1870 : un regard global sur le premier conflit mondial

samedi 29 mars 2014.
 

Loin d’un simple affrontement franco-prussien, la guerre de 1870 impliqua toute l’Europe, et une bonne partie de la planète, entre mobilisation mondiale des opinions publiques et premières brigades internationales venues pour secourir la France.

Par Nicolas Chevassus-au-Louis

Voilà ce que l’on apprit longtemps à l’école. De 1914 à 1918, Français et Allemands se sont livrés à la guerre horrible que l’on sait. De 1939 à 1945, l’Allemagne ayant virée nazie, ce fut pire encore. Mais tout cela procédait de la défaite française initiale, celle de 1871, entraînant une succession de revanches. De nouveaux regards d’historiens aident à sortir de cette vision francocentrée, pour aborder les huit mois de guerre entre la France et la Prusse comme un événement européen. Et même un événement mondial.

La guerre franco-prussienne est la première à s’être tenue à l’heure de l’information en continu, celle du télégraphe qui connectait pour la première fois comme en temps réel d’abord l’Europe, puis l’Amérique. La nouvelle de la déclaration de guerre française du 19 juillet 1870 est connue le jour même dans toute l’Europe (sauf dans la péninsule ibérique) mais aussi sur les deux côtes nord-américaines.

Sur le fil de la jeune agence mondiale Reuters, 42 % des dépêches transmises durant la première semaine du bombardement de Paris, en janvier 1871, portent sur la guerre franco-prussienne. C’est cet « espace atlantique », comme l’analysent aujourd’hui les historiens, qui se passionna, pour « le duel des nations » selon le terme de l’historien britannique David Wenzel.

Mais le reste du monde n’était pas en reste, même s’il n’était pas relié à la modernité télégraphique. Au Chili ou au Brésil, on apprend les nouvelles de la guerre avec plusieurs semaines de retard, au rythme de l’arrivée des navires, mais elles passionnent tout autant.

Si la guerre franco-prussienne peut être pensée comme mondiale, c’est parce que son retentissement le fut. Dans L’Humiliante défaite (Vuibert, 2020), Thierry Nélias accorde une large place aux passionnants écrits d’un officier de l’armée américaine affecté auprès de l’état-major prussien, pour venir y étudier les derniers développements de l’art de la guerre.

Le Nouveau Monde y vient en observateur admiratif de l’Ancien. L’armée prussienne accueille aussi de nombreux correspondants de guerre des journaux des pays non belligérants, son homologue français s’y refusant par crainte de l’espionnage. Le terme de reporter fait son entrée dans le langage courant et la presse internationale accorde une très large place au conflit.

L’affrontement entre deux des toutes premières puissances mondiales se joue ainsi devant une opinion publique internationale. Tout l’enjeu des semaines qui mènent au conflit est de ne pas apparaître comme l’agresseur, le fauteur de guerre. Le chancelier prussien Bismarck se montre de loin le plus habile, et la France passe une fois de plus, après les expéditions militaires de Crimée, d’Italie ou du Mexique de Napoléon III, pour une puissance agressive, une menace pour la paix.

Mais la débâcle et le bombardement de Paris tendent à faire évoluer l’opinion internationale vers une sympathie de plus en plus en plus vive pour la France à terre. À grands coups de propagande et de fausses nouvelles, la bataille se mène pour la première fois aussi devant l’opinion internationale.

Les États européens – tout particulièrement l’Autriche et l’Italie que le gouvernement impérial espérait voir s’engager à ses côtés – prennent grand soin de ne pas se laisser entraîner dans le conflit et adoptent des positions diplomatiques prudentes.

Les États-Unis, qui sortent tout juste des déchirements de sa guerre civile, tentent aussi de conserver un équilibre entre sympathie pour la France remontant à la guerre d’indépendance (une partie de l’arsenal de la guerre de Sécession sera ainsi revendu au gouvernement français de la Défense nationale), condamnation de l’expédition militaire française au Mexique et présence de millions d’immigrants allemands dans sa population. Dans les Amériques du Sud, où de nouveaux États sont nés un demi-siècle plus tôt, l’intérêt pour le conflit n’est pas moindre.

Plusieurs enjeux s’entremêlent, selon les lectures que l’on fait de la guerre. S’agit-il d’un affrontement religieux entre catholiques et protestants ? D’un affrontement entre race latine et race nordique, selon une lecture alors très en vogue ? Ou entre deux conceptions de la nation, l’une fondée sur l’origine et la langue, l’autre sur l’adhésion volontaire à une communauté de projets ? Tous ces débats résonnent dans les jeunes États sud-américains, souvent traversés par des questionnements sur leur identité nationale.

Si les gouvernements montrent une grande prudence diplomatique en évitant soigneusement de se laisser entraîner dans le conflit, les peuples se montrent souvent moins réservés. Un des traits marquants du conflit récemment mis à jour par la recherche historique (voir par exemple les actes du colloque tenu en février à l’université de Strasbourg, La Guerre de 1870. Conflit européen, conflit global, éditions du Bourg, 2020) est l’implication sur les champs de bataille de très nombreux volontaires venus de toute l’Europe.

