La République imaginaire (par Daniel Bensaïd)

mardi 4 décembre 2007.
 

« En temps de guerre, en République, il n’y a plus que la politique de la Convention nationale. Je suis pour la politique de la Convention nationale contre la politique de l’Assemblée de Bordeaux, je suis pour les Parisiens contre les ruraux, je suis pour la Commune de Paris, pour l’une et l’autre Commune, contre la paix, je suis pour la Commune contre la capitulation, je suis pour la politique de Proudhon et pour la politique de Blanqui contre l’affreux petit Thiers. »

Péguy, L’argent, suite

« Qu’est-ce qu’un démocrate, je vous prie ? C’est là un mot banal, sans acception précise, un mot en caoutchouc. Quelle opinion ne parviendrait pas à se loger sous cette enseigne ? Les roués se complaisent dans ce vague qui fait leur compte ; ils ont horreur des points sur les i. Voilà pourquoi ils proscrivent les termes : prolétaires et bourgeois. Ceux-là ont un sens clair et net ; ils disent catégoriquement les choses. C’est ce qui déplaît. »

Auguste Blanqui, lettre à Maillard, 6 juin 1952.

République fouettarde

Depuis plus de vingt ans, de discrets renoncements en bruyantes capitulations, la gauche respectueuse n’a cessé de battre en retraite face à l’offensive libérale. Plus de projets, plus d’ambitions. Plus rien que des « valeurs » cotées en Bourse, et la gestion loyale des marchés. Un obscène streap-trease programmatique : j’enlève le haut, j’enlève le bas. De la « République sociale », ne reste alors qu’une souveraineté autoritaire, une fausse constitution européenne sans pouvoir constituant, une démocratie sans demos. De la prétention à « changer la vie », qu’un « réformisme de gauche », sans réformes et de moins en moins de gauche.

Cette débâcle idéologique de la gauche respectueuse fut ponctuée, en 1998, par un événement peu banal dans le Landerneau du concept. Les fines plumes de la très libérale Fondation Saint-Simon (aujourd’hui défunt) et celles du très républicain club Phares et Balises (prestement auto-dissout), les libéraux d’Esprit et les derniers des Jacobins, la deuxième et la première gauche, se réconcilièrent pour voler au secours de la République en danger [1]. De l’intrépide République de l’An II, ne subsistait, dans leur manifeste sécuritaire, qu’une République fourbue, à bout de souffle, bouffée par ses mythes. Cette Sainte-Alliance se proposait donc de monter œcuméniquement la garde autour de la raison d’Etat et des bustes écaillés d’une Marianne décatie. En proie à une étrange fièvre sécuritaire, les nouveaux républicains pleuraient en chœur « les respects ancestraux » disparus (sic), invoquaient avec nostalgie « les autorités d’ascendance, de compétence, de commandement » (resic), regrettaient les figures tutélaires du « père » et du « lieutenant ». Leur République d’obéissance avait un obsédant parfum d’ancien régime.

Pour qu’un tel recentrage général fût possible, pour rabibocher ainsi la démocratie de marché et la république frugale, il devait y avoir le feu en la demeure. Pour faire bonne mesure, paraphrasant la fameuse formule de Jean-Paul II, la tribune était fièrement titrée : « Républicains et démocrates, unissons-nous ! » et « N’ayons plus peur ! ». Peur de quoi ?

Plus on invoque la citoyenneté avec lyrisme, plus claque au vent son vocable évocateur (Mirabeau défiant les baïonnettes, le moulin de Valmy, les réunions houleuses des sections et les tribunes de la Convention garnies de « tricoteuses »), plus elle se dérobe. La démocratie fout le camp, et la République avec. La faute à qui ? A Voltaire, à Rousseau ? A Mai 68 ? Au foulard islamique ? Non. A la main invisible et assassine des marchés ! A la privatisation de l’espace public. Aux ravages du chômage et des exclusions. Au mal-être des cités à la dérive.

Au lieu de s’en prendre à ces fléaux avec une énergie sans-culotte, les nouveaux républicains exigeaient en bons thermidoriens épris d’ordre que la République soit refondée au plus vite (par qui et sur quoi ?) ; sous peine d’être « silencieusement renversée » par l’action corporative. Cela se voulait sans doute du Saint-Just, ce n’était que du François de Closets. Tout y était : le complot silencieux de forces occultes et l’intérêt égoïste conspirant contre l’intérêt général. L’action corporative ? Des noms ! Celle des mystérieux marchés financiers ? Celle du patronat insatiable ? Des élites énarchiques ? De la caste médiatique ? Vous n’y êtes pas. Vous divaguez. Vous extravaguez ! Pour ces « républicains démocrates », les vrais coupables étaient « les groupes sociaux trop enclins à se proclamer en colère » [2].

Tiens, tiens... Vous avez dit colère ? Comme c’est curieux. Comme c’est bizarre. Et quelle coïncidence. La bonne question à poser eut été en effet de savoir si ces grandes colères, rouges et noires, celle de l’hiver 1995 ou du printemps 2003, celles des sans papiers ou des marches de chômeurs, celles des infirmières et des cheminots, des Daewoo, des Moulinex ou autres Cellatex, sont justes et nécessaires. A l’esquiver, il ne reste de l’épopée républicaine qu’une république caporalisée, sans le peuple, une République fouettarde.

