30 juillet 1908 Clémenceau brise les grèves de Draveil Villeneuve Saint Georges

mardi 1er août 2023.
 

- A) Serge Bianchi, Une tragédie sociale en 1908. Les grèves de Draveil-Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges
- B) Clemenceau, briseur de grèves (Lutte Ouvrière)

A) Serge Bianchi, Une tragédie sociale en 1908. Les grèves de Draveil-Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges

Les grèves de Draveil-Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges avaient fait l’objet d’une première étude remarquée, sous la forme d’un dossier d’archives, de Jacques Julliard sous le titre de Clemenceau briseur de grèves1. Trente ans après, Serge Bianchi, spécialiste de l’histoire de la Révolution française et fin connaisseur de l’histoire de l’Essonne, publie une véritable somme, accompagnée d’un très riche dossier documentaire, sur cet épisode majeur de la lutte de classes au début du XXe siècle, quand le syndicalisme révolutionnaire, adepte d’une opposition frontale au capitalisme, prônant l’action directe et la grève générale, influençait largement le mouvement ouvrier. Fruit d’une trentaine d’années de travail dans les dépôts d’archives les plus variés, le livre propose une analyse que l’on peut qualifier d’exhaustive reposant sur une documentation exceptionnelle (présentée dans le chapitre 3), puisant dans le riche dossier du fonds du ministère de l’Intérieur (série F/7 des Archives nationales), les fonds des archives départementales et municipales ainsi que dans la presse qui a largement suivi les événements. À l’évidence, les points de vue des différents protagonistes – ouvriers et syndicalistes, autorités publiques, patronat – sont parfaitement développés et illustrés et l’on est étonné, avec l’auteur, de l’extrême précision de certains rapports policiers suivant heure par heure les débats des militants syndicalistes sur la décision de lancer ou non un appel à la grève générale. Il est vrai que le gouvernement de Clemenceau est excellemment renseigné et dispose d’agents bien placés pour jouer la carte de la provocation (chapitre 15, « Provocations et règlements de compte »). On se demande cependant si l’on a tiré tout le profit des archives judiciaires, les références à celles-ci semblant se faire surtout via les pièces du dossier de l’Intérieur. La mention en « Sources » du dossier de la Chancellerie (sans cotation) ne lève pas l’incertitude sur le dépouillement de la série chronologique des fonds de la Division criminelle (série BB/18)2.

Les événements sont connus : pendant une centaine de jours, du 2 mai au 4 août 1908, plus d’un millier d’ouvriers (terrassiers, carriers et mariniers), remarquablement organisés par leur syndicat, sont en grève pour des revendications multiples allant de l’augmentation de salaires à l’obtention d’une convention collective et la reconnaissance du fait syndical. Se heurtant à un patronat intransigeant et bien organisé qui fait appel aux « jaunes » et à la force publique pour assurer la liberté du travail, ils sont victimes des tirs d’un gendarme le 2 juin alors qu’ils étaient paisiblement assemblés dans leur lieu de réunion habituel. La mort de deux terrassiers entraîne l’escalade et la manifestation de protestation du 30 juillet, apportant le soutien des ouvriers parisiens et de la direction de la CGT, est chargée violemment par la gendarmerie et l’armée qui démantèlent quelques « barricades » et font la chasse aux manifestants : le bilan tragique de la journée se solde par 4 morts et près de 200 blessés parmi les ouvriers.

Déroulant le fil des événements avec une sympathie non dissimulée pour les terrassiers en grève – assumée ouvertement p. 438 comme dans l’emploi de l’expression « les camarades » pour désigner les militants syndicaux – Serge Bianchi n’en présente pas moins un dossier avec une objectivité qui ne peut être prise en défaut. Il le fait en trois temps majeurs : d’abord le récit des faits (la première partie « Un conflit social, deux tragédies »), puis un éclairage particulièrement bien venu sur les acteurs majeurs et intervenants politiques dans ce conflit social, objet chacun d’un chapitre (Clemenceau, forces de l’ordre, patronat, Victor Griffuelhes et les débats au sein de la CGT, les leaders socialistes Jaurès et Paul Lafargue, ce dernier résidant à Draveil, Fernand Julian un terrassier militant syndical et poète). La dernière partie propose une lecture des « leçons de la grève » entre histoire et mémoire, montrant l’originalité de la grève étudiée en reprenant les instruments d’analyse initiés par Michelle Perrot, le soutien apporté par les caricaturistes (Jules Grandjouan, Aristide Delannoy) et les écrivains prolétariens ou assimilés qui s’inspirent, en la magnifiant, de la geste des terrassiers (Henry Poulaille, René de Marmande, Maurice Bonneff ou Rosny aîné dont la Vague rouge, roman à succès à sa parution est « réhabilité » et publié à nouveau par les soins de l’auteur) comme sur l’évolution de la mémoire des événements tant au plan national qu’à celui des communes concernées (« un passé qui dérange »).