Une partie d’entre eux œuvre dans l’assistance aux blessés et aux populations civiles. La guerre de 1870 est la première à se tenir depuis qu’un début de droit international de la guerre s’est mis en place avec la convention internationale du 22 août 1864 débouchant sur la création de la Croix-Rouge, destinée à soigner en restant neutre les blessés des belligérants. Ses ambulances, servies par des volontaires de toutes nationalités, sont présentes sur les champs de bataille.

De leurs côtés, les quakers déploient une vaste activité en direction des populations civiles, leurs convictions pacifistes leur interdisant de rétablir les blessés pour les renvoyer au combat. Mais une autre partie des volontaires sert dans les rangs français après la proclamation de la République le 4 septembre 1870.

Le personnage le plus emblématique de ces Internationaux est Giuseppe Garibaldi, le « héros des deux mondes » comme on l’appelle alors. Une célébrité mondiale depuis son rôle dans l’unification italienne, mais aussi depuis les guerres sud-américaines auxquelles il a participé dans les années 1840. À 63 ans, le vieux général débarque triomphalement à Marseille en septembre 1870, à la tête d’un contingent italien de chemises rouges (uniforme que les fascistes renverseront cinquante ans plus tard en chemises noires) et prend le commandement d’une armée qui combat sur le front des Vosges.

La notoriété de Garibaldi en fait l’arbre qui cache la forêt de milliers de volontaires qui affluent pour défendre la République en danger. L’écroulement de l’empire enthousiasme républicains, progressistes et socialistes de toute l’Europe, dans un élan qui rappelle autant la levée en masse de 1792 que le printemps des peuples de 1848.

Des nationalités opprimées d’Europe, comme les Irlandais, les Polonais ou les Tchèques, prennent fait et cause pour le nouveau régime français. « Prenons les armes pour la France républicaine contre l’Allemagne monarchique », proclame l’Association internationale des travailleurs basée à Neuchâtel. Certains s’organisent en régiments nationaux, d’autres en véritables brigades internationales, comme cette Légion des amis de la France qui se livre à des entraînements militaires dans les jardins du Palais-Royal.

Au 29 octobre 1870, elle compte selon la presse 95 Belges, 47 Suisses, 29 Italiens, 28 Anglais, 34 Hollandais, 16 Luxembourgeois, 14 Américains, 12 Suédois, 10 Autrichiens (en particulier des Tchèques, alors sujets de l’empire d’Autriche-Hongrie), 10 Espagnols, 7 Polonais, 3 Russes et 2 Grecs.

Si le centre de gravité politique de ces volontaires internationaux penche nettement à gauche, certains rejoignent les armées républicaines pour des raisons idéologiquement opposées : la défense de la France catholique contre la Prusse protestante. C’est ainsi qu’un bataillon de zouaves pontificaux – l’armée du pape, sans fonction avec l’entrée des troupes italiennes dans Rome (une autre conséquence européenne de la guerre franco-prussienne) – combat sous le commandement du général Charette, issu d’une famille de l’aristocratie chouane, dans l’armée de la Loire. Au total, les volontaires internationaux ont représenté moins de 1 % des effectifs engagés par l’armée française, et leur importance symbolique était cruciale dans la bataille qui se jouait devant les opinions internationales.

Un autre aspect global de la guerre est qu’elle est la première durant laquelle une puissance européenne mobilise des troupes de ses colonies. L’infanterie française aligne ainsi de nombreux régiments de turcos, ou tirailleurs algériens, ce qui provoque de violentes réactions racistes chez nombre de combattants prussiens.

En retour, la nouvelle de la défaite française a d’importantes répercussions dans l’empire colonial français. En Algérie, peu stabilisée politiquement, une commune d’Alger brave de novembre 1870 à mai 1871 le pouvoir métropolitain. C’est la plus grande insurrection que la colonie ait connue depuis la reddition d’Abd-el-Kader en 1847.

D’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, une page se tourne. De nouveaux dirigeants de la révolte anticoloniale se lèvent. Comme cheikh El Mokrani, qui entraîne la Kabylie dans une puissante insurrection et meurt au combat en mai 1871. Nombre d’anciens insurgés seront déportés en Nouvelle-Calédonie (où ils retrouveront les communards vaincus).

150 ans après la débâcle de 1870, une commémoration au clairon Par Nicolas Chevassus-au-Louis

En Martinique aussi, où l’on se souvient que la précédente République, celle de 1848, avait aboli l’esclavage, une révolte éclate, impitoyablement réprimée par le pouvoir métropolitain. L’île y gagne une de ses héroïnes, Lumina Sophie, fille d’esclave, condamnée au bagne où elle décédera.

La guerre franco-prussienne ne fut sans doute pas la « zéroième guerre mondiale », en ce sens que les combats, en dépit de quelques incursions mineures en Belgique ou en Suisse, ne se sont déroulés que sur le territoire français. Mais elle fut en revanche le premier conflit mondial par la mobilisation de toutes les ressources, diplomatiques, militaires ou symboliques, qu’elle impliqua dans une planète marquée par l’écrasante domination du monde atlantique.


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