A braconner ainsi sur les terres de l’ordre moral cher aux droites extrêmes, de surenchères sécuritaires en sarkoziades nettoyantes, on arrive en chaise à porteurs à la diabolique surprise du 21 avril 2002.

Névroses

La tentation autoritaire et disciplinaire de la République peut être d’autant plus forte qu’elle a une longue expérience du maintien de l’ordre social. L’ordre colonial fut son laboratoire.

On a pu s’étonner de l’émoi et des passions déchaînées par l’apparition de quelques foulards islamiques. L’effet, disproportionné à la cause, était révélateur d’un malaise bien français, des fragilités et des doutes mijotant derrière la fermeté affectée. Avant même la fin de la guerre d’Algérie, Sartre écrivit sa retentissante préface aux Damnés de la Terre : « La France, autrefois, c’était un nom de pays, prenons garde que ce ne soit en 1961 le nom d’une névrose. » C’était en 1961 ? Et en 2005, donc [3] ! La blessure narcissique de la « grandeur française » est allée depuis de mal en pis. Elle n’a cessé de s’envenimer. De défaites militaires en défaites morales. De la déroute de Dien Bien Phu à la torture en Algérie. De l’Empire chamarré, il ne reste que haillons et gravats. De la « voix de la France », que des effets de manche et de col pour faire mine de pouvoir encore « tenir son rang » ; et de la prétention à gauloiser le monde, la gestion mafieuse de l’ordre post-colonial, d’Abidjan à Lomé, du Rwanda à Mayotte. Le voile islamique montre plus qu’il ne cache. Révélateur de frustrations nationales, il cristallise l’hystérie collective d’une puissance déclinante cramponnée à ses rêves et ses splendeurs défuntes [4].

Saint-Arnaud, c’était aussi la France

Connaissez-vous le maréchal ? Vous l’avez sans doute rencontré sous forme d’une vignette trouvée dans une tablette de chocolat, ou comme second rôle dans L’Auberge de l’Ange gardien. Marx l’évoque parmi les canailles du 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte. Il fait aussi une apparition moribonde dans La Charge de la brigade légère. Sans François Maspero, on aurait pu oublier à quel point cet aventurier cynique et sans scrupule représente la part d’ombre de la grandeur française [5]. Pour voir se défaire la légende de l’épopée nationale, il suffit de suivre la vie édifiante de Saint-Arnaud, déserteur, faussaire, aigrefin, massacreur, qui sut se hisser au sommet de la hiérarchie à coups de razzias et d’enfumades.

Saint-Arnaud, ou l’ignoble absolu. Dès sa jeunesse, il eut le goût du coup de force : « Oh ! 18 Brumaire, je te comprends, je t’aime, je te dresse des autels, je voudrais te recommencer ». Vœu exaucé. Le maréchal est le héros d’une époque où conquête coloniale et coup d’Etat sont l’envers et l’endroit d’une même médaille, où les villageois de l’Ouarsenis et le peuple du Faubourg Saint-Antoine sont indistinctement désignés comme des « Bédouins » bons pour la mitraille.

L’honneur de Saint-Arnaud, ou une livre de déshonneur français. Une livre fumante et saignante. Autoportrait du maréchal en simple officier pendant la prise de Constantine : « Enfin, j’arrivai à une petite place où je retrouvai le commandant Bedeau. Heureux de nous retrouver en vie, nous nous serrâmes la main. Il me fit quelques compliments en me voyant avec mon sabre et mon yatagan turcs, et la figure et les mains pleines de sang, mon sabre rouge ; enfin, quoi, j’avais l’air un peu boucher... Je ne m’appesantirai pas davantage sur ces scènes de pillage et de désordre ; elles ont duré trois jours. Jetons un voile épais et ne ternissons pas notre gloire et nos souvenirs. » Un voile, le voile, toujours.

Monotonie ordinaire de la besogne pacificatrice en Kabylie : « Les Kabyles ont éprouvé des pertes considérables ; nous marchons sur leurs cadavres... Alors je fais hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne n’est descendu dans les cavernes : personne que moi ne sait qu’il y a là-dessous cinq cents brigands qui n’égorgeront plus les Français... Du 8 au 12, j’ai été malade, mais ma conscience ne me reproche rien. J’ai fait mon devoir de chef, et demain je recommencerais. » Ni regrets, ni remords. Comme un Papon, la quiétude du travail bien fait.

Quelque chose s’est inventé là, dans l’activisme criminel d’un Saint-Arnaud. Avec l’armée d’Afrique, un corps se constitue dans l’Etat. Le « père » Bugeaud fut un expert en répression d’émeutes populaires comme en colonnes infernales. Préférant chansonner joyeusement ses casquettes, ses fidèles zélateurs n’osaient toujours, un siècle après sa mort, publier son traité sur « la guerre de rues » ! Pour lui, de l’intérieur ou de l’extérieur, à Lyon comme en Kabylie, l’ennemi est toujours le même. Et le combattre est toujours une affaire de « pacification » et de « nettoyage » (à l’enfumade à défaut de karcher).

