Deux cent vingt ans après la prise de la Bastille, les nouvelles bastilles sont un défi à la raison. Des centaines de millions d’hommes de femmes et d’enfants vivent avec moins d’un euro par jour, mais ce n’est pas tout. L’accès à l’eau, la pollution massive de l’air, l’accès aux soins, à l’éducation, la situation des femmes, des enfants, des minorités sont autant d’inégalités abyssales et souvent criminelles dans un monde dont on dit qu’il est devenu un village. Dans les pays développés, en France, comment peut-on justifier le fait que le PDG d’un grand groupe gagne trois cents fois plus que les salariés du même groupe ? Qu’est ce que l’égalité pour les salariés les plus modestes, les chômeurs, les jeunes passant de stage en stage et soumis à la précarité, les immigrés privés du droit de vote, les sans-papiers, les sans-logis ?
La crise a révélé les multiples scandales des parachutes dorés, des stock-options, des bonus phénoménaux que se servent les grands patrons et leurs cercles dirigeants. L’indignation semblait même avoir gagné le chef de l’État, pourtant leur ami, fronçant le sourcil, rehaussant ses épaules et forçant la voix. On a bien sermonné quelques têtes mais c’est reparti de plus belle, et surtout rien n’a changé dans ce qui est le fond du système. L’accaparement par un petit nombre des richesses produites par le travail du plus grand nombre. Cela s’appelle le capitalisme. Les rentes versées à ceux qui doivent tout au labeur des autres : cela s’appelle des dividendes.
Est-ce donc si évident ? Sans doute pas, car on a vite fait de réduire l’égalité à la lutte contre les inégalités, puis à la lutte contre les discriminations. Elles sont évidemment insupportables. Les écarts de salaires entre hommes et femmes sont scandaleux, comme sont scandaleuses les barrières dressées, à l’embauche, dans la vie, en raison des origines, du nom, des préférences sexuelles ou de toute autre expression de la diversité qui fait la richesse humaine. L’égalité, ce n’est pas l’uniformité, c’est au contraire la possibilité pour chacun d’être lui-même. C’est, pour emprunter à Marx cette formule par laquelle il définissait le communisme : « Le libre épanouissement des facultés créatrices de chacun sans étalon préétabli. » Ce qui veut dire aussi que l’égalité n’est pas seulement une réponse nécessaire et urgente aux injustices mais le développement de la liberté de chacun.
Nicolas Sarkozy et le patron des patrons européens, Ernest-Antoine Seillière ont singulièrement les mêmes mots, à peu de choses près, pour opposer égalité et liberté. C’est une vieille lune de la pensée libérale et réactionnaire. On peut s’étonner, du reste, qu’elle vienne dans la bouche du président de la République, quand Égalité et Liberté sont avec la Fraternité la devise précisément de la République. Elle ne lui convient pas ? Mais liberté et égalité forment bien un couple indissociable, dont la fraternité pourrait bien être le rejeton. Les trois termes, dans leur tension, dans leur devenir, expriment cette communauté des hommes, se reconnaissant tous comme des sujets libres et associés dans la prise en charge de la chose publique et la construction d’une humanité commune. C’est bien ce qu’entendait Jaurès quand il écrivait que l’Humanité est à venir.
Il n’est pas un pouce de la planète désormais qui échappe à l’exploitation de l’homme par l’homme et à l’épuisement des ressources de la planète par la course au profit. Mais le capitalisme modernisé n’est pas la modernité. Il est ce qu’il faut dépasser, dans la conquête permanente de nouveaux droits, de nouvelles libertés. Les hommes naissent libres et égaux en droits. Ce n’est pas un constat. C’est une affirmation et un programme d’action.
Date | Nom | Message |