiste de 2007 et la SFIO de 1965-1971 n’a aucun sens. La SFIO pesait 5% lors des présidentielles de 1969 et le PC 21%. Aujourd’hui, en Aveyron par exemple, à 95 %, le rapport de force de la gauche contre la droite, les grands possédants et les conservateurs passe par le Parti socialiste. Dans la plupart des cantons, il est le seul à disposer d’adhérents et encore plus d’élus. Une majorité de syndicalistes encartés politiquement le sont dans cette organisation.

- Ce qui les renforcerait les militants socialistes anticapitalistes, ce n’est pas une défaite de Ségolène Royal mais au contraire sa victoire et l’espoir ainsi concrétisé d’un vrai changement.

- Joseph Semet espère une explosion du Parti Socialiste pour mieux construire une force antilibérale. Quelle force antilibérale ? Avec des cadres politiques qui ont fait voter Bayrou ? Jamais.

- Quelle est la raison d’être des Lecanuet, JJSS, Bayrou... ? La classe dominante française n’a pas encore réussi son objectif majeur depuis la Révolution française, une possibilité d’alternance tranquille entre :

* un grand parti libéral conservateur

* une gauche "gouvernementale" indépendante de la gauche anticapitaliste, une gauche "gouvernementale" ne construisant pas son électorat sur la satisfaction des aspirations ouvrières et populaires.

Ces deux échecs vont de pair. Aussi, la droite s’est toujours reconstruite autour de dirigeants conjoncturels faisant vibrer la corde bonapartiste du candidat de tous les Français ; la cinquième République a été constitutionnalisée à cet effet.

Pourquoi des "libéraux démocrates chrétiens" à la Bayrou ?

- parce que la solution "bonapartiste" ne leur paraît pas la meilleure,

- pour éviter au maximum la polarisation gauche droite,

- pour gagner des voix à gauche,

- pour tendre la main à la gauche la plus modérée,

- pour garder une solution de rechange quand le bonapartisme est au bout du rouleau ( c’est ce qui est arrivé par exemple en 1974).

- pour conserver aussi des électorats locaux hostiles à la gauche, mais voulant conserver une indépendance vis à vis de la droite "autoritaire bonapartiste".

Conclusion : Respublica revendique à la fois :

* le souhait d’un maximum de clarté politique, par exemple dans ses critiques vis à vis de courants soutenant José Bové

* la diversité de son comité de rédaction allant de Corinne Lepage ou François Bayrou à Arlette Laguiller

Or, sur le terrain de la refondation de la gauche et encore plus d’une gauche antilibérale, le clivage droite gauche par exemple doit faire partie du socle commun minimum sur lequel nous ne pouvons transiger.

Jacques Serieys

Complément ajouté à cet article le matin du 9 mars 2007


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