Daniel Bensaïd, critique d’une République marquée par la monarchie présidentielle

vendredi 13 mars 2009.
 

Moi, la Révolution Daniel Bensaïd Don Quichotte, 352 pages, 20 euros

Fragments mécréants Lignes, 192 pages, 16 euros

Réédition. Daniel Bensaïd, une parole de conviction

Sa voix et sa plume sont de celles qui manquent à la gauche intellectuelle. Bien trop tôt disparu en 2010, le philosophe Daniel Bensaïd reste un aiguillon de la pensée de gauche, comme l’attestent deux textes de circonstance réédités, écrits avec brio et mordant. Dans Moi, la Révolution, paru en 1989, celui qui fut un des fondateurs de la LCR règle ses comptes avec Mitterrand et la célébration du bicentenaire. Dans ce texte virevoltant écrit à la première personne, les voix de Daniel Bensaïd et de la Révolution se mêlent pour dénoncer l’approche consensuelle, affadie et lissée. Il lui oppose une Révolution «  querelleuse, débraillée, soupe au lait, entière et intransigeante  ». Pour Bensaïd, Mitterrand, «  concentré de venin  », est le poursuivant de Thermidor. «  Homme de Plaine, tu ne régneras jamais que sur les clapotis du Marais  », lance la Révolution de Bensaïd au double monarque républicain, qui entend en finir avec la complexité de la Révolution, simplifiant 1789, ignorant 1793. Opposant Saint-Just à Condorcet, Olympe de Gouges à Talleyrand, Jean-Baptiste de Cloots au Robespierre «  flic et sectaire  », le philosophe parle de la «  victoire défaite  » de la Révolution.

«  la mythologie consensuelle républicaine  »

«  Bourgeoise et “impropriétaire”, française et cosmopolite, classique et unique en mon genre, j’ai le goût des mélanges.  » La Révolution ne se laisse ni définir ni contenir dans son inspiration à «  s’illimiter  ». Selon Bensaïd, le souffle de la Révolution continue d’agiter les limites sociales, nationales, sexuelles. En revisitant les complexités de la période révolutionnaire, il met en évidence les exigences toujours continuées de cette inspiration  : citoyenneté pour tous les demandeurs, égalité stricte hommes-femmes, espace social et civique unique. Ce texte de circonstance résonne près de trente ans plus tard de façon particulière, comme le fait remarquer Arlette Farge dans sa préface, selon qui «  la tentation monarchique est toujours présente.

L’actuel président de la République, Emmanuel Macron, n’a-t-il pas évoqué dans la revue Challenges (en 2016) qu’existait “ un traumatisme monarchique ” tenant à la mort du roi Louis XVI  ?  ». Le goût macronien pour les ors de la République et sa pente autoritaire donnent du sens à l’opposition que Bensaïd opère entre Révolution et République, entre renversements universalistes, sens de l’État et soumission aux puissants. Pour Bensaïd, il s’agit toujours de remplacer le droit à la propriété par le droit à l’existence. Le bonheur reste une idée neuve en Europe.

Dans Fragments mécréants, paru en 2005 et réédité aujourd’hui, Daniel Bensaïd réagit à la «  loi foulardière  » pour remettre une fois encore en cause «  la mythologie consensuelle républicaine  ».

«  Résister, lutter, ne pas céder à la lassitude ou à la résignation  »

Le portrait qu’il dresse du mécréant et du militant garde toute sa vigueur et son actualité. «  Homme de doute opposé à l’homme de foi, le mécréant parie sur l’incertain, sur les incertitudes du siècle, sans les rassurantes rigueurs de la règle. Il met une énergie absolue au service de certitudes relatives. C’est aussi le dilemme du militant. Résister, lutter, ne pas céder à la lassitude ou à la résignation. Brosser inlassablement l’histoire à rebrousse-poil. Mais lutter aussi contre les tentations de la croyance et contre les sirènes de “l’invisible”.  » La conviction plutôt que la croyance. L’engagement plutôt que la soumission. Nicolas Mathey


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