Vie exemplaire à tous égards, que celle de ce maréchal rassasié de gloire, qui retrouva, au crépuscule de sa vie, le dieu chrétien du pardon pour assurer le salut de son âme et confirmer sa sainteté prédestinée. A travers lui, François Maspero retrouve les ingrédients dont fut composé « le juste milieu » républicain sous la Troisième République : « une pincée de légitimisme, un peu de nostalgie louis-philipparde, une dose de catholicisme vaguement social et plutôt gallican mêlé à beaucoup de saint-simonisme conquérant, une dose plus forte de bonapartisme -première et seconde mouture - et enfin un républicanisme tardif, un républicanisme de raison, mais solide et définitif. » Le savant dosage opère toujours, de plus en plus mal il est vrai, en l’honneur de tous les Saint-Arnaud.

Laïcités

Dans les polémiques sur le port du foulard, la laïcité est brandie comme l’attribut consubstantiel de la République, comme si son sens et ses modalités étaient gravées pour l’éternité dans le marbre. La bataille laïque a pourtant toute une histoire. Les principes de l’école et de la république laïque n’ont été établis qu’un siècle après la proclamation de la première République. Contrairement à ce que prétendent désormais les tenants d’une laïcité « ouverte et décomplexée » (Bernard Stasi) ou d’une « laïcité apaisée » (Jacques Chirac) (autrement dit d’une laïcité réduite à une coexistence pacifiée entre religions), la laïcité originelle ne fut pas un espace vide et neutre, mais une idéologie de combat contre l’emprise de l’Eglise catholique et romaine. Elle remporta la bataille que par l’alliance tactique entre deux forces stratégiquement antagoniques, la bourgeoisie anticléricale positiviste d’une part, et le mouvement ouvrier socialiste de l’autre. C’est pourquoi l’école est restée depuis un enjeu autour duquel se cristallisent, au grand étonnement des observateurs étrangers, les passions françaises (de manifestations géantes de la droite pour l’école libre, en manifestations géantes de la gauche contre la révision de la loi Falloux).

La laïcité victorieuse est cependant restée sous la direction hégémonique de la bourgeoisie républicaine. En tant qu’école d’Etat, l’école obligatoire de Ferry, se voulait déjà un rempart non seulement contre l’Internationale noire des curés, mais aussi contre l’Internationale rouge de l’éducation populaire [6]. En témoignent les rites de l’organisation scolaire, la rédaction des manuels, l’enseignement d’une épopée patriotique, la célébration de la République comme avènement de la Raison, et l’influence positiviste, partout présente, jusqu’à l’université avec le dictionnaire de Littré, la sociologie littéraire de Brunetière et de Lanson, l’histoire selon Langlois et Lavisse, la sociologie durkheimienne : « Tout est aujourd’hui au positivisme dans l’enseignement, dans la philosophie universitaire, et particulièrement pour la classification des sciences, tout est à la classification d’Auguste Comte . » [7]

Or qu’est-ce que le positivisme, en tant qu’idéologie dominante, si ce n’est l’apologie par les vainqueurs du Progrès dans l’Ordre ? Sa devise - « Ordre et progrès », le progrès en (bon) ordre - inspira les républiques autoritaires naissantes du Brésil comme du Mexique. Elle orne encore le drapeau brésilien. Elle vient du grand prêtre positiviste. Mais son esprit souffle aussi chez Victor Hugo . Rappelant avec quelle énergie, il avait, en Juin 1848, « défendu l’ordre en péril », et promettant qu’il le défendrait encore demain « si le danger revient de ce côté-là », l’auteur des Choses Vues exigeait à la tribune de l’Assemblée de démêler le prêtre du professeur. Il voulait « l’Eglise chez elle et l’Etat chez lui ». Car, « ce qu’il faut à la France, c’est l’ordre, mais l’ordre vivant, qui est le progrès tel qu’il résulte de la croissance normale, paisible, naturelle du peuple... Vous ne voulez pas le progrès ? Vous aurez les révolutions ! » A bon entendeurs...

« Loi foulardière » [9]

La loi contre le port de signes religieux « ostentatoires » ou « ostensibles » (raffinement terminologique difficilement compréhensible hors de l’hexagone) à l’école fut avant tout une initiative de diversion et d’opportunité politique. Le gouvernement Raffarin venait d’être malmené par les grandes mobilisations sociales du printemps 2003 sur les retraites et sur l’éducation. Fixer l’attention sur la loi en question permettait de sceller une union sacrée républicaine entre droite de droite, droite du centre, et gauche du centre. Cet œcuménisme laïque a trouvé depuis un prolongement dans le oui à la Constitution Giscard des vrais-faux jumeaux Sarkozy-Hollande, et dans l’eurocompatibilité entre la gauche et la droite proclamée par Lionel Jospin à l’occasion de sa calamiteuse campagne pour le oui au traité constitutionnel Giscard.

