La Gauche et la République sont-elles solubles dans le centrisme ? (Patrick Trannoy MRC)

mardi 17 avril 2007.
 

... Un troisième homme ; j’ai toujours été sensible à l’idée que l’élection présidentielle n’est pas jouée d’avance, et que la démocratie a son mot à dire. Un centriste ; là ça se gâtait, mais celui-ci, nous disait-on, était prêt à gouverner avec la gauche. Un homme de lettres, un terrien, en phase, donc, avec la France, sa culture, son histoire, son modèle. François Bayrou.

L’homme est intéressant, le "paysan béarnais" abondamment photographié avec ses chevaux ne saurait avoir mauvais fond. On se souvient tous de son "quand on pense tous la même chose, on ne pense plus rien", qui résonnait comme un "merde à Chirac, merde à Juppé". Voilà qui suscite d’emblée la sympathie de tout homme de gauche ! Et mon hebdomadaire préféré, Marianne, m’injecte chaque semaine une dose de sérum pro-Bayrou censé finir par laisser des traces.

J’ai donc écouté attentivement François Bayrou, et j’ai lu son programme. J’invite d’ailleurs tous ceux qui sont tentés de voter pour lui à en faire autant avant de passer dans l’isoloir !

Sur l’Europe, François Bayrou promet un "texte clair et lisible", élaboré "dans la transparence". Sur son contenu, vous ne saurez rien. Les politiques monétaire et commerciale de l’Union Européenne, qui causent les délocalisations, le nivellement mondial par le bas, le chômage de masse, seront-elles remises en cause, comme s’y engage, pour sa part Ségolène Royal ? Pas un mot là-dessus ! Mais l’ombre tutélaire de Valéry Giscard d’Estaing, ( si, si, rappelez-vous, le centriste d’avant Bayrou), laisse augurer du pire.

Sur les Services Publics ? Le mot ne figure même pas dans le glossaire du programme Bayrou. C’est dire l’importance qu’il leur accorde ! Il parle avec, des trémolos dans la voix, des postiers, si indispensables à certaines populations, notamment âgées et rurales. Mais au Parlement Européen, les députés centristes votent systématiquement toutes les libéralisations !

Sur la fiscalité ? Après l’harmonisation fiscale et sociale européenne (dont Bayrou se garde bien de dire dans quel sens il veut la faire !), la deuxième proposition est l’abaissement du taux de l’impôt sur la fortune !

Sur la laïcité ? François Bayrou s’en fait aujourd’hui le champion. Il était pourtant contre la loi sur les signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. S’il appelle aujourd’hui à la rédaction d’un code, il se garde d’en donner le contenu. Sera-t-il négocié avec les Eglises ? On peut le penser, puisque Bayrou déclare "la laïcité n’est pas l’ennemi de la conviction religieuse, mais la prise en compte de toutes". Devant la commission Stasi, il avait déclaré "la laïcité dit : ’il y a du sacré’". Non ! La laïcité n’est ni l’ennemi de la conviction religieuse, ni la prise en compte de toutes : c’est la séparation entre la sphère privée et la sphère publique, dans laquelle la religion, le "sacré" n’ont pas droit de cité !

En clair, Bayrou a été sincère au moins à un moment : lorsqu’il a rappelé, chez sa copine Christine Okrent, dans France Europe Express, le 18 février 2007, qu’il se sent l’héritier "de Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre". Ca sent le progrès social à plein nez !

Vous avez déjà voté Giscard en 1974 et 1981, Barre en 1988, et j’ajouterais volontiers Balladur en 1995 ? Alors, oui, Bayrou est le candidat qu’il vous faut  ! D’ailleurs, l’éphémère candidat "d’alternative libérale" ne s’y est pas trompé, et appelle à voter Bayrou, tout comme le partisan du "moins d’impôts-moins d’Etat-moins de solidarité", l’inénarrable patron de "Contribuables Associés", Nicolas Miguet !

Et quand Bayrou propose de transcender les clivages, de quoi parle-t-il ? De faire mener la politique de la droite par ceux qui, à gauche, en sont les plus proches : DSK, Kouchner et quelques autres. La fine fleur de la pensée unique rassemblée dans le giron du giscardisme, voilà l’axe stratégique de François Bayrou ! Ca rappelle un autre consensus : celui de l’Europe libérale, oligarchique et atlantiste, symbolisée par Jacques Delors, dont Bayrou déclare qu’il en aurait bien fait son premier Ministre, s’il avait été plus jeune.

On est loin du retour du « Tiers Etat » dans la décision politique, de cette révolution républicaine à laquelle voudrait faire croire le sympathique candidat béarnais. Sous le verbiage, l’orléanisme et la démocratie chrétienne n’ont rien perdu de leur identité profonde.

Alors j’entends dire que, face à Sarkozy, Bayrou aurait plus de chance de l’emporter que Ségolène Royal. Certes. Tout candidat de droite qui réussit le subterfuge de faire aussi voter la gauche en sa faveur obtient mécaniquement un bon résultat ! Mais si François Bayrou est président de la République, n’aurons-nous pas une version, certes moins inquiétante dans la forme, mais à peine édulcorée sur le fond, de la politique de Nicolas Sarkozy ?

Il est clair que, pour faire barrage à Sarkozy, à sa vision communautariste, atlantiste et libérale de la société, on ne saurait composer avec lui. On ne saurait composer avec sa doctrine. On ne saurait lui laisser le champ libre aux élections législatives, ce qui ne manquerait pas de se passer si l’on élisait François Bayrou, le Président sans majorité alternative, qui devra gouverner avec l’U.M.P..

Dans ces conditions, le seul vote républicain et social fondé en raison, c’est le vote Royal. L’heure est au rassemblement de la gauche derrière celle qui est en situation de dernier rempart à la droite. Madame Royal elle-même serait bien inspirée, dans les moins de quinze jours qu’il lui reste, d’aider le peuple de gauche et tous les républicains sincères à s’en rendre compte, et de mobiliser son camp !

A cet égard, elle pourrait utilement revenir aux sources du NON populaire du 29 mai 2005, qui a rassemblé 55% de Français, plutôt que de se perdre, parfois, dans des discours libéraux-girondins, qui risquent de faire préférer à certains l’original centriste à la copie sociale-libérale.


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