« Genet est une sorte de paria institutionnalisé, une figure de l’écart, du retournement » par Agnès Vannouvong

dimanche 7 novembre 2010.
 

En lever 
de rideau des événements qui vont marquer le centenaire de Jean Genet, un colloque international, « Jean Genet et les arts », se tient en ce moment. Organisatrice de cette manifestation, Agnès Vannouvong, qui a publié récemment Jean Genet, les revers du genre, fait le point sur ce que nous apportent les lectures récentes sur le genre et les travaux sur l’esthétique de Genet.

Genet a très tôt fait l’objet d’études, d’interprétations. Au moment 
où l’on s’apprête à commémorer
le centenaire de sa naissance, 
que savons-nous de lui  ?

Agnès Vannouvong. Genet est une sorte de paria institutionnalisé. Il a été inscrit au répertoire de la Comédie-Française, édité dans «  la Pléiade  », Sartre ayant commencé ce travail bien avant cela avec Saint Genet comédien et martyr, en 1952. Mais c’est une figure de l’écart, du retournement, de l’inversion, qui n’a jamais fait partie du système. Ce qu’apportent les études sur les questions de genre, c’est une lecture sexuée, plurisexuée, l’idée que les identités, en général mais plus encore chez Genet, ne peuvent pas être enfermées dans des catégories. Une catégorie comme celle 
du masculin et du féminin peut être redéfinie autrement que sous une forme essentialiste, mais sous une forme socioculturelle qui passe chez Genet par diverses formes,
le travesti par exemple, 
l’homme qui ressemble à une femme, ou la femme qui ressemble à l’homme.

Son but n’est pas de franchir 
une frontière, mais de dire que 
la frontière ne signifie rien.

Agnès Vannouvong. Ce qui le caractérise, c’est l’instabilité. Instabilité des postures, des représentations. Il est toujours à la marge, ni d’un côté ni de l’autre. Il est du côté des Palestiniens, mais ne veut pas être affilié à cette cause. Il leur dit  : « Le jour où vous serez une nation je ne serai plus là. »

Il dit d’ailleurs  : « Je n’aime pas 
les opprimés. »

Agnès Vannouvong. Il est de leur côté, mais il reste debout dans la révolte. C’est une figure de révolté qui ne veut pas ressembler aux autres. C’est son instabilité fondatrice. Pour autant, on ne peut pas dire que Genet n’est pas engagé, bien au contraire. Il l’a été, aux côtés des Black Panthers, des Palestiniens. Il a soutenu les militants de 1968 poursuivis par la justice, ceux de la Fraction armée rouge, la lutte des prisonniers. Mais, bien qu’il l’approche, il fuit l’idée de communauté. Dans un texte posthume, il parle très bien de cette idée selon laquelle la communauté ne lui permet pas de s’affranchir. C’est un paradoxe chez lui, être dans quelque chose et être à l’extérieur. Genet est plus un poète qu’un écrivain au sens politique de ces années-là.

Genet travaille en construisant des figures qui peuvent prendre des caractéristiques identitaires, tout en étant dans une certaine insécurité.

Agnès Vannouvong. La fragilité chez Genet est ontologique. Ce qui l’intéresse, ce sont les interstices, les brisures, les cassures. C’est pourquoi ses textes parlent à tout le monde, pas seulement aux intellectuels, aux Noirs, aux Palestiniens, mais aux hommes, en général. Au fond, les schèmes sont eux-mêmes fragiles. Rien ne dispose à devenir homosexuel, ou hétéro, ou autre chose, et c’est cette instabilité qu’il met en scène en permanence, jusqu’à la perte des repères. Divine (1), on ne sait plus à la fin ce qu’il est, et on l’oublie. Il y a un mystère Divine.

Vous caractérisez son théâtre comme « théâtre d’images ».

Agnès Vannouvong. L’image préforme son écriture. Elle engendre dans son théâtre des motifs comme celui du reflet, le fait qu’on se perd sans cesse dans un piège d’images, un palais de miroirs. Cette perte de repères renvoie à celle du spectateur, comme dans les Paravents ou le Balcon. C’est un théâtre foisonnant, shakespearien, où parfois on ne sait plus où on en est. La révolution dans le Balcon est-elle vraie, est-elle fausse  ? Est-elle à l’intérieur ou à l’extérieur  ? Sommes-nous dans le réel ou dans l’imaginaire  ? Quelle place le spectateur a-t-il dans ce théâtre  ?

Pourquoi ce colloque a-t-il pour thème « Genet et les arts »  ?

Agnès Vannouvong. J’avais envie de sortir de ce qui est le plus étudié, le théâtre, le roman, et de montrer toute la pluralité de ses intérêts. Quand il parle de la solitude infinie de L’homme qui marche, de Giacometti, c’est de lui qu’il parle. On peut le voir comme un critique d’art qui est aussi un artiste, comme Baudelaire l’entendait. Il est temps de faire un état des lieux de l’esthétique genétienne, dans la peinture, la sculpture, le dessin ou le cirque et le cinéma, de réfléchir sur la question de l’image et de la représentation, des rapports entre les différentes disciplines. J’ai voulu demander à des écrivains contemporains, Gilles Leroy, René de Ceccatty, Gilles Sebhan, Marie Redonnet, de parler du dialogue entre l’univers de Genet et leurs œuvres, et d’inviter des comédiens pour donner voix à Genet. Un Genet différent va sortir de cette rencontre. On va sans doute prendre la mesure de l’artiste qu’il était.

(1) Personnage travesti 
de Miracle de la rose.

Entretien réalisé par Alain Nicolas


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