Identité nationale sous pression
Au moment ou Eric BESSON commande un "grand débat" sur l’identité nationale il est utile de pointer une évolution dans la combinaison des valeurs républicaines. Le "carré républicain", à savoir Liberté, Egalité, Adelphité, Laïcité, est en train de remplacer dans les esprits si ce n’est dans la constitution le vieux triptyque Liberté, Egalité, Fraternité. Ce faisant un double déplacement s’est opéré sur fond d’héritage ambigu. L’histoire post-révolutionnaire montre une double ascension : celle du féminisme et du droit des femmes d’une part et celle de la sécularisation et de la laïcité d’autre part.
Que les termes de l’héritage soient ambigus n’est pas nouveaux. Ernst Bloch a écrit [1] sur cet aspect : "Avec ses trois mots, l’on crut que tout ce qui nous concerne pourrait être rendu sain, harmonieux, sans contrainte. Mais on voit aussi ceci : on ne peut absolument pas dire que tout va bien en eux-mêmes et entre eux ; ils sont pleins d’ambiguïté. L’usage que la bourgeoisie a fait de ses mots, ce à quoi ils ont servi, n’est pas passé sur eux sans laisser de traces. Le tryptique n’a pas empêché la montée du colonialisme et de son corrolaire le racisme. L’auteur ajoute : "Leur meilleure part n’a pas encore fait surface." Il écrivait cela en 1961 ! Plus de quarante ans après la formule porteuse de délivrance est toujours à réaliser. Reste à voir ce qui à bougé depuis.
L’apparition de forces nouvelles a modifié l’équilibre des valeurs républicaines. Depuis 1961 il y a eu Mai 68 contre l’ordre conservateur puis avec quelques années de décalage la succession de lois en faveur des femmes . Un changement historique s’est réalisé durant les 40 dernières années en France . Les droits de l’Homme se nomment de plus en plus droits humains. La fraternité devient adelphité. Face au retour en force plus récent du religieux dans le monde la laïcité a réémergé, notamment en mars 2004, comme rempart pour la paix, l’égalité et la tolérance réciproque. Depuis 1789, et surtout depuis 1905, la laïcité a peu à peu conquis sa place non seulement au sein de l’Etat mais aussi, dans une certaine mesure, dans la société civile en repoussant l’emprise, tant par en-haut que par en-bas, du religieux. Ajoutons que depuis 1972, la France s’est dotée d’une législation antiraciste qui participe pleinement de la bonne réalisation du tryptique. La création de la HALDE [2] le 31 décembre 2004 montre qu’une loi avec des associations actives ne suffisaient pas à faire reculer le mal sous toutes les formes [3].
Droits des femmes et laïcité ; ces deux combats historiques se sont articulés au triptyque républicain en le remodelant. La liberté est conçue comme "liberte-délivrance" - pour reprendre la formule d’ Ernst Bloch - laquelle ne s’accommode pas du statu quo même quand des lois stabilisent un meilleur rapport de force . Cette libération de l’oppression ne va pas sans être conjuguée avec l’égalité et ce dans ses formes diverses. Dés lors la fraternité désormais comprise comme adelphité s’entend comme dynamique sociale libératrice des oppressions et domination sexistes en vue de l’égalité dans le genre. De cette égalité naitra une société pleinement pacifique.
Reste encore une touche que le mouvement altermondialiste pourrait porter prochainement contre une interprétation néolibérale : la reconnaissance de "la gestion publique des biens publics". Tout autant que la terre la "chose commune" a pour nom l’eau, l’énergie, le logement, la scolarisation, la santé, etc... et donc des droits d’accès pour tous et toutes.
Par rapport aux "nationaux-libéraux", défendons notre identité comme étant celle des résidents citoyens ou aspirant à le devenir - extension ici de la démocratie [4] - attachés à des politiques sociales s’adressant à tous et toutes sans distinction d’origine et à des politiques environnementales justes, qui donc frappent d’abord les riches et les entreprises et non les prolétaires [5] . En ce sens la France dans laquelle une grande majorité de la population puisse se reconnaître est celle qui donne des moyens de vivre bien à tous et surtout à celles et ceux "d’en bas". Ce qui suppose de revaloriser et étendre les services publics et à travers eux une orientation d’intérêt général propre à satisfaire les besoins sociaux.
En outre, au plan des valeurs la France que nous aimons est celle qui s’engage pour la paix et la lutte contre les discriminations, celle qui offre l’asile aux réfugiés politiques et aux migrants. Loin du nationalisme frileux et xénophobe elle milite pour l’amitié entre les peuples. La solidarité entre les peuples-classe n’est pas compatible avec le national-libéralisme sarkozien. Le changement est à l’ordre du jour . Tous les acteurs historiques en charge de le mener doivent s’unir à cette fin dans le respect de leur diversité.
Christian Delarue
Notes
[1] in Apories et héritage du tricolore : Liberté, égalité, fraternité qui est le titre d’un chapitre de "Droit naturel et dignité humaine" de Ernst BLOCH Ed Payot
[2] Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité
[3] Contre l’islamophobie, pour la laïcité et le droit des femmes
[4] Quelle justice sociale ici face à la crise climatique ? Pourquoi il est important de donner le droit de vote aux résidents étrangers. Paul ORIOL
[5] Au commencement, l’exigence républicaine » Ch. Piquet
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