Le dernier chapitre (« Enjeux et significations d’un conflit social ») synthétise l’ensemble de l’ouvrage autour de réflexions sur les mécanismes de l’affrontement ayant fait couler le sang ouvrier (« deux tragédies sociales »), les rapports entre conflit local et luttes sociales de caractère national, la stratégie du syndicalisme entre luttes de classes et réformisme social, soulignant le rôle de révélateur et d’accélérateur des événements, en apportant une réponse nuancée pour chacun des protagonistes. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, note-t-il que l’échec de la grève générale et l’emprisonnement temporaire des leaders de la CGT n’entraîne peut-être pas dans l’immédiat une crise et un déclin généralisé du syndicat, au regard du maintien de la majorité pour les syndicalistes révolutionnaires jusqu’en 1914, du renforcement des effectifs syndicaux dans le bâtiment, de la poursuite des grèves dans les années suivantes chez les terrassiers. L’un des grands mérites de Serge Bianchi est de s’appuyer sur une vision globale et dialectique de cette grève marquante de 1908, intégrant une connaissance des plus fines du rôle de chacun des protagonistes – de Clemenceau au simple terrassier ou animateur des « soupes communistes » ravitaillant les grévistes – pour nuancer les conclusions plus tranchées naguère avancées sur ce conflit social et qui avaient tendance à porter un « jugement » sur la conduite et la stratégie tant du chef de gouvernement que des syndicalistes.

Chacun se retrouve, en tant qu’individu, qu’il soit victime, gréviste et manifestant, entrepreneur, dirigeant de la CGT, entrepreneur ou homme politique, dans le guide biographique donné en annexe (p. 573-627). Cet annexe, présenté sous forme d’un copieux dossier documentaire – 200 pages – fait aussi une large place à la reproduction des textes les plus significatifs des intervenants impliqués dans cette longue grève. Si l’on ajoute une chronologie fine, les index de personnes et de lieux, une bibliographie qui ne fait pas l’impasse sur les travaux d’étudiants, on ne peut qu’être admiratif devant ce véritable chef-d’œuvre qui allie érudition et rigueur de l’historien dans l’analyse. C’est en outre un ouvrage richement illustré : 130 pages hors textes sont consacrées à un très grand nombre d’illustrations (cartes postales, extraits de journaux, rapports administratifs, caricatures, etc.), présentées avec pertinence3. Au total donc, un beau livre d’histoire qui se situe au plus près des acteurs et nous donne les informations et les clés pour comprendre cette « tragédie sociale » de 1908.

Jean-Claude Farcy.

NOTES

1. J. JULLIARD, Clemenceau briseur de grèves – L’affaire de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges, Paris, Julliard, collection Archives, 1965, 202 p.

2. J. CHAUMIÉ, dans son inventaire Correspondance de la Division criminelle. BB/18/2367 à 2421/9. 1908-1909 signale la présence de dossiers sur les grèves de Draveil-Vigneux et sur les syndicats.

3. La densité des illustrations a contraint à les présenter souvent en format réduit, ce qui les rend parfois difficilement lisibles, notamment quand il s’agit de texte. Suggérons à l’auteur et à son groupe de recherche ou à l’éditeur de les rendre accessibles à un très large public en les mettant en ligne sur un site dédié.

Source http://www.lemouvementsocial.net/co...

B) Clemenceau, briseur de grèves (Lutte Ouvrière)

Valls avait déjà déclaré son admiration pour Georges Clemenceau, une pièce de théâtre le met à l’honneur dans un face à face avec Jaurès, et le 11 novembre, au cours du défilé sur les Champs Élysées, Hollande est allé déposer une gerbe au pied de sa statue.

Clemenceau est ainsi devenu une référence pour les dirigeants socialistes actuels. Alors qu’ils célèbrent la fin de la Première Guerre mondiale, ils le présentent comme un artisan de la paix. On se demande pourquoi, car Clemenceau fut avant tout partisan de mener la guerre jusqu’au bout. Mais surtout, ils passent tous sous silence que le « premier flic de France », ainsi qu’il se dénommait, fut l’artisan de répressions féroces contre le mouvement ouvrier.

En 1906, après la catastrophe de la mine de Courrières, des grèves de mineurs ont secoué le Nord et le Pas-de-Calais. Pour tenter de les briser, Clemenceau, alors ministre de l’Intérieur, envoya la troupe. En 1907, alors qu’il était depuis plusieurs mois président du Conseil, eut lieu la révolte des vignerons dans le midi de la France. Cinq manifestants furent tués, et si le bilan ne fut pas plus lourd, c’est parce que le 17e régiment d’infanterie décida de mettre « la crosse en l’air » en se rangeant du côté des vignerons insurgés.

En mai-juin 1908, les travailleurs du bâtiment et des carrières de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges se mirent en grève. La troupe réprima une manifestation en tirant sur les ouvriers, tuant deux d’entre eux. Il y eut deux morts aussi à Vigneux, où les gendarmes tirèrent à bout portant dans la salle où se tenait une réunion. Plusieurs dirigeants de la CGT furent arrêtés, ainsi que de nombreux grévistes.

Enfin, après la guerre, en 1919, alors qu’un mouvement de grèves quasi insurrectionnelles se développait et aurait pu menacer le pouvoir de la bourgeoisie française, Clemenceau se fit le soutien de cette dernière en poursuivant sa politique de « briseur de grèves ».

Voilà quelques traits du triste personnage que célèbrent aujourd’hui Valls et Hollande.


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