1) Albert Camus, « Ecrits libertaires 1948-1960 » (Robert Duguet)
2) Comme disait Brel » Ce n’est qu’après, longtemps après… » que tu mesures la portée d’un écrivain, d’un philosophe, d’un homme simplement
Un homme au destin singulier, qui semblait embarqué pour un autre futur. Un avenir où littérature et pensée se voyaient de si loin qu’on les croyait faites pour d’autres. Né juste avant la guerre, la Grande, et du coup, orphelin d’un père pas rencontré, enfant d’une mère analphabète, ou presque, Camus, c’est l’honneur de l’école publique, de l’école du peuple, celle qui émancipe, qui rend libre à jamais. Il y eut dans sa vie un instituteur opiniâtre, Monsieur Germain, qui se bagarra pour qu’il puisse entrer au lycée. Ah ! Le fameux concours des bourses ! En aura-t-il sauvé des gamins qui n’auraient même pas rêvé de s’asseoir sur les bancs d’un collège !
Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, que reste-t-il de Camus ? Les mémoires étant par définition sélectives, certains se souviendront sans aucun doute de l’écrivain magistral qu’un présidentuscule veut panthéoniser, au grand dam de tous les esprits libres, et de tous ceux aussi, et ils sont nombreux, qui aiment le cimetière de Lourmarin. (Encore que, pour le Panthéon, c’est un peu comme pour la Légion d’Honneur, c’est bien gentil de le refuser, mais encore faudrait-il ne l’avoir pas mérité !!!) D’autres ressasseront à l’envi l’affaire algérienne, sale blessure mal cicatrisée de nos passés enfouis. En lui reprochant de ne pas assez avoir défendu les légitimes combats indépendantistes. Camus leur répondait qu’entre les idées et sa mère, il choisissait sa mère. Et pourquoi pas ?
Ceux-là n’oublieront pas les querelles de l’époque. Tu étais pour Sartre ou pour Camus. Autre temps, autres mœurs ! Quand on voit ce qu’est devenue l’intelligence française ces dernières années, où un bellâtre endimanché fait office de penseur, où pour être adoubé philosophe, il te suffit de t’asseoir tout un dimanche chez Drucker, où des gratteurs de guitare jouent le rôle d’éveilleurs de conscience et où la pétition tient lieu de révolte, on se prend à rêver à de justes empoignades. D’autres préfèreront le résistant, ou le journaliste de « Combat », d’autres encore celui qui dénonça bien avant qu’il en soit la mode le stalinisme et la bombe atomique, même si ça devait « désespérer Billancourt ».
Et vous ? Vous gardez quoi de cet homme révolté, de cet intellectuel engagé (à gauche, forcément à gauche…), de cet écrivain nobélisé à 44 ans, et qui dédiait son discours à son instituteur, de cet amoureux d’une actrice flamboyante dont plus personne ou presque ne parle, de ce père aimant, de cet enfant d’un pays déchiré ? Vous gardez quoi ? Et moi ? Oh c’est très bête ! Ce fut un matin de chaleur aveuglante, il y a eu 30 ans cet été, dans les ruines de Tipaza, l’émotion submergeante, foudroyante, qui monte irrésistiblement aux yeux, et là, relire ses « Noces », adossée à peut-être la même colonne, en grillant une énième cigarette, quand on ne les chassait pas encore des images officielles, en hommage à…, en souvenir de… Eh oui ! On a connu des Panthéons plus sinistres !
Brigitte Blang
(J’oubliais, c’est idiot, à Tana, ou Antananarivo, si vous préférez, le centre culturel français, au cœur de la ville, il s’appelle Albert Camus, justement.)
3) Il y a cinquante trois ans mourait Albert Camus
Source : http://www.humanite.fr/Nouvel-artic...
L’auteur de « l’Homme révolté » avait quarante-sept ans. Prix Nobel de littérature, il était hanté par l’absence de Dieu et habité par la liberté humaine.
Quatre janvier 1960. Une Facel Vegas’écrase contre un arbre dans l’Yonne. C’est la voiture de Michel Gallimard, fils de l’éditeur. À son bord sa femme Janine, sa fille Anne et Albert Camus. Michel Gallimard mourra cinq jours plus tard. Camus est tué sur le coup. Il avait quarante-sept ans. On retrouvera dans l’épave son dernier manuscrit, inachevé, le Premier Homme. Il est dédié à sa mère avec ces mots : « À toi qui ne pourras jamais lire ce livre. » Catherine Camus n’a jamais appris à lire. Restée veuve en 1914 après la mort de son mari, modeste employé de la viticulture, mobilisé et blessé au front, elle devra travailler dur pour élever ses deux fils. Lucien, l’aîné, et Albert, né en 1913 à Mondovi, en Algérie. Lorsqu’il lui dédie ce livre, il est prix Nobel de littérature. Il l’a reçu en 1957 et l’a dédié, cette fois, à son instituteur, Louis Germain. C’est lui qui, ayant remarqué les aptitudes du gamin, lui obtiendra une bourse pour entrer au lycée d’Alger. Il y brillera davantage comme gardien de but dans l’équipe de foot que par des résultats exceptionnels, mais il se liera toutefois d’amitié avec son professeur de philosophie, Jean Grenier.
La philosophie. On disputera longtemps à Camus ce terrain. Car, très vite, il en fait beaucoup. Théâtre, adhésion au Parti communiste quitté deux ans plus tard, journalisme à Alger républicain avec une série de reportages sur la misère de la Kabylie. En quelques années, il écrit ses pièces – le Malentendu, les Justes, Caligula ; ses romans – l’Étranger, la Peste, la Chute ; ses essais – l’Envers et l’endroit, le Mythe de Sisyphe, l’Homme révolté. Pendant la guerre, il écrit dans Combat, l’un des journaux de la Résistance, et devient dès l’après-guerre son éditorialiste. C’est à ce titre que, le 8 août 1945, au surlendemain d’Hiroshima, il est le seul, oui le seul, à adresser au monde cette mise en garde : « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. » « … je choisis ma mère »
Certains pensent qu’il en fait trop. D’autres pas assez, quand le conflit en Algérie devient une guerre et que, déchiré, il lancera un jour cette phrase qui semble aller contre son oeuvre : « Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère. » On a sans doute mal compris, longtemps, l’indifférence de Mersault, le personnage de l’étranger, à l’égard de sa mère : « Aujourd’hui, maman est morte… » Car Camus ne fut jamais l’homme des certitudes ou de la raison totalisante, comme dirait à peu près Sartre. Hanté par la mort et l’absence de Dieu, sa révolte n’est pas contre la condition humaine, mais contre ce qui asservit l’homme.
« Nous portons tous en nous nos bagnes et nos ravages. Mais notre tâche n’est pas de les déchaîner à travers le monde. Elle est de les combattre en nousmêmes et dans les autres. » (L’Homme révolté).
MAURICE ULRICH
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