Cette loi est pourtant inutile et discriminatoire. Inutile : l’avis émis en 1991 par le Conseil d’Etat était suffisant. Il recommandait de traiter les litiges au cas par cas, dans le cadre des règlements en vigueur, sous la responsabilité des chefs d’établissement. Depuis l’adoption de la loi foulardière, moins de deux cents cas conflictuels ont été recensés, dont une quarantaine ont donné lieu à des exclusions. C’est encore trop. Mais il n’y avait certainement pas matière à déclencher une guerre civile scolaire. Chaque situation est singulière, le port du voile pouvant mêler à doses variables aliénation religieuse, défi culturel, distinction vestimentaire juvénile, soumission familiale, prosélytisme politique. On peut comprendre que des enseignants aient cru plus confortable de se retrancher derrière le mode d’emploi d’une directive légale, que d’avoir à discuter avec une élève des tenants et aboutissants de leur tenue vestimentaire, et qu’ils aient pu se croire ainsi déchargés d’une responsabilité et d’une obligation de dialogue. L’armure législative se révèle cependant illusoire. C’était prévisible. Jacques Chirac lui-même en était conscient dans son discours de décembre 2003 sur la laïcité : « Dans l’application de cette loi, le dialogue et la concertation devront être systématiquement recherchés, avant toute décision ». Retour donc au cas par cas, et aux « accommodements raisonnables » recommandés par nos cousins québécois, avec en prime une épée de Damoclès confiée à l’arbitraire des conseils de discipline.

Beaucoup de bruit pour rien ? Non point. La loi, bien qu’inutile, n’en est pas moins discriminatoire. Doublement. Bien qu’elle prétende, non sans hypocrisie, s’appliquer à tous les signes ostensibles, les médias n’ont pas manqué de l’interpréter à juste titre comme une « loi contre le voile », Le Monde titrant à la une : « Faut-il interdire le voile islamique ? ». Qui s’est soucié de la taille à partir de laquelle une croix ou une kippa deviendraient ostentatoires ? Certain(e)s partisan(e)s de la loi eurent au moins le courage d’expliciter sa portée discriminatoire. Elisabeth Schemla, journaliste au Nouvel-Observateur, justifie ainsi une différence de nature entre le voile et la kippa : le premier serait le symbole provocant d’une religion prosélyte et expansionniste, la seconde témoignerait d’une religion non-prosélyte vers laquelle les conversions sont exceptionnelles. On ne n’adhère pas, on ne se convertit pas à l’élection : on est élu, ou on ne l’est pas ! [10]

Le plus grave, au-delà de la discrimination scolaire, c’est que la controverse contribue à stigmatiser des populations entières. Elle jette une suspicion générale sur le voile : refus à des mères voilées de participer à des sorties scolaires, à des conseils de classe, à des réunions de parents d’élèves ; exclusion par la préfecture de Bobigny d’une femme voilée d’une cérémonie de remise de ses papiers d’identité français ! Cette spirale vicieuse des humiliations et des rebuffades ordinaires ne peut qu’acculer aux replis communautaires redoutés.

En revanche, dans les mobilisations lycéennes du printemps 2005, la question du foulard ne s’est jamais posée, ni pour contester la présence dans les cortèges de filles voilées, ni pour réclamer l’abrogation de la loi Chirac. Seule la lutte commune est un creuset efficace, une expérience de partage et de respect mutuel.

Dévoilement

La séparation de l’Eglise et de l’Etat trace une ligne de partage mouvante entre privé et public, sacré et profane. Sous la poussée libérale, cette ligne tend d’autant plus à grignoter l’espace public, que la privatisation galopante du public et la publicisation du privé brouillent les cartes et que les forces qui ont porté la cause laïque, la bourgeoisie libre-pensante et le mouvement ouvrier semblent avoir épuisé leurs forces propulsives.

Mondialisation aidant, la bourgeoisie éclairée réconciliée avec une Eglise modernisée, se contenterait désormais d’une laïcité minimaliste compatible avec la promotion d’un marché éducatif et avec la marchandisation annoncée des services : entre une entreprise de formation capitaliste et une entreprise de formation religieuse, la différence n’a plus guère d’importance, dès lors que des entreprises confessionnelles capitalistes peuvent aussi proposer leurs services. Face à ces tendances lourdes, la crispation sur « l’ouvrage défensif » d’une laïcité originelle, idéologiquement neutre, paraît bien illusoire. Il n’y aura pas de retour au catéchisme et à La Foi laïque prêchée par Fernand Buisson. Plus l’élan fondateur s’épuise, plus refait surface la préférence confessionnelle, non seulement par le biais du vieux concordat sur l’Alsace-Lorraine, mais aussi dans le contenu d’un enseignement imprégné de culture chrétienne. La cité laïque, et l’école avec, sont imprégnées des formes et des rites de la vie catholique, du dimanche férié au poisson bouilli le vendredi. Il est choquant sans doute, mais guère surprenant au fond, que la République ait porté le deuil de Jean-Paul II et mis ses drapeaux en berne.

Si la loi foulardière a provoqué autant de troubles et de passions, si elle a provoqué ce que certains historiens perçurent comme « un orgasme républicain », c’est qu’elle témoignait surtout d’une incertitude sur le sens actuel de la laïcité et sur la clarté du partage entre l’espace public et l’espace privé. Prétendant défendre le premier contre un retour en force du religieux, elle a plutôt révélé à quel point la frontière est fragile et litigieuse. Le mot même de laïcité, parcimonieusement employé lors du débat de 1904 devint en 2004 un signal à répétition comme s’il pouvait à lui seul conjurer le malaise existentiel de la société française.

Voiles et turbans

L’exclusion de trois élèves sikhs de seconde sur décision du tribunal administratif de Melun illustre cette porosité entre le privé et le public. Les adolescents avaient accepté un accommodement raisonnable consistant à renoncer au keski volumineux au profit d’un léger foulard (ciel, un foulard !) pour protéger une chevelure considérée sacrée. Lors du débat sur l’adoption de la loi du 15 :mars 2004, le législateur avait écarté la prohibition de tout signe religieux « visible » (contraire aux dispositions constitutionnelles garantissant la liberté religieuse), pour n’interdire que les signes « ostensible ». Cette subtile distinction entre le visible et l’ostensible (ah ! la somptueuse richesse de la langue française !) visait à criminaliser non le fait - le signe affiché-, mais l’intention prosélyte qui l’anime. Elle soulève une question intéressante : l’intention est-elle privée ou publique ? Et qui en est juge. Dans l’affaire de Melun, le commissaire du gouvernement a reconnu l’absence d’intention prosélyte de la part des trois sikhs. Ils ont tout de même été condamnés au nom d’une libre interprétation de la loi !

Entre le profane et le sacré, le public et le privé, il n’existe pas de frontière naturelle. Comme pour toute frontière, c’est une affaire d’histoire et de rapports de forces. Annonçant le grand dédoublement et la grande duplicité modernes, Hobbes distinguait déjà la foi intérieure de la confession extérieure, l’Etat ayant tout pouvoir sur « l’extérieur ». Vint ensuite la séparation entre le domaine coercitif du droit et celui, non coercitif, de l’éthique. Cette division des rôles demeure aujourd’hui encore litigieux, toujours en dispute. En prétendant le faire passer par les comportements vestimentaires, la loi de 2004 a fait fausse route. Dans les sociétés modernes, le vêtement ne fait pas frontière. Il garde une portée symbolique importante, mais il ne codifie pas officiellement fonctions et hiérarchies. Il relève donc d’un choix privé, à l’instar des pratiques alimentaires, des caprices de la mode, des coquetteries adolescentes, ou de l’aliénation consumériste, impossibles à démêler, à moins de scruter les intentions cachées derrière le bandana, la casquette, ou la coiffure rasta. Les élèves et les étudiants ne sont ni des abstractions désincarnées (les fameuses « cires molles » à modeler), ni des fonctionnaires d’Etat. Ils ne laissent pas leurs cultures, leurs goûts, leurs habitudes, au vestiaire.

La défense de l’école publique ne passe donc pas prioritairement par l’inspection de l’uniforme ou par le menu unique à la cantine, mais par les moyens et la qualité de l’enseignement, par la formation des enseignants, par l’amélioration des conditions d’habitat, de loisir, de culture des élèves. Et par le contenu même des cours, en encourageant notamment ce que les anglo-saxons appellent les cultural et les postcolonial studies, à peine balbutiantes en France. Si une jeune fille voilée assiste à un cours d’histoire des sciences sur les théories de l’évolution, à un cours de philosophie sur Marx, à un cours de littérature sur Sade ou Bataille, à un cours d’histoire sur les révolutions modernes, hallélouïa ! Elle peut être choquée dans sa foi, troublée dans sa vision du monde, mais c’est son problème. En revanche si un étudiant catholique créationniste refuse de souiller ses oreilles par un cours blasphématoire sur Darwin, si un étudiant fondamentaliste juif se sent écorché par un cours non moins blasphématoire sur l’excommunié Spinoza, et si un étudiant musulman ne supporte pas la poésie de Baudelaire, qu’ils aillent se faire bénir ailleurs. Acquis de haute lutte, le droit de lire Spinoza et Darwin, Sade et Baudelaire, Flaubert et Bukovsky, est désormais imprescriptible.

Que la République apeurée tremble devant quelques dizaines de foulards en dit plus long sur son propre état de langueur et d’anémie que sur la supposée menace dont elle serait l’objet.

Enfants, voici les bœufs qui passent, cachez vos rouges tabliers... [**]

Privatiser aussi la politique ?

Conscients de la complexité symbolique du langage des signes, certains hommes politiques, de droite et de gauche (dont Laurent Fabius dans une tribune du Monde), ont suggéré d’étendre la prohibition de l’ostensible aux signes commerciaux et politiques. D’autres ont proposé de faire disparaître tout signe distinctif en revenant à la blouse grise (ou, peut-on supposer, rose pour les filles : il ne faudrait tout de même pas brouiller au passage la division sociale des sexes !). Gageons que la blouse égalitaire, qui eut naguère ses vertus, n’aurait guère de chances de l’emporter aujourd’hui, dans l’univers de la « concurrence non faussée », face à la logique commerciale des « logos » et des marques, à Nike et Addidas.

Quant à l’interdiction des signes politiques, elle est plus délicate encore. Faudra-t-il, à l’entrée des établissements, établir un péage contre les badges, les tea-shirts à la gloire du Che ou de Mandela, les bérêts (basques !), les costumes régionaux suspects d’irrédentisme. La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat entend privatiser les convictions religieuses. Question de rapport de force, encore. Mais comment privatiser la politique qui, par définition, est publique ou n’est pas ?

La solution consisterait à sanctuariser l’espace scolaire. La loi de séparation de 1905 a explicitement renoncé à « une religion civile républicaine » inspirée de Rousseau ou de Comte. Et Jacques Chirac a repris dans son discours sur la laïcité le thème de l’école comme « sanctuaire républicain ». Mais la République, c’est déjà de la politique. Et même, originellement, consubstantiellement, historiquement, de la politique égalitaire de combat contre l’oligarchie, contre l’aristocratie, contre la monarchie, contre les privilèges de tous ordres. Ou alors elle n’est rien, qu’une salle des courants d’air et des pas perdus.

C’est bien le nœud de l’actuel dilemme. Une République dépolitisée, une République apolitique, une République de marché n’a plus de principes à opposer aux marchands du temple et aux faiseurs de miracles.

Intégration/diffraction

Parodiant l’interpellation célèbre de Gide à Barrès [11], le rejeton d’immigrés pourrait apostropher la société dite « d’accueil » : « Né de papa kabyle et de maman malienne, comment vous, M. de Villiers, M. Sarkozi, M. Bezag et M. Boutih, que je m’intègre à une société qui se désintègre ? » Le malaise est d’abord le fruit d’une panne de ce que l’on appelait « intégration ». Tous les ascenseurs sont en panne : l’intégration par l’école et l’intégration par le travail. Quant au mouvement féministe des années 70, il s’essouffle et marque le pas : « Ça n’intègre plus, ça diffracte un max [12] » !

Propice à la construction d’un en-commun, plutôt qu’à une intégration du dominé au dominant, l’espace de la cité fuit par le haut et vers le bas, vers l’horizon sans cesse élargi des espaces marchands, vers les vieilles clôtures provinciales rétablies sous prétexte de décentralisation.

C’est l’occasion de passer au crible de la critique les sous-entendus des rhétoriques de « l’assimilation » et de « l’intégration ». La première appartient au vocabulaire colonial, l’indigène étant assimilé d’un même coup à la France et à l’universel, puisque les deux étaient supposés superposables depuis la Déclaration de 89. Quant à l’intégration, contestée par une partie croissante des intéressés, comme une injonction sommant le dominé de se dissoudre dans le dominant, elle est censée produire de l’homogène et de l’identique à partir du différent. S’il n’y parvient pas, c’est qu’il en est incapable, ou, pire, qu’il ses refuse à entrer dans la civilisation où le lait et le miel coulent à flots. C’est alors son problème, certainement pas celui du « creuset français », généreusement accueillant, comme chacun peut le constater, aux vagues d’immigration qui ont fait la diversité et la richesse de la France éternelle.

Accusés de refuser ce qui leur est refusé, exclu(e)s de l’universel, tenu(e)s de prouver toujours davantage leur mêmitude et de se fondre dans le paysage local, presque pareils et presque semblables, mais tout de même différents, il n’y a pas à s’étonner que, suivant le stratagème éprouvé de retournement du stigmate, certain(e)s revendiquent avec fierté la spécificité imposée et décrètent une résistance anti-intégrationniste. A la différence du colonisé, l’immigré de la deuxième ou de la nième génération, ne peut cependant répliquer à l’injonction par une stratégie de libération visant à l’indépendance nationale. Il ne peut même pas se consoler à l’idée d’un retour au pays d’origine, souvent inconnu, et parfois synonyme d’échec. Il est donc condamné à rester un mutant, un paria, un luftmensch. A cette double impasse de l’intégration improbable et du retour impossible à une origine mythique que tentent de répondre, de manières différentes si ce n’est opposées, la rhétorique du métissage et le discours ,. C’est à elle, encore, que croit répondre la disjonction d’Habermas entre intégration politique et intégration éthique (ou culturelle) [13].

Dans un bel essai, Abdellalil Hajjat [14] recense trois comportements possibles face à ces impasses : la haine de soi, le repli exclusif, et ce qu’il appelle « le repli d’ouverture », susceptible de relancer la particularité assumée à la rencontre de l’universel. Il reprend l’idée d’Abdelmalek Sayad, pour qui « l’enjeu réel des luttes communes aux dominés face aux dominants et à la domination ne porte pas comme on le dit communément, sur la conquête ou la reconquête de l’identité, mais sur le pouvoir de se réapproprier la possibilité de construire et d’évaluer en toute autonomie sa propre identité [15]. »

Ni-nisme. Ni loi, ni voile ?

Cette parade niniste permettrait d’échapper à l’alternative infernale à laquelle on voudrait nous acculer ? Il s’agit plutôt d’un compromis boiteux, d’une fausse symétrie entre deux défis relevant de registres et de temporalités différents. Ni..., ni.... : ni maman ni putain, ni pute ni soumise, ni dieu ni diable. Ce double refus perpétue, selon Alain Badiou, ce qu’il prétend contester. Roland Barthes y décelait déjà le tic idéologique du juste milieu, à égale distance des extrêmes, la formule magique du tiers-parti, la ligne de fuite hors d’une opposition irréductiblement conflictuelle.

On ne saurait cependant banaliser le port du voile, sous prétexte que la normalisation républicaine serait le principal danger. Mais on ne saurait davantage s’accommoder, au nom d’un féminisme paradoxal, d’une loi discriminatoire comme le fait Danièle Sallenave lorsqu’elle est tentée de « prendre le risque de l’interdiction », par solidarité avec les mouvements de femmes iraniennes, afghanes ou algériennes qui rejettent la contrainte oppressive du foulard. Ici et maintenant, la loi et le voile sont à combattre. Pas par les mêmes moyens. Il ne faut jamais trop accorder à l’Etat. On ne sait jamais contre qui se retourneront les pouvoirs qu’imprudemment on lui a un jour consentis. Dans un pays où la loi prétendrait imposer aux femmes le port du foulard, il faudrait donc s’y opposer, comme il faut s’opposer à une loi qui prétend le leur interdire.

Dans un pays impérialiste, hanté par son passé colonial, empêtré dans la gestion répressive des flux migratoires, le port du voile est chargé de tant de significations inextricablement mêlées que le combat contre l’enfermement des femmes qu’il signifie, se situe sur le terrain des luttes communes, de la confiance à reconquérir, et de la persuasion plutôt que de la coercition. Le rythme lent de la transformation des mœurs n’est pas celui de la décision législative ou de la procédure judiciaire. En revanche, certains acquis de la lutte de libération des femmes ne sauraient être remis en question au nom de différences culturelles relativistes. Ce sont désormais des principes fopndateurs, « antérieurs à la raison » aurait dit Rousseau, qui ne sauraient être remis en cause. Le droit à l’avortement et à la contraception, la criminalisation du viol, l’interdiction de la lapidation, de l’excision, de la polygamie, sont ainsi autant d’acquis historiques de la libération des femmes, qui ne se discutent et ne se négocient plus.

Principal/secondaire

Pour Alain Badiou, le « jargon sociétal » et le combat furieux entre la République et le communautarisme ne sont que « foutaises ». Que l’Autre, comme disent « les amateurs de théologie discrète et portative », vive quelque peu autrement, voilà en effet une contestation qui ne mange pas de pain. Badiou enfonce le clou, en précisant crûment que la « loi foulardière » de Chirac, « le soviétique à 82 % », est capitaliste. Tout-à-faitement. Ce rappel hygiénique n’épuise cependant pas la question. Le contrôle du capital sur les corps, son acharnement à en dévoiler la valeur marchande, ne relativise en rien leur contrôle par la loi religieuse et la volonté téhologique de les escamoter. Les voies de l’oppression sont aussi multiples et inépuisables que celles de dieu sont impénétrables. La piètre dialectique des contradictions principales et secondaires, leur tourniquet infernal, a déjà joué trop de mauvais tours. Et « l’ennemi secondaire », trop souvent sous-estimé au nom de la lutte prioritaire contre l’ennemi principal, s’est parfois révélé mortel :

Tout à ma lutte

contre l’ennemi principal

j’ai été abattu

par mon ennemi secondaire


non par derrière traîtreusement

comme le prétendent ses ennemis principaux

mais franchement depuis la position

que depuis longtemps il occupe


et conformément

à ses intentions déclarées

dont je ne m’étais pas soucié

le tenant pour si négligeable


C’est pourquoi ma mort elle-même

n’a pas semé le trouble dans son esprit

Mon seul et unique but restera

la lutte contre l’ennemi principal [16]

Juliette et Justine

« Nique ta Rep ! » [17]. Emportée par sa furie déconstructive, Marie-Hélène Bourcier ajoute : « Nique ton genre ! ». Que miroite et chatoie la prolifération d’identités queer, « suffisamment problématiques pour entraver les modes de reproduction de l’identité occidentale ». L’universalisme républicain ne serait à ses yeux qu’un particularisme français, incompatible avec toute politique des différences.

Derrière la mythologie consensuelle républicaine, ses monuments aux morts, ses taxis de la Marne, ses cours d’instruction civique, ses leçons de morale calligraphiées au tableau noir par des maîtres austères et vertueux, ses plumes gauloises et sergent-major, ses saints et ses martyrs laïques, s’affrontent des républiques opposées et querelleuses. Réputée « une et indivisible », la république est plurielle et divisée. Elle n’est pas un spectre sans corps, elle est historique et charnelle.

A ses débuts, elle fit corps avec la Révolution. Ce furent deux sœurs jumelles, nées sous le signe de la vierge, séparées et brouillées par Thermidor. Débraillée, dépoitraillée, échevelée, la Révolution devint alors infréquentable pour les gens comme il faut, les gens d’ordre et de propriété. Elle fut condamnée à la vie souterraine des taupes, à leur patient travail de creusement et de fouissement. La République commença au contraire à s’étourdir dans les mondanités. A fréquenter incroyables et muscadins, agioteurs et trafiquants de biens nationaux, elle s’est embourgeoisée, bureaucratisée, conformisée. Juliette et Justine : les prospérités du vice et les infortunes de la vertu.

Elle a cependant continué à entretenir des rapports discrets avec sa sœur rebelle. Déjà misse à l’épreuve des journées de Juin 1848, leur relation ambiguë a connu une tumultueuse rupture sous la Commune. Péguy datait précisément de 1871 le début de la plaine sans reliefs historiques, dans laquelle s’est installée la République parvenu, avec son rituel positiviste, son école publique et ses expéditions coloniales. Ferry Jules - le vrai Ferry, l’original, pas la copie - c’est bien sûr l’enseignement obligatoire et gratuit, mais c’est aussi Ferry-Tonkin. C’est le début de la République affairiste. Qui marche au pas. Qui anti-dreyfuse. Qui zéro-de-conduite. Et qui fusillera pour l’exemple.

Cette République cynique et sénile n’a pourtant pas réussi à faire disparaître son double, sa part maudite, la générosité juvénile de ses débuts, lorsqu’avec la révolution, elles faisaient la paire, rêvant de liberté, d’égalité, de solidarité. Ce rêve s’est bien vite brisé : avec l’exclusion des pauvres du suffrage et la répression du mouvement populaire, avec l’exclusion des femmes de l’espace public et de la citoyenneté, avec les tergiversations à abolir l’esclavage et l’empressement à le rétablir, avec la guillotine de Thermidor. Depuis, il y a leur République, thermidorienne et chauvine, et la nôtre, sociale et universelle. C’est une affaire sur laquelle, à moins de n’y plus rien comprendre, on ne se réconciliera plus.

Notes

1. Tribune parue dans le Le Monde du 4 sesptembre 1998, sous les signatures de Régis Debray, Olivier Mongin, Jacques Julliard, Alexandre Adler, Blandine Kriegel, Max Gallo...

2. Avant de devenir respectivement Garde des sceaux et ministre de la recherche dans le gouvernement Villepin, Pascal Clément et François Goulard avaient (avec trois autres députés : François d’Aubert, Laurent Dominati et Philippe Houillon) déposé le 27 juin 2001 à l’Assemblée nationale une proposition de résolution « tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conséquences de l’infiltration de l’appareil d’Etat par des organisations extrémistes trotskistes ». L’exposé des motifs invoque de « récentes informations publiées dans la presse française, faisant état d’une strétégie d’entrisme pratiquée dans les années 1970 par des organisations clandestines se réclament de la mouvance trotskiste », avec pour objectif « la destruction de cet Etat par des moyens révolutionnaires. » Suivent des considérations ineptes sur la théorie de la révolution permanente. Mac Carthysme à la française ? Berufsverbot républicain ? Délit d’opinion ? Quid des infiltrations de la franc-maçonnerie, du lobby clérical, ou du lobby patronal dans les appareils d’Etat !

3. Les propos de Abdelaziz Gharbi font écho à ceux de Sartre : « Il faudrait coucher la France sur le divant d’un psychanalyste pour qu’elle assume son histoire coloniale, dont le refoulement fonde la persistance des discriminations » (in Dominique Vidal et Karim Boutrel, Le mal-ëtre arabe, Marseille, Agone, 2005.

4. C’est ce qu’admet, à sa manière, Jacques Chirac dans son discours sur « le respect du principe de laïcité » (17 décembre 2003) : « Les débats sur la laïcité, l’intégration, l’éfalité des chances, le droit des femmes, nous posent une même question : quelle France voulons-nous, pour nous et pour nous enfants ? »

5. François Maspero, L’honneur de Saint-Arnaud, Paris, Plon, 1993.

6. Voir Edwy Plenel, La République inachevée, Paris, Payot, 1984 ; Samuel Johsua, Une autre école est possible !, Paris, Textuel, 2003 ; Jean-Pierre Debourdeau et Samuel Johsua, « Athéisme, anticléricalisme, laïcité » et Marie-Hélène Zybelberg-Hocquart, « La laïcité en marche », in ContreTemps, n° 12, hiver 2005. En tant que socialiste libertaire, le premier Péguy manifesta un vif intérêt pour les universités populaires, notamment dans ses notes pour une thèse de 1909.

7. Charles Péguy, « Un poète l’a dit », Œuvres en prose II, Paris, La Pléiade, p. 908. Dans L’Argent et dans L’Argent suite, Péguy croise précisément le fer avec les trois L (Lavisse, Langlois, Lanson), qui tiennent la Sorbonne. Jules Ferry était lui-même un héritier de Saint-Simon via Auguste Comte dont il fut le disciple.

8. Notamment dans son intervention du 15 janvier 1850 contre la loi Falloux, abondamment rééditée en 1993 à l’occasion de la tentative de révision de cette loi par François Bayrou, alors ministre de l’éducation.

9. La formule est d’Alain Badiou, dans un réjouissant et hilarant réquisitoire contre la loi (Alain Badiou, Circonstances 2, Paris, Lignes/Léo Scheer, 2004).

10. Voir « proche-orient info », 19 mai 2003.

11. « Né de papa breton et de maman picarde, où voulez-vous, M. Barrès, que je m’enracine ? ».

12. Marie Hélène-Bourcier, op. cit.

13. Dans une tribune du Monde (15 avril 2005), le philosophe guadeloupéen Jacky Dahomay , proche de Régis Debray sur la nation et la république, reprend à son compte ce compromis habermassien.

14. Abdellalil Hajjat, Immigration postcoloniale et mémoire, op.cit.

15. Abdelmalek Sayad, La double absence, Paris, Liber, 1999, p.406).

16. Erich Fried, Poèmes sans frontière, Paris, Christian Bourgois, 1978.

17. Slogan lancé par Marie-Hélène Bourcier

[**] Refrain d’un poème de Victor Hugo, La légende de la nonne, chanté par Georges Brassen (note d’ESSF).

BENSAÏD Daniel

* Daniel Bensaïd, « Fragments mécréants. Mythes identitaires et république imaginaire », Editions Lignes et Manifestes, Paris 